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Jacques Barozzi




Fédal le rêveur




illustrations Jacques Sol



1 - Seul au monde


Ce matin-là, Fédal fut réveillé par le silence.

D’ordinaire, sa mère devait intervenir à plusieurs reprises pour lui faire seulement ouvrir les yeux :

« Lève-toi ! …Ton petit déjeuner est servi…Dépêche-toi, tu vas encore être en retard ! » Ce n’est qu’au bout de dix bonnes minutes, lorsque le ton devenait franchement menaçant, que Fédal consentait finalement à abandonner ses rêves et la chaleur de son lit.

Mais, ce matin-là, il n’en fut rien. Seul le silence régnait : un silence inhabituel, étrange, pour le moins singulier. Il porta un bref coup d’œil au réveil qui lui indiqua : 7h59.

A peine un quart d’heure de battement avant le départ pour l’école ! Pourtant, Fédal resta assis dans son lit. Passablement inquiet, il écouta le silence : aucun bruit dans la maison, aucune rumeur en provenance de la rue. N’habitait-il pas à l’angle d’un carrefour particulièrement animé ? La neige serait-elle tombée durant son sommeil ? Impensable, nous étions au mois de mai !

Et c’est ainsi que, pour la première fois de sa vie, alors qu’il aurait pu paresser tout à loisir, Fédal jaillit vigoureusement hors de sa couche et appela : « Maman ! maman ! maman ! »

Aucune réponse. Personne dans la chambre voisine, ni dans la salle de bain. Pas d’avantage dans la salle à manger et dans la cuisine. Sur la table en formica, cependant, le bol du petit déjeuner était à sa place, encadré des habituelles tartines de pain croustillant, généreusement beurrées et recouvertes d’une épaisse couche de confiture de cerise, comme il les aimait. La vue du chocolat fumant le rassura un peu. Il s’était peut-être réveillé dans une maison fantôme, mais en tous les cas, sa bonne fée de mère veillait encore sur lui. Elle ne l’avait pas complètement abandonné.

Mais où était-elle ? Et ce silence étrange à l’extérieur ? Sa mère était sans doute descendue aux nouvelles. Fédal avala la moitié d’une tartine qu’il fit passer à l’aide de quelques lampées de l’onctueux liquide. Il n’avait pas le temps d’assouvir sa gourmandise. Le museau négligemment débarbouillé à l’eau froide, il s’habilla en toute hâte, attrapa son cartable au vol et dégringola les cinq étages de l’immeuble…

Dehors, il fut stoppé net dans son élan. Les bras ballants, il découvrit un spectacle absolument hallucinant : la boulangerie, la boucherie, le café, le magasin d’alimentation, la librairie, le marchand de cycles étaient bien ouverts, les étals sortis, mais point d’âmes qui vivent. Pas une voiture ne roulait sur la chaussée, pas un piéton sur les trottoirs, pas un client chez les commerçants, pas même le pépiement d’un moineau dans les branches touffues du gros tilleul sur le terre-plein central ! Pas un bruit, personne, point de mère non plus dans le voisinage. Non il ne dormait pas. Etait-ce un rêve ou bien un cauchemar ?



Bien que son cœur battît très fort, Fédal n’était ni inquiet ni effrayé. Seulement surpris, voire émerveillé. Aurait-il pu imaginer cela : se réveiller seul au monde ? Non pas en plein désert, mais dans une ville familière, pleine d’objets et de nourritures pour lui tout seul.

Désormais, il était libre. Mais l’était-il entièrement ? Malgré tout, il jugea plus prudent d’aller vérifier si, du côté de l’école, la situation était identique.
Tandis qu’il s’apprêtait à partir en courant, il se ravisa. Pourquoi se refuserait-il le plaisir d’emprunter le beau vélo rouge qu’il admirait depuis plusieurs jours dans la vitrine du marchand de cycles ? 

