Littérature

par Jacky Barozzi 17 mars, 2024
LE VOYAGE INITIATIQUE Un matin de la fin juin, en parcourant le Nice-Matin , je vis une annonce qui attira mon attention. Le propriétaire d’un voilier, ancré dans le port d’Antibes, recherchait 3 garçons sportifs et une fille (18-25 ans), pour une croisière de deux mois en Méditerranée. Outre le voyage, le logement et la nourriture gratis, notre participation - aux manœuvres pour les garçons et à la cuisine pour la fille -, donnait droit à une petite rétribution. Aussitôt après, j’appelai au numéro mentionné dans l’annonce, depuis la cabine téléphonique de la place de Rocheville. Je tombai sur la compagne du propriétaire du bateau. Après m’avoir demandé si j’avais déjà fait de la voile, et que j’eusse répondu par l’affirmative alors que je n’en avais jamais fait, j’obtins un rendez-vous pour l’après-midi même. Nous fûmes nombreux à nous présenter et, malgré mon ignorance totale en la matière, facilement détectable, je fus sélectionné. Principalement sur ma bonne mine, ainsi que je l’appris par la suite. Le départ étant prévu pour le surlendemain, je demandais au propriétaire du bateau s’il avait la moindre idée de l’endroit où nous aborderions dans un mois d’ici, près de quelle grande ville où je pourrais demander à ma famille de faire suivre un pli urgent que j’attendais, la lettre qui devait me transmettre les sujets du concours d’entrée à l’Idhec (Institut des hautes études cinématographiques). Celui-ci me suggéra alors : « Dans un mois, parvenus au point le plus extrême de notre itinéraire, nous aborderons au sud de la Turquie. Là, nous ferons une escale de 48 heures dans le port de Bodrum, le temps de refaire le plein du bateau en eau, en essence et en victuailles et toi d’aller chercher ton courrier à la poste principale d’Izmir, la grande ville voisine, à 230 km de distance ». C’est le plan que j’adoptai et que je suivis à la lettre, si je puis dire.
par Jacky Barozzi 16 mars, 2024
Fin de sursis.
par Jacky Barozzi 06 juil., 2022
Henri Fantin-Latour, Coin de table (1872), détail, Paul Verlaine et Arthur Rimbaud.
par Jacky Barozzi 18 févr., 2022
Déconfinement J+1 (lundi 11 mai 2020) Deux fois l’an, je vais me faire détartrer les dents, Chez le docteur Sophie A., rue de Rivoli, métro Saint-Paul. C’était son premier jour d’ouverture, et sa secrétaire m’avait donné rendez-vous à 14 h précises, pas cinq minutes de plus ou de moins. Elle m’avait questionné au préalable sur ma santé actuelle et celle de mon entourage. En sortant, l’émail scintillant, j’ai traversé la rue et fait un tour dans le Marais. Il y flottait comme un air de convalescence commerciale, après un long arrêt maladie… Je suis passé devant Beaubourg et les Halles : tandis que la fontaine des Innocents tombe en ruine, la Bourse de Commerce, de l’autre côté du jardin, se refait une beauté ! En contournant la Banque de France, j’ai rejoint l’avenue de l’Opéra par la rue des Petits-Champs. Dans sa superbe boutique de l’avenue de l’Opéra Chedly* refaisait les vitrines, aidé du jeune vendeur Alexandro… J’ai redescendu ensuite l’avenue de l’Opéra, jeté un coup d’oeil à la librairie Delamain, ouverte, puis ai traversé le guichet du Louvre : la pyramide à gauche, le carrousel, à droite, la tour Eiffel au loin. Sur le quai, je suis descendu marcher le long de la Seine. Ambiance Paris-Plage, mais version habillée. J’ai émergé à l’Hôtel de Ville, où je suis aller prendre le métro. Bonne fluidité sur la ligne 1… * Compagnon du narrateur. Déconfinement J+2 (mardi 12 mai) Longue marche ininterrompue hier de 16 heures à 21 heures. A Montmartre, sans touristes et sans marchands d’oeuvrettes immondes sur la place du Tertre, l’on retrouvait