
Le MIDEM ou Midem (Le Marché international du disque et de l'édition musicale) se déroule chaque année à Cannes depuis 1967. Ici, The Pointer Sisters, en 1970.
Le scopitone d’un baby boomer cannois
Mes parents étaient tout deux sourds et muets.
Un handicap qui rendait ma mère proprement folle et que mon père prenait plutôt avec philosophie : « Mieux vaut être sourd qu’aveugle », lui répétait-il souvent pour tenter, en vain, de la consoler.
Un beau soir, en rentrant de son atelier de tailleur de pierre-marbrier, nous eûmes la surprise, mon frère aîné, José, et moi, de voir que notre adorable père tenait à la main un transistor tout neuf, qu’il nous offrit aussitôt.
Jusqu’alors, tandis que les juke box et les premiers scopitones fleurissaient dans la plupart des bars et des cafés de France et de Navarre, nous n’avions eu droit, en matière de chansons, qu’aux sempiternelles rengaines de Tino Rossi, que notre voisine, la brune Carmen Esposito, repasseuse en chambre, donnait à entendre à tout l’immeuble, du haut de sa mansarde. Depuis les « O Catarinetta bella ! Tchi-tchi » jusqu’à « Petit papa noël, quand tu reviendras du ciel…», rien ne nous était épargné du vaste répertoire du célèbre crooner corse !
Désormais, en faisant mes devoirs à la maison, après les cours, je pouvais écouter le Hit parade à la radio.
En ce temps-là, la jeunesse était résolument yéyé, dansait le twist et lisait Salut les Copains.
Les plus grands organisaient même des surboums ou des surprises-parties, propices aux premiers flirts.
Déjà, Johnny n’hésitait pas, non sans raison, à claironner que les gens l’appelaient l’idole des jeunes. `
Une jeune fille de Français moyens, à drôles de couettes, surnommée Sheila, qui jusqu’alors vendait des bonbons sur les marchés avec ses parents, décréta que la cloche avait sonnée et que l’école était finie.
Sylvie Vartan, quant à elle, affirma péremptoirement qu’elle était la plus belle pour aller danser, alors que la mélancolique Françoise Hardy se lamentait tristement que tous les garçons et les filles de son âge allaient par les rues deux par deux, les yeux dans les yeux et la main dans la main sans peur du lendemain, à l’exception d’elle, qui errait l'âme en peine, car personne ne l’aimait.
Claude François prétendait que, s’il avait un marteau en main, il referait le monde, tout en sautant en l’air comme un cabris surexcité.
Un certain Christophe cria tout un été pour qu’Aline revienne, car il avait trop de peine.
Les Surf, un groupe constitué de quatre frères et deux soeurs malgaches, nous supplièrent de ne pas nous en aller comme ça, en oubliant leur existence.
Patricia Carli chantait : « Arrête, arrête, ne me quitte pas, je t’en supplie aie pitié de moi ! », que les garnements parodiait en cours de récréation par : « Arrête, arrête, ne me touche pas, avec ta main pleine de doigts ! ».
Richard Anthony, l’homme qui entendait siffler le train, traduit en arrière-train par les mêmes garnements de cours de récré, fit un nouveau triomphe avec « Fiche le camp Jack et ne reviens plus jamais, jamais, jamais. Fiche le camp Jack et ne reviens plus jamais ».
Gigliola Cinquetti, une jeune italienne encore mineure, triompha à l’Eurovision, avec une chanson où elle disait à un adulte qu’elle n’avait pas encore l’âge (Non ho l'eta) pour l’aimer et sortir avec lui.
Alors que France Gall ne trompait personne, sauf peut-être elle-même, lorsqu’elle interprétait innocemment avec Serge Gainsbourg, sa chanson sur les sucettes à l’anis d’Annie, qui en coulant dans sa gorge la transportait au paradis…

Johnny Hallyday, 19 ans, en août 1962, posant devant l'affiche de son concert du 2 août au Palais des Festivals (Palais Croisette, théâtre aux Etoiles) barrée d'un bandeau "Interdit par la mairie et l'office du tourisme de Cannes".
Après la mort soudaine de mon père, en décembre 1962, José, élève au lycée technique Jules-Ferry, fut placé en apprentissage chez l’ancien employeur de notre père.
Avec son premier salaire, il s’offrit un pick-up et quelques 45 tours des Chats sauvages et des Chaussettes noires ainsi que de Vince Taylor.
S’affirmant plus rockeur que yéyé, il en adopta l’attitude rebelle et la panoplie adéquate : jeans Lewis-Strauss, sous-pull sombre, chaine en sautoir et veste en peau retournée et tourna inévitablement blouson noir.
Pour ma part, je m’intéressais à la variété française en général, et plus particulièrement aux chanteurs à texte.
Si je regardais toujours le Palmarès des chansons de Guy Lux et Âge tendre et tête de bois d’Albert Raisner à la télé, je ne manquais jamais le Discorama de Denise Glaser, le dimanche à l’heure du déjeuner.
J’étais plutôt Brel que Brassens et Ferré que Ferrat. Et j’adorais par dessus tout Barbara.
Ce qui ne m’empêchait pas d’apprécier, par ailleurs, Michèle Torr, Dalida, Mireille Mathieu et Georgette Lemaire, dont on se demandait laquelle des deux serait la nouvelle Piaf, Hervé Vilard et Nicoletta, qui avaient été élevés à l’orphelinat, Jacqueline Dulac, qui avait gagné le concours de la Rose d’Or d’Antibes avec sa chanson Ceux de Varsovie, Mike Brant et Joe Dassin, que je trouvais particulièrement sexy et qui m’incitèrent à laisser pousser mes cheveux long, me faire des brushings et m’habiller serré à la manière des petits minets de drugstore, que Jacques Dutronc tournait en dérision dans l’une de ses chansons.
J’écoutais aussi avec plaisir Charles Trenet, dont j’appréciais la poésie fantaisiste, le virevoltant Gilbert Bécaud, surnommé « Monsieur 100 000 volts » et même Philippe Clay, dont la chanson Mes Universités avait pourtant été écrite en réaction contre les soixante-huitards.
C’était l’époque où Antoine voulait mettre Johnny en cage à Médrano, lequel lui répondit par la chanson Cheveux longs et Idées courtes.
Mais je leur préférais nettement Serge Reggiani, quand il chantait La femme qui est dans mon lit, Les loups sont entrés dans Paris ou Votre fille a vingt ans.
Et Claude Nougaro, swinguant sut Toulouse, sa ville natale, ou imaginant BB sur l’écran noir de ses nuits blanches.
Ou encore Régine, déclinant toutes les sortes de papiers : de riz, d’Arménie, buvard, tue-mouche, de soie, etc.
C’est alors qu’une musique venue d’ailleurs, portée par quatre garçons dans le vent, s’abattit sur notre génération et que je me mis à écouter tous les soirs le Pop-Club de José Artur sur France-Inter, bien avant la déferlante du disco, du temps où Dave chantait aux terrasses des cafés et où j’écoutais Ike et Tina Turner ou Otis Reeding…