Trônant au sommet de la rutilante bicyclette, il dévala en roue libre la rue des Orties qui descendait en pente douce jusqu’à l’école et, au-delà, terminait sa course au bord de la mer. Ainsi, il pouvait admirer tout à loisir les beaux jardins fleuris des villas qui bordaient la route, et humer avec délice les mille senteurs doucereuses de l’air auxquelles se mêlait l’odeur salée des embruns. Il faisait beau, le soleil tapait déjà très fort, mais une légère brise parvenait cependant à maintenir un peu de fraîcheur dans l’atmosphère. Sur la droite, au bout de la majestueuse allée de platanes, Fédal aperçut, noyé au milieu du parc luxuriant, le vieux château des Orties. Il était presque arrivé. Aucune rumeur ne parvenait à ses oreilles. C’était bon signe. Devant la cour de récréation, il constata avec soulagement qu’elle était déserte, elle aussi. Il ne put alors se retenir de lancer un retentissant « Youpie ! »

La grille d’entrée était grande ouverte. Fédal se dirigea tout droit vers le bâtiment qui abritait sa classe. Là, il sauta de sa bicyclette et se retrouva sur le perron.

A l’intérieur, point de maître ni d’élèves. Seulement une salle vide, avec un grand tableau noir et des pupitres alignés. On n’entendait même pas le vol d’une mouche ! Cette pièce jadis si familière, lui apparut soudain très lointaine dans son souvenir, comme faisant partie d’un passé révolu. Tout cela était-il bien terminé ? Est-ce qu’à partir d’aujourd’hui une nouvelle vie commençait pour lui ?

Il n’aurait su le dire. Cependant, il sentit avec certitude que rien ne serait plus jamais comme avant. Il n’avait pas peur. Il était même plutôt content. Ce matin-là, Fédal venait tout juste d’avoir dix ans. 




2 - La visite du château


Depuis longtemps, Fédal rêvait de visiter le château des Orties et son immense parc aux allures de forêt vierge. Propriété du marquis et de la marquise des Orties, cette demeure voisine de l’école lui paraissait disproportionnée en regard du modeste appartement qu’il occupait avec sa mère. N’était-il pas injuste que des gens puissent posséder une telle maison, alors que d’autres dorment sous les

ponts ? Quoiqu’il en soit, il aurait bien aimé, lui aussi, habiter là. Combien de fois, en passant devant l’entrée principale, n’avait-il songé à se glisser incognito dans le parc ! Jusqu’alors, s’il ne s’y était jamais risqué, ce n’était pas par respect pour la propriété d’autrui. Non. Tout simplement parce que chaque fois qu’un promeneur s’attardait devant la grille du château, il voyait instantanément surgir deux énormes dobermans au pelage couleur ardoise. Même s’ils n’aboyaient pas vraiment, se contentant seulement de grommeler, leurs yeux rouges et leurs mâchoires écumantes aux dents cruellement acérées en disaient assez long sur leurs intentions. Il aurait fallu être carrément inconscient ou proprement fou – ce qui revient à peu près au même – pour oser pousser la grille sans y avoir été invité. Malgré la curiosité qui le démangeait, Fédal n’avait jamais osé sauter le pas. N’importe ! Aujourd’hui il pouvait enfin satisfaire son désir. Rien ni personne, et surtout pas les horribles molosses disparus eux aussi, ne pouvait l’en empêcher. 



La promenade dans le parc fut un continuel ravissement. Abandonnant l’allée des platanes, Fédal s’aventura dans un bois d’eucalyptus odoriférants. Il atteignit une large pièce d’eau sur laquelle une ravissante barque fraîchement peinte en jaune, bleu et mauve semblait l’attendre. Se saisissant des rames, il traversa l’étang et accosta à l’orée d’une profonde pinède. Plus loin, il batifola à travers des champs d’herbes folles, parsemés d’oliviers. Puis il emprunta une allée bordée de palmiers et de lauriers roses alternés qui menait à un terrain de tennis. De là, il dévala un sentier ombragé par des jujubiers et put regagner le château. La façade principale était plus belle que celle visible de la rue. Elle s’ornait de deux tours d’angle et d’une douzaine de fenêtres réparties sur trois étages. Au centre, un majestueux escalier à double volée conduisait à une terrasse d’où l’on avait un point de vue remarquable sur la ville tout entière. Tandis que l’horizon était barré par la mer, un jardin sagement ordonné et fleuri se déployait au premier plan.