l’ambiance du village perché de jadis. Hélas, la ville n’a pas saisit l’occasion des 55 jours de confinement total pour nettoyer de fond en comble les rues de la capitale à grandes rasades d’eau ! Partout au sol des détritus, canettes, brisures de verres, feuilles mortes hivernales et traînées douteuses. Partout également on a laissé les mauvaises herbes envahir l’espace, offrant ainsi un écrin idéal aux rats parisiens. J’étais monté dans le bus 46 à la porte Dorée (l’accès se fait désormais par la sortie sans plus avoir à payer). Après la traversée des XIIe, XIe et Xe arrondissements, avec un léger détour par le XXe à la place du Colonel-Fabien, je suis descendu devant la gare de l’Est. Des cordons de police filtraient les entrées. Là, j’ai gravi l’amusant escalier Napoléon III, à gauche, et j’ai découvert alors qu’un nouveau jardin, suspendu au-dessus des rails, a été aménagé. Actuellement fermé, bien évidement. On l’a baptisé du nom d’une députée brésilienne assassinée. Peu après, en passant devant la gare du Nord, où malgré mon masque j’ai été saisi par une forte odeur d’urine, j’ai aperçu un semblable cordon de police empêchant les gens d’entrer et renvoyant ceux qui désiraient rejoindre le métro ou le RER vers l’unique porte réservée à cet effet. Juste avant le boulevard Magenta, dans un renfoncement, devant un bar fermé, un jeune SDF black était allongé, jambes écartées et le fond du pantalon entièrement éclaté. Dans la masse sombre, j’ai pu distinguer les parties charnues de son anatomie, offerte généreusement à la vue des passants de tous sexes et de tous âges. A Barbès-Rochechouart, j’ai eu une pensée émue devant le Louxor, l’un des cinémas où j’ai mes habitudes. Poursuivant ma route vers Château-Rouge, quelques jeunes gens m’ont proposé discrètement des cigarettes ou plus. J’ai répondu en souriant que je n’étais pas intéressé. Une population plus dense à majorité africaine m’a fait bifurquer vers les petites rues sinueuses, à gauche, et j’ai atterri au bas d’une série d’interminables escaliers me conduisant directement au pied du Sacré-Coeur, avec sa vue imprenable sur Paris. Là encore, un cordon de police municipale, cette fois-ci, surveillait que la distance réglementaire soit bien maintenue entre les jeunes oisifs assis sur les marches. A l’heure apéritive, celle-ci dispersera ce rassemblement, devenu plus dense et moins précautionneux. Après un tour réglementaire du vieux Montmartre, privé de son funiculaire, je suis redescendu par la rue des Martyrs, lorgnant au passage les appétissants commerces de bouche qui bordent son parcours et lui donnent toujours, malgré la crise, un air d’aisance et de prospérité. Après une petite halte à la boutique de Chedly, avenue de l’Opéra, le temps pour lui d’imprimer le ticket de caisse de la journée et de baisser le rideau, nous avons repris la route ensemble. Lui aussi avait envie de marcher un peu et de profiter du prolongement de la pleine lumière offerte par l’heure d’été. Sur la place Colette, devant la Comédie française, nous croisâmes une longue file sinueuse d’individus solitaires, légèrement espacés entre eux, qui attendaient patiemment et résignés de recevoir leur sac repas. Aux habituels SDF se trouvaient mêlés des jeunes gens et des jeunes filles, proprement habillés. Témoignants que la masse des précarisés s’est sensiblement développée… Nous avons cheminé ensuite à travers les Halles et le Marais, inhabituellement calmes à cette heure festive. Puis nous avons poursuivi notre chemin par la rue de Rivoli, jusqu’à la nouvelle place de Bastille, dont les travaux de réaménagement viennent tout juste de s’achever, et que nous avons pu traverser pour la toute première fois. 
