
L'octroi, à gauche, et la maison aux Arcades, à droite, à la fin du XIXe siècle.
Il était une fois dans l’ouest… cannois
Mon grand-père paternel, Erminio Barozzi, est né le 1er juillet 1864, à Monfestino, une ville des environs de Modène.
C’est imprimé en toutes lettres dans son acte de décès, établi par la mairie de Cannes, où il est mort le 29 avril 1942, à l’hôpital Saint-Dizier, qui m’a vu naître dix ans plus tard.
Il avait alors 78 ans.
Le document mentionne la profession de "jardinier" et indique qu’il était le fils de Joseph Barozzi et de Joséphine Venturelli.
Il précise aussi qu’il était l’époux de Julia Bertagnini, « toujours vivante ».
Cette dernière est morte en 1950, à l’âge de 83 ans.

Mon auguste aïeul, Erminio Barozzi, peu de temps avant sa mort à Cannes en 1942.
Mes aïeux sont arrivés à Cannes, en passant par le Piémont, dans les dernières années du XIXème siècle.
Ils avaient une trentaine d’années et étaient accompagné de deux jeunes enfants.
Leur fils Annibal, né en Italie, en 1893, et l’aînée, Maria, fruit d’un premier lit de Julia Bertagnini.
Julia n’était certainement pas veuve, quand elle a épousé Erminio, mais plutôt fille-mère, ainsi que le laissait entendre la rumeur familiale.
Ce nom de Bertagnini ne se rencontre que dans une seule région d’Italie : Massa Carrare, à l’extrémité nord de la Toscane, que la chronique historique déclare être passée sous la domination de Modène, au début du XIXème siècle.
Où et comment ces deux-là se sont-ils rencontrés ?
Sont-ils venus à Cannes pour y chercher du travail ou pour cacher leurs coupables amours ?

Le café tabac de l'Octroi en 1899, à l'orée des plaines de l'ouest.
Il semble que très vite mes grands-parents aient établi leur campement sur la route de Grasse, à la sortie de Cannes, juste après l’octroi, un poste à péage où les entrants et les sortants de Cannes s’acquittaient des taxes dues sur les personnes et sur les marchandises.
Au cœur de ce qui est devenu par la suite le vieux Rocheville, baptisé alors Four-à-Chaux : lieu-dit qui donna son nom à cette vaste portion de territoire, enchâssée entre Cannes et Mougins, rattachée plus tardivement à la commune du Cannet, devenue, elle, indépendante par un arrêt du Conseil d’État, le 9 août 1774.
Au-dessus de Cannes, les limites de la ville ne peuvent être clairement identifiées.
Le territoire du futur Rocheville constitue alors un espace éclaté, une«campagne».
À l’époque de mes grands-parents, on dénombrait là quelques centaines d’habitants, essentiellement des travailleurs immigrés italiens,

Au début du XXème siècle, le carrefour de Rocheville s’est rapidement développé, d’une manière qui n’est pas sans évoquer le Far West californien, si ce n’est qu’ici, dans les constructions, la pierre et la tuile ont remplacé les rondins de bois.
Au fil des ans, on vit surgir, entre les nouvelles habitations et les divers négoces : des rues pavées, une place, une église, un bureau de poste art déco et une mairie annexe.
Après la naissance de mon père, le dernier de leurs six enfants, en 1907, il semble que la situation de mes grands-parents se soit passablement améliorée.
Comment expliquer sinon leur installation dans l’un des plus beaux appartements de l’immeuble aux arcades, construit en 1883 ?

Très vite, mes grands-parents acquirent des terrains, les exploitèrent et commencèrent à vendre leur production au marché Forville de Cannes.
La tribu commença alors à gagner de l’argent.
Mes vieilles tantes, Henriette et Joséphine, se souvenaient des bois et des campagnes qu’elles traversaient, encore gamines, dans la nuit, en tirant un lourd charreton de primeurs destinées à l’alimentation des Cannois.
Selon leur témoignage, notre grand-père aurait ouvert une cantine, au carrefour de l’avenue des Broussailles, là où se trouvait le cinéma Azur.
Là, venaient y manger les immigrés célibataires, jeunes agriculteurs ou maçons Italiens, généralement des journaliers.
Plus qu’une cantine, c’était une trattoria-charcuterie où mes grands-parents tuaient eux-mêmes les animaux dans l’arrière-cour.
Là, mon grand-père, plus âgé que ses coreligionnaires, était considéré comme « l’ancien » (shérif, juge ou parrain ?) et on venait le consulter en cas de conflits.

En 1881, est créée une desserte par omnibus entre Cannes et le Four-à-Chaux.
Par la suite, le petit bâtiment de l’octroi, sans porte ni fenêtres, est transformé en abri bus, tel que je l’ai connu dans ma jeunesse.
C’est seulement le 20 décembre 1932 que les hameaux constitutifs du territoire du Four-à-Chaux, prennent, après consultation des habitants, officiellement le nom de Rocheville.

La place de Rocheville avec sa fontaine et son platane (mort au début du millénaire), le boulevard Paul-Doumer et l'ancienne église.
À ma naissance en 1952, deux ans après la mort de ma grand-mère paternelle, mes parents échangèrent alors l’appartement plus vaste que celle-ci partageait avec son fils Annibal, au carrefour de Rocheville, contre leur petit deux-pièces cannois du marché Forville, où le frère aîné de mon père, resté vieux garçon, s’installa.

C’est là que se déroula toute mon enfance et mon adolescence.
Nous y louions le principal appartement du deuxième étage, précédemment occupé par mes grands-parents, agrémenté de deux balcons : quatre pièces en enfilade, plus un cagibi.
Au fil des ans, une nouvelle poste et mairie annexe, dans le goût des années 1960, fut construite, remplaçant les précédentes de style art déco, et une nouvelle église Saint-Charles succéda à l'ancienne .

La nouvelle église Saint-Charles, dans toute sa majesté.

Et la poste et mairie annexe futuristes des années 1960.
Dans ma jeunesse, du balcon, on pouvait encore voir la campagne environnante.
Désormais tout est bétonné !
Le carrefour est devenu le cœur historique d’une cité dortoir.

Vue générale de Rocheville en 1961.
Malgré tout la maison aux arcades subsiste.
Telle qu’on peut toujours la voir au 1, avenue des Ecoles, où, aujourd’hui, elle est devenu le plus ancien vestige du centre de Rocheville, avec la fontaine installée sur la place en 1896.
En juillet 2025, la municipalité du Cannet-Rocheville a acquis les fonds de commerce du café-tabac des Arcades et le bâtiment est en voie de rénovation complète.
Une résurrection annoncée !

La maison aux Arcades en 2025, avant rénovation.