Tout à son émerveillement, Fédal ne put réprimer les bruyants gargouillis qui se faisaient entendre dans le tréfonds de son estomac : il était midi passé. Traversant en courant une enfilade de pièces dont il remarqua à peine le somptueux mobilier, il déboula dans la salle à manger. S’il avait pu craindre, l’espace de quelques secondes, qu’il risquait de ne rien trouver à se mettre sous la dent, la table qu’il découvrit, parée pour un festin de roi, le rassura définitivement. Viandes, poissons, volailles, légumes, fruits, entremets, gâteaux, tous plus rares et délicats les uns que les autres, attendaient l’honneur suprême d’être consommés. Fédal, entouré des portraits au regard hostile du marquis et de la marquise, ingurgita une impressionnante quantité de nourriture, non sans avoir souhaité auparavant à ses hôtes un ironique : « Bon appétit ! »




3 -Des humains invisibles


Quand la réalité devenait par trop contraignante, Fédal avait la faculté de s’en évader par le rêve. Quittant alors un univers ennuyeux, il entrait aussitôt dans un monde magique. Certes, il pouvait rêver en dormant, mais aussi tout éveillé. Combien de fois, au cours d'interminables leçons de grammaire ou de barbants énoncés de problèmes ne se retrouvait-il pas en train de gambader à travers champs ! Tout cela sans quitter son bureau et sous le regard bienveillant de monsieur Truchon, l’instituteur. Les situations produites par son imagination primaient alors sur la réalité. Pourtant, ce qu’il vivait désormais dépassait de loin ses évasions les plus folles. Le quotidien avait-il voulu se venger de ses constantes trahisons ? Ou bien s’était-il perdu dans le puits sans fond de son

imagination ?

Confortablement installé au salon, dans un fauteuil dodu et rembourré à souhait, Fédal maintenant réfléchissait. Après le déjeuner, il avait piqué un somme, sans rêve, et s’était éveillé au beau milieu de l’après-midi, l’esprit parfaitement clair : « Suis-je vraiment seul au monde ? Une radiation nucléaire aurait-elle rayé toute vie humaine de la planète ? Pourquoi m’aurait-elle épargné ? Ne suis-je pas plutôt devenu complètement fou ? En tous les cas, c’est une folie particulièrement douce, songea t-il. »

Puis, passablement inquiet, il se demanda ce que l’avenir lui réservait. Le programme des réjouissances n’allait-il pas changer ? N’avait-il pas commencé par le dessert avec, en perspective, une soupe à la grimace à avaler ?

Une foule de questions se bousculait dans sa pauvre caboche. Trop chamboulé et ne trouvant aucune réponse, Fédal voulut se changer les idées. Face à lui, sur une table basse, il avisa l’écran de télé :

« Allumons, se dit-il, et voyons quelles sont les nouvelles ! »

Lorsque, passant d’une chaîne à l’autre, il découvrit les émissions habituelles, il s’en trouva rassuré.

Soudain, sur le canal local, on annonça le flash d’information de 17 heures. Fédal retint son souffle : allait-il enfin connaître la vérité ?

Non. Rien de spécial. Ce fut un journal ordinaire. Le même, à quelques variantes près, que celui qui est égrené chaque jour.