par Jacky Barozzi 25 oct., 2021
JACQUES BAROZZI JE(U) Roman intertextuel INTRODUCTION « Je ne lis plus que des morceaux choisis de littérature française. J’aurais seulement voulu les choisir moi-même. » JULES RENARD J’ai longtemps caressé l’idée de signer un livre dont je n’aurais pas écrit une seule ligne. De préférence un roman, où le Je serait les autres. Et où le Je serait en jeu. Reconstitué à partir de cent fragments puisés dans les tréfonds de ma bibliothèque idéale et ajustés de manière à donner naissance, telles les pièces d’un puzzle, à une oeuvre originale, ce JE(U) que je soumets à la sagacité du lecteur, résultat d’une contrainte oulipienne poussée à l’extrême, n’en demeure pas moins un roman, mon roman. Un certain degré de lecture ne vaut-il pas écriture ? Et tout n’a-t-il pas déjà été dit et mieux que nous ne saurions le faire ? J’ai veillé à replacer sous le Je du narrateur des paroles, des sensations, des pensées, des souvenirs parfaitement semblables aux miens et que j’avais reconnus pour tels à leur lecture. Ici, la fiction n’est plus le moteur du roman. Ici, la transposition s’opère essentiellement à travers les masques d’emprunts d’auteurs de divers lieux et époques ainsi que les extraits sélectionnés de manière plus ou moins consciente, intuitive, puisés principalement dans la littérature du Je : journaux, correspondances, essais, textes autobiographiques… donnant ainsi au texte définitif les allures d’une autofiction, plus réelle qu’imaginaire, plus authentique. Qu’on ne s’y trompe pas, cependant… Il s’agit toujours de fiction. Une oeuvre de fiction anthologique et interactive de surcroit, auquel le lecteur est invité à participer activement. Outre le fait de jouer à identifier les morceaux choisis, dont il trouvera les références en fin d’ouvrage, rien ne l’empêcherait par ailleurs de se livrer à un exercice similaire et de confectionner, sur le même principe, son propre JE(U). AVERTISSEMENT Il est très vraisemblable que beaucoup ne s’apercevront point que ce qui va suivre soit très beau ; et à supposer qu’une ou deux choses les intéressent, il se peut aussi qu’ils ne croient point qu’elles leur aient été suggérées exprès. Suggérer au lieu de dire, faire dans la route des phrases un carrefour de tous les mots. Comme des productions de la nature, auxquelles faussement on a comparé l’oeuvre seule du génie, la dissection indéfinie exhume toujours des oeuvres quelque chose de nouveau. Et celle-ci aux superficiels d’abord est plus belle, car la diversité des sens attribuables est surpassante, la verbalité libre de tout chapelet se choisit plus tintante. Mais voici le critère pour distinguer cette obscurité, chaos facile de l’Autre, simplicité condensée, diamant du charbon, oeuvre unique faite de toutes les oeuvres possibles offertes à tous les yeux encerclant le phare argus de la périphérie de nôtre crâne sphérique : en celle-ci, le rapport de la phrase verbale à tout sens qu’on y puisse trouver est constant ; en celle-là, indéfiniment varié. 1 - Pour employer mes loisirs dans cette terre étrangère, j’ai envie d’écrire un petit mémoire de ce qui m’est arrivé. Je me gronde moi-même pour entreprendre un travail quelconque. Sans travail, le vaisseau de la vie humaine n’a point de lest. J’avoue que le courage d’écrire me manquerait si je n’avais pas l’idée qu’un jour ces feuilles paraîtront imprimées et seront lues par quelque âme que j’aime. Ai-je tiré tout le parti possible pour mon bonheur des positions où le hasard m’a placé ? Quel homme suis-je ? Ai-je du bon sens, ai-je du bon sens avec profondeur ? Ai-je un esprit remarquable ? En vérité je n’en sais rien. Ému par ce qui m’arrive au jour le jour, je pense rarement à ces questions fondamentales, et alors mes jugements varient comme mon humeur. Mes jugements ne sont que des aperçus. Voyons si, en faisant mon examen de conscience la plume à la main, j’arriverai à quelque chose de positif et qui reste longtemps vrai pour moi. Que penserai-je de ce que je me sens disposé à écrire en le relisant ? Sera-ce comme pour mes ouvrages imprimés ? J’ai un profond sentiment de tristesse quand, faute d’autre livre, je les relis. Je sens, depuis un mois que j’y pense, une répugnance réelle à écrire uniquement pour parler de moi, du nombre de mes chemises, de mes accidents d’amour-propre. D’un autre côté, je me trouve loin de la France ; j’ai lu tous les livres amusants qui ont pénétré en ce pays. Ma principale objection n’était pas la vanité qu’il y a à écrire sa vie. Un livre sur un tel sujet est comme tous les autres ; on l’oublie bien vite, s’il est ennuyeux. Je suis profondément convaincu que le seul antidote qui puisse faire oublier au lecteur les éternels Je que l’auteur va écrire, c’est une parfaite sincérité. Aurai-je le courage de raconter les choses humiliantes sans les sauver par des préfaces infinies ? Je l’espère. 2 - Jamais, dans mes voyages, je n’avais poussé jusqu’à Adelma. C’était la tombée de la nuit lorsque j’y débarquai. Sur le quai, le marin qui saisit la corde au vol et l’enroula à la bitte ressemblait à un homme qui avait été soldat avec moi, et qui était mort. C’était l’heure du marché de gros. Une marchande de quatre-saisons pesait un chou frisé sur une balance romaine et le plaçait dans un panier suspendu à une corde qu’une jeune fille faisait descendre d’un balcon. La demoiselle était semblable à une fille de mon pays qui était folle d’amour et s’était suicidée. La marchande leva son visage : c’était ma grand-mère. Je pensai : « Peut-être qu’Adelma est la ville où l’on arrive quand on meurt et où chacun retrouve ceux qu’il a connu. C’est signe que moi aussi je suis mort. » 3 - Je suis né le 25 décembre 0000. Mon père était, dit-on, ouvrier charpentier. Peu de temps après ma naissance, les gentils ne le furent pas et l’on dut se réfugier en Égypte. C’est ainsi que j’appris que j’étais juif et c’est dans ces conditions dramatiques qu’il faut voir l’origine de ma ferme décision de ne pas le rester. Vous connaissez la suite… 4 - J’avais des conciliabules avec le Saint-Esprit : « Tu écriras » me disait-il. Et moi je me tordais les mains : « Qu’ai-je donc, Seigneur, pour que vous m’ayez choisi ? - Rien de particulier. - Alors, pourquoi moi ? - Sans raison. - Ai-je au moins quelques facilités de plume ? - Aucune. Crois-tu que les grandes oeuvres naissent des plumes faciles ? - Seigneur, puisque je suis si nul, comment pourrais-je faire un livre ? - En t’appliquant. - N’importe qui peut donc écrire ? - N’importe qui, mais c’est toi que j’ai choisi. » 5 - Dès la sortie de mon premier ouvrage d’affabulation, on a commencé à remarquer que je n’existais pas vraiment et que j’étais sans doute fictif. On a même supposé que j’étais un ouvrage collectif. C’est exact. Je suis une oeuvre collective, avec ou sans préméditation, je ne puis encore vous le dire. Á première vue, je ne me crois pas assez de talent pour imaginer qu’il pût y avoir préméditation. 6 - Sait-on si l’on est, ou non, aimé ? S’il advient qu’on le soit, l’est-on sans ce que l’on estime être l’excellence de soi ? Est-on mieux connu de ceux qui nous aiment que de ceux qui nous détestent ? Peut-être nous révélons-nous davantage à ceux qui nous sont indifférents, étant avec eux plus libres, plus conformes à une permanente vérité de nous-mêmes ; exempts que nous sommes du soin de nous les gagner ou de nous en faire redouter. 7 - Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Que chacun examine ses pensées. Il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir. Nous ne pensons presque jamais au présent, et si nous y pensons ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin. Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux il est inévitable que nous ne le soyons jamais. 8 - Un soir, il me posa cette question : « Quand on est mort, crois-tu que ce soit la fin de tout ? » Le mystère de la mort, j’y pense chaque jour, mais je n’étais pas encore à même de fournir à mon père le renseignement demandé. Pour lui faire plaisir, j’étalai la foi la plus rassurante : - Je crois que le plaisir survit, tandis que la douleur n’est plus nécessaire. La décomposition pourrait rappeler le plaisir sexuel. Á coup sûr, elle s’accompagne d’un sentiment de félicité et de détente, puisque c’est l’effort pour se recomposer sans cesse qui fatigue l’organisme. La dissolution serait ainsi la récompense de la vie ! Je n’eus aucun succès. Nous étions encore à table, après dîner. Mon père se leva sans un mot, vida son verre et dit : « Ce n’est pas le moment de