Aujourd’hui, en ce 13 mai, la région eut l’honneur de la visite officielle du ministre des Affaires Interplanétaires. Il fut question aussi d’un ambitieux projet de complexe antitouristique dont les travaux venaient de débuter. On eut droit encore à un sordide fait-divers : dans un village de l’arrière pays, une fillette de huit ans avait sauvagement découpé à la scie, après l’avoir assommé par surprise, un jeune homme de vingt ans qui avait refusé de lui offrir des bonbons. Par ailleurs, des écologistes avaient manifesté bruyamment devant la préfecture. Ils réclamaient la construction d’un important bâtiment en béton sur le bord de la mer afin d’y tenir leurs réunions. Finalement, le spécialiste de la météo affirma qu’il pleuvait sur tout le littoral. Fédal fronça les sourcils : depuis son réveil, la journée était particulièrement belle et ensoleillée. C’est alors qu’il eut une sorte d’illumination : « Et si, à force de fuir la compagnie des autres et de nier la réalité, les êtres humains avaient perdu toute consistance à mes propres yeux au point de devenir, tout en étant présents, totalement invisibles ? »



4 - Un poétique départ


Fédal déambula à travers les rues désertes de la ville, visitant les habitations privées, les bâtiments officiels, les hôtels, les boutiques, les places, les jardins publics…Seul, il était bel et bien seul. Ni chien errant ni chat de gouttière, pas même une pauvre souris au fond d’une cave ou une malheureuse abeille butinant une fleur.

Maintenant, assis sur un banc du bord de mer, il se lamentait. – Que vais-je devenir ? Petite maman adorée, si patiente et si gentille avec moi ? Où es-tu ? Et vous mes chers camarades de classe, combien je regrette de n’avoir voulu prendre part à vos jeux ? Comme j’ai été égoïste de préférer mes aventures solitaires à votre compagnie ! Que n’ai-je choisi la vie réelle aux délices de mes rêves et de mon imagination ! Me voilà bien puni ! Hi ! Hi ! Hi ! …

La nuit commençait à tomber. Cherchant au fond de ses poches un mouchoir capable de canaliser les torrents de larmes qui coulaient de ses yeux, Fédal n’y trouva qu’un bout de papier soigneusement plié en quatre. S’épongeant du revers de ses manches, reniflant un bon coup, Fédal déplia la feuille et, à la lumière du réverbère, lut :


A l’heure crépusculaire

Tu prendras le bateau

Vogueras sur les flots

Accosteras sur terre

Dans un pays nouveau

Bien plus beau que les mots

Vision nouvelle et travaux

Sont désormais ton lot.


Quel curieux poème, songea t-il, on dirait un message. Il le lut plusieurs fois puis, levant la tête, il découvrit à l’ancre, au bout de la plage, un beau bateau blanc illuminé comme pour une fête. L’embarcation fantôme semblait l’attendre.

Sans hésitation, il rejoignit le navire et disparut au large.



5 - En route vers le pays des Narxis


Quelques jours avant les évènements qui nous préoccupent, Fédal avait lu et relu un ouvrage passionnant sur une peuplade ancienne, les Narxis. Cela se passait il y a bien longtemps. Surgi mystérieusement des flots, ce peuple, composé uniquement de mâles, n’avait vécu que le temps d’une génération. Leur ville occupait un point stratégique sur une île de la Mer Verte, qui n’avait jamais pu être localisée.

Valeureux guerriers, quoique pacifiques, les Narxis n’avaient jamais quitté leur cité pour partir à la conquête d’autres terres. Ils se contentaient seulement de créer des œuvres d’art : statues, céramique, fresques, poteries, bijoux… Ni agriculteurs ni pêcheurs, mais plutôt artistes et érudits, ils entretenaient des échanges épistolaires avec les savants du monde entier. Les Narxis étaient ravitaillés en matière première par les marins qui venaient des quatre coins de la planète pour faire du troc avec eux.

Riches et raffinés, athlètes accomplis, ils étaient rapidement parvenus à un niveau extrêmement élevé de civilisation. On vantait, aujourd’hui encore, la pureté de leurs mœurs, la perfection de leurs institutions politiques et sociales, l’étendue de leurs connaissances, la splendeur de leurs maisons.