philosopher, surtout avec toi. » 9 - Être connu n’est pas ma principale affaire. Cela ne satisfait entièrement que les très médiocres vanités. D’ailleurs, sur ce chapitre même, sait-on jamais à quoi s’en tenir ? La célébrité la plus complète ne vous assouvit point et l’on meurt presque toujours dans l’incertitude de son propre nom, à moins d’être un sot. Donc l’illustration ne vous classe pas plus à vos propres yeux que l’obscurité. Je vise à mieux, à me plaire. Le succès me parait être un résultat et non pas le but. Or j’y marche, vers ce but, et depuis longtemps il me semble, sans broncher d’une semelle, ni m’arrêter au bord de la route pour faire la cour aux dames ou dormir sur l’herbette. 10 - Mon père n’était pas seulement un homme d’honneur, c’était un homme d’une probité sûre, et il avait une de ces âmes fortes qui font les grandes vertus ; de plus, il était bon père, surtout pour moi. Il m’aimait très tendrement ; mais il aimait aussi les plaisirs, et d’autres goûts avaient un peu attiédi l’affection paternelle depuis que je vivais loin de lui. Cette conduite d’un père dont j’ai si bien connu la tendresse et la vertu m’a fait faire des réflexions sur moi-même qui n’ont pas peu contribué à me maintenir le coeur sain. J’en ai tiré cette grande maxime de morale, la seule peut-être d’usage dans la pratique, d’éviter les situations qui mettent nos devoirs en opposition avec nos intérêts, et qui nous montrent notre bien dans le mal d’autrui, sûr que, dans de telles situations, quelque sincère amour de la vertu qu’on y porte, on faiblit tôt ou tard sans s’en apercevoir, et l’on devient injuste et méchant dans le fait, sans avoir cessé d’être juste et bon dans l’âme. Cette maxime fortement imprimée au fond de mon coeur, et mise en pratique, quoiqu’un peu tard, dans toute ma conduite, est une de celles qui m’ont donné l’air le plus bizarre et le plus fou dans le public, et surtout parmi mes connaissances. On m’a imputé de vouloir être original et faire autrement que les autres. En vérité, je ne songeais guère à faire ni comme les autres ni autrement qu’eux. Je désirais sincèrement de faire ce qui était bien.
par Jacky Barozzi 20 oct., 2021
Inventaire n° I : Ma galerie présidentielle Né à Cannes au début des années 1950, je suis parvenu à l’âge de raison tandis que de Gaulle détenait fermement les rênes du pouvoir. A l’adolescence, je m’étais forgé des convictions de gauche, tendance marxiste-léniniste, sans jamais toutefois adhérer au PC. En 1968, j’ai défilé avec les maoïstes et autres gauchistes pour demander bruyamment le départ du général. Le respect envers le personnage historique viendra plus tard. J’ai eu vingt ans à Paris sous Pompidou et moi aussi je lui avais demandé : « des sous ! » Je le trouvais plutôt moderne et bon enfant. Je le vis grossir à vue d’oeil sur les écrans de télé et les photos de presse et je fus surpris par sa mort soudaine, trois ans avant la fin de son septennat. Je n’ai pas voté ensuite pour Giscard, trop bourgeois et libéral à mon goût. J’ai apprécié néanmoins quelques unes de ses réformes, même si la majorité à dix-huit ans pour moi venait trop tard ! J’ai aspiré à l’arrivée de Mitterrand mais en fus très vite déçu. Ses tendances tout à la fois machiavéliques et pharaoniques me l’avaient rendu antipathique et je n’ai pas pleuré à son départ. J’avais aimé Chirac, maire de Paris. Moins, le Chirac président. Son immobilisme et sa prudence d’alors, l’avait fait comparer, à juste titre, à l’un de nos anciens rois fainéants. J’ai été peiné pour Sarkozy, cocu avant même d’être élu. J’ai compati à ses migraines et n’ai pas partagé la haine que partout il suscitait, fort heureusement tempérée par son nouvel amour pour une belle italienne. Je n’avais pas souhaité l’élection de Hollande, porteuse de trop de déceptions annoncées pour ceux-là mêmes qui l’avaient élu. Plus technocrate qu’homme d’état, il fut parfait dans l’inauguration des chrysanthèmes par temps de pluie. J’ai applaudi à la prise du pouvoir par Macron, qui consacra l’implosion des vieux partis traditionnels et fit barrage aux candidats situés aux extrêmes de l’échiquier politique. Après un début jupitérien, il essuie depuis lors tempête sur tempête… Je souhaite bien du courage au prochain président ! 
par Jacky Barozzi 09 oct., 2021
Lucéram d'antique cité. Avec son arrière-pays, Nice est plus qu’une ville : c’est un comté. Un comté qui s’offre le luxe d’englober une principauté, et constitue à lui seul plus des deux tiers du département actuel des Alpes-Maritimes. Nice à tous les attributs d’un pays : un territoire, un peuple, une langue (le « nissart ») et même une cuisine ? Le Niçois n’a ni la jovialité du Provençal ni la volubilité de l’Italien. Il ne manque pas d’humour, mais c’est un pince-sans-rire, tout à la fois orgueilleux et timide. Farouche, volontiers rebelle, le Niçois est indépendant sans être indépendantiste. Contrairement à son proche cousin Corse, avec lequel il partage cependant bien des caractéristiques. Lucéram n’est pas le « pittoresque village de l’arrière-pays niçois » que nous décrivent les dépliants touristiques actuels. C’est en fait une antique cité, riche d’une histoire singulière. Rares sont les lieux qui ont conservé un environnement et une population d’une telle authenticité : les Lucéramois d’aujourd’hui sont les descendants directs des familles fondatrices d’une bourgade qui n’a pratiquement pas changée depuis des siècles ! Cette pérennité dans l’espace et les gens est le résultat d’une pratique intensive de la consanguinité, portée jusqu’à l’extrême limite de l’inceste ! De fait, dans le village, tout le monde est plusieurs fois apparenté. Les arbres généalogiques se croisent et s’entrecroisent à souhait. Pour le vérifier, il n’y a qu’à se rendre au cimetière. Là, les pierres tombales présentent d’infinies variations autour des mêmes noms : Barralis, Barrayas, Gal, Paul ou Dalmas, pour les plus anciens, accolés aux traditionnels prénoms d’Adrien, Honoré, Félix, Aimé, Prosper, pour les hommes, de Joséphine, Adrienne, Honorine, Françoise, Marie, pour les femmes. Difficile de savoir qui était qui ? Heureusement, les dates se révèlent souvent fort utiles pour une meilleure identification ! De ce lignage intriqué, il résulte un type physique propre aux habitants. Notamment les mâles, qui sont généralement plus petits que la moyenne, de corpulence trapue, le muscle sec, le visage rond, les cheveux et les yeux clairs, la calvitie précoce. Des caractéristiques physiques qui sont parfaitement incarnées par Albert de Monaco, dont la réserve, voire la timidité, fait écho, de surcroît, à l’humeur farouche et fière des Lucéramois. Il faut savoir que Lucéram a été riche, jadis. Avant de devenir de modestes cultivateurs, ses habitants furent de prospères négociants. De cette aisance passée, il leur reste de nombreux vestiges, ainsi qu’un trésor ! Une tour crénelée, des remparts, de belles maisons médiévales dont certaines semblent de véritables petits palais vénitiens, trois églises dans le village et plusieurs chapelles aux environs, des peintures et fresques signées par les meilleurs artistes locaux des XVème et XVIème siècles, dont un retable attribué à Louis Brea (1475-1522) , et de splendides pièces d’orfèvrerie tout aussi anciennes. Leur fortune, âprement défendue, les Lucéramois la devaient à la position stratégique qu’ils occupaient sur la route du sel , reliant Palerme à Nice via Turin. Longtemps les caravaniers durent s’acquitter ici d’un lourd tribut, que les familles alliées ne voulurent partager avec personne d’autre qu’eux-mêmes.