Un beau jour, une femme nue, sortie des ondes, vint à leur rencontre sur la plage. Il s’agissait de la déesse Eufemellia, la fille de l’Océan et de la Lune. Sa beauté ne produisit pas l’effet escompté sur ces mâles qui n’avaient jamais vu de leur vie un représentant de l’autre sexe. Malgré toute leur science, ils ne surent que faire de cette divine naïade : faisait-elle partie de la race des poissons, celle-là même que dans les livres l’on nomme « sirène » ? Perplexes, ils la rejetèrent aussitôt à l’eau.

Ne s’étant donc jamais reproduits, ils disparurent, ne laissant aucune descendance hormis une tenace légende transmise de génération en génération depuis la nuit des temps.

Fédal savait, pour l’avoir lu, que les Narxis s’exprimaient essentiellement en vers. Non point en alexandrins, comme dans les tragédies de Racine ou certaines comédies de Molière, mais à la manière particulière du message évoqué auparavant. Aussi ne s’étonna- t-il pas, à l’issue de sept nuits et de sept jours de traversée, d’accoster à Narxos, l’antique cité des hommes-d’une-seule-génération.



6 - Un monde idéal


La ville, effectivement, était spectaculaire. Aussi déserte que celle qu’il venait de quitter, mais moins angoissante, moins oppressante toutefois, car le règne animal y était toujours présent : le bourdonnement de nombreux insectes s’y faisait entendre et l’on y apercevait, de-ci de-là, de beaux lézards aux teintes irisées.

Peut-on imaginer un pays dont les rues pavées, les maisons, les monuments, ainsi que les rochers, les collines et jusqu’aux moindres grains de sable, sont en marbre blanc ?

Ainsi était Narxos, cité virginale qui épousait les couleurs du temps : verte comme la mer au lever du jour, jaune aveuglante au soleil de midi, rougeoyante au crépuscule, bleutée à la tombée du soir, scintillante sous les étoiles, laiteuse les nuits de pleine lune, variant du gris au noir selon que le ciel était plus ou moins orageux et bouché.

Il fallut plusieurs jours à Fédal pour appréhender les richesses de la ville qui occupait presque toute la surface de l’île. La cité, quoique polie par le temps, demeurait quasiment intacte. Elle était aussi étendue que la plupart de nos capitales actuelles. Fédal ne dénombra pas moins de vingt-quatre stades et gymnases, une trentaine de théâtres, autant de temples dédiés à des dieux oubliés, des centaines de statues, des palais et des villas splendides avec leurs jardins secrets, de larges avenues débouchant sur de nombreuses places. Il y avait aussi, à proximité du port, un quartier plus resserré, avec des ruelles obscures bordées d’échoppes et d’ateliers.

Chose remarquable, on ne voyait ni école ni lycée, car il faut savoir que chez les Narxis, chaque aîné enseignait directement ses connaissances et son art à un cadet avec lequel il formait un couple.



Ainsi était la vie à Narxos, assurément douce et prospère, comme en témoignaient les scènes reproduites sur les fresques qui ornaient les murs des chambres et salons. D’après ces peintures, il semblait que la population ne comprenait point d’enfants en bas- âge ni de vieillards, rien que des hommes jeunes et des adolescents. Ceux-ci, conformément à la légende, présentaient au spectateur des corps et des visages parfaits. Il y avait des bruns et des blonds, tous bouclés. Certains avaient les yeux noisettes, d’autres bleus, les uns étaient plus petits et trapus, les autres longs et finement musclés. Malgré la diversité des silhouettes, tous portaient la même jupette plissée, les mêmes sandales de cuir aux lanières savamment enlacées autour de puissants mollets. Ils étaient couverts de bijoux en or rehaussés de pierres précieuses. Tous tenaient une lance à la main et conservaient à la taille un poignard délicatement ciselé.

Face à cette cohorte d’individus beaux et virils, Fédal éprouva bien vite un étrange malaise : il crut déceler dans leurs regards une profonde lassitude et un hautain mépris. Comme si ces hommes, apparemment en perpétuelle représentation même dans les actes les plus quotidiens, étaient condamnés à offrir uniquement l’image d’une apparence idéale, avec pour seule récompense une inaccessible adoration.

C’est alors que Fédal eut cette pensée inhabituelle pour un garçon de son âge : « Et si le Paradis était plus invivable encore que l’Enfer ! »



7 - Retour au monde imparfait


Le bateau fantôme mena Fédal dans un grand port plein d’animation. A peine avait-il été en vue depuis la capitainerie, qu’une vedette était instantanément partie à sa rencontre. Un quart d’heure plus tard, des hommes en uniforme (militaires ou douaniers ?) le rejoignirent à bord. Ces hommes, brutaux et vociférant, ne furent pas longs à découvrir que l’embarcation était vide, hormis un enfant de dix ans, sans papiers, et parlant une langue qu’ils ne comprenaient pas. Ils le saisirent sous les bras, le secouèrent et, criant de plus belle, le conduisirent à terre, dans un bureau crasseux. Entre temps, grâce à un célèbre monument au sommet de la colline, Fédal avait pu identifier la ville où il se trouvait. Il s’agissait de Cartapolis, l’ancienne Sémirabel du temps des Vespasiens. Combien de fois, l’Atlas encore ouvert sur ses genoux, n’avait-il rêvé de parcourir les rues de cette vénérable cité située à la jonction des mers Vertes et Jaunes !

Et voilà qu’après plusieurs semaines de voyage en solitaire, il retournait chez les vivants, atterrissant directement au fond d’un cachot humide de Cartapolis, ville que dans ses rêves les plus fous il n’aurait jamais imaginé visiter si promptement. Visiter ? C’était beaucoup dire, car après de vaines tentatives pour se faire comprendre des hommes en uniformes, ceux-ci, excédés de fureur, l’avaient expédié rageusement en prison.

Dans son désarroi, Fédal avait été heureux de revoir, à travers la vitre grillagée du fourgon cellulaire, la foule caractéristique des pays vertéens.

Ainsi avait-il atteint l’extrême limite sud-est de la mer qui baignait les rivages de sa ville natale.

Ici, les peaux étaient plus mates, le poil plus brun. Le costume différait quelque peu aussi. Cependant, c’était le même peuple, en plus misérable. Mais quelle vie, ça grouillait de partout !

Après tant de silence, quel plaisir pour Fédal de retrouver le bruit ! Désormais, malgré la gravité de la situation, il se sentait moins orphelin.



A Cartapolis, ce qui l’avait le plus frappé, c’était la proportion considérable d’estropiés de toutes sortes qu’il avait entraperçus dans les rues : borgnes, aveugles, bossus, tordus, boiteux, unijambistes…et même des culs-de-jatte !

Heureusement que l’on voyait aussi des nuées d’enfants joyeux et malicieux et une quantité respectable d’augustes vieillards chenus.

A tout prendre, Fédal préférait ce monde là à celui figé et sublime de Narxos : entre le musée et la vie, son choix était fait.



8 - Procès pour cause d'intempestives rêveries


Outre l’humidité, son cachot était si sombre, qu’au bout de quelque temps, Fédal ne parvenait plus à distinguer le jour de la nuit. N’importe ! Il avait vécu tant d’aventures extravagantes, qu’il avait à sa disposition une réserve considérable de matière propice à la méditation et à la rêverie.
Au cours de ces interminables semaines d’incarcération, il ne souffrit donc ni du froid, ni de la faim, et moins encore de l’ennui.

Au début, en revanche, il dut lutter contre la terreur que lui inspiraient d’énormes rats qui lui disputaient son quignon de pain quotidien. Lui que la vue de la plus inoffensive souris remplissait d’effroi !

Mais la nature humaine est ainsi faite qu’elle s’adapte à toutes les situations. Au bout de quelques jours, les rongeurs étaient devenus ses compagnons d’adoption. Compagnons auxquels il narrait dans le détail ses dernières pérégrinations