par Jacky Barozzi 07 oct., 2021
En 697, déjà, tandis que Byzance régnait sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, douze tribuns élurent leur premier doge, Paulicius. Il y avait là, selon le chroniqueur Jean le Diacre (1050-1129) : Badoer, Barozzi , Contarini, Dandolo, Falier, Gradenigo, Memmo, Michiel, Morosini, Polani, Sanudo et Tiepolo. Les représentants des plus anciennes familles patriciennes, appelées pour cette raison « apostoliques », de la future République de Venise. Qui étaient ces Vénètes de légende, que Tite-Live et Virgile font descendre des Enéens de Paphlagonie, réfugiés en haute Adriatique après la chute de Troie, sur les terres des antiques Euganéens ? Difficile de le dire, tant leur origine est mythique ! Ce qui est avéré, c’est l’apparition, entre 1000 et 700 avant Jésus-Christ, d’une population constituée autour d’un territoire dont l’épicentre se situe à Este. De 218 à 203, on les retrouve alliés aux Romains dans leur guerres contre Hannibal. Plus tard, leur capitale sera Aquilée, fondée en 181 de notre ère. Peuplades d’agriculteurs, au départ, indomptables, courageux et ingénieux, sans cesse assaillis par les barbares, ils finiront par se réfugier dans les lagunes et marécages, d’où ils rebondiront ensuite, partant à la conquête des mers. Devenus d’habiles commerçants et de fins diplomates, ils bâtiront un empire dont l’influence s’étendra jusqu’en Orient et un modèle d’organisation sociale et politique d’une rare subtilité : une république aristocratique, unique dans son genre, sur laquelle on s’interroge encore. Enfin, grâce à tout l’or amassé et leur raffinement indépassable, ils ont légué au monde un trésor : Venise ! Ville de tous les arts.
par Jacky Barozzi 02 oct., 2021
Jacques Barozzi LA MAISON AUX ARCADES roman-cinématographique « - Alors, tu vas vraiment faire ça ? « Evoquer tes souvenirs d’enfance »… - Oui, je n’y peux rien, ça me tente, je ne sais pas pourquoi… - Est-ce vrai ? Tu n’as vraiment pas oublié comment c’était là-bas ? - Rassure-toi… des petits bouts de quelque chose d’encore vivant… je voudrais, avant qu’ils disparaissent … » Nathalie Sarraute, Enfance Je suis né le 30 janvier 1952, à 0 H 30 du matin (Verseau ascendant Balance), à Saint-Dizier, l'ancien hôpital de Cannes, situé alors dans le haut du Suquet. La veille de ma naissance, ma mère avait eu une furieuse envie de flageolets blancs à la niçoise, l’un de ses plats préférés. Son appréhension était fort grande, car, trois ans auparavant, l'accouchement de son premier fils, avait été douloureux. Avec moi, tout fut plus aisé. En poussant, elle se vida de tous les côtés ! Elle en riait encore lorsqu'elle me rapporta ces faits, des années plus tard. Pour le nouveau-né mariné à la sauce tomate que je fus, elle en déduisit les plus heureux présages. Je vins à la conscience dans un univers de cris et d’hystérie. Ma mère n’était pas heureuse en ménage, malgré un mari qui, visiblement, l’adorait. Le soir, à l’heure de la soupe, à son retour du travail, après, il est vrai, un long détour par le café, ma mère, immanquablement, faisait une scène à mon père. Elle lui reprochait de prendre du bon temps avec ses amis, tandis qu’elle passait d’interminables journées à s’occuper de la maison et des enfants : mon frère aîné, Ange, et moi. Excédée par son calme imperturbable, après avoir épuisé son lot de gesticulations et de plaintes stridentes - mes parents étaient sourds et muets -, elle finissait par ouvrir la fenêtre de la salle à manger et le mettait en demeure de la jeter au milieu du carrefour, deux étages plus bas. Comme il ne bougeait pas, elle se penchait spectaculairement dans le vide, tandis que je la suppliais en pleurs, la retenant par le bas de sa blouse : je n’avais pas encore cinq ans. C’est le moment qu’habituellement mon père attendait pour se lever et venir lui donner une paire de claques sonnantes et trébuchantes, sous l’œil blasé d'Ange, resté tranquillement assis. Nous reprenions alors place à la table familiale, elle, calmée et triomphante, moi, terminant le potage en essuyant mes larmes, dans le silence retrouvé.
par Jacky Barozzi 20 sept., 2021
Jacques Barozzi Fédal le rêveur illustrations Jacques Sol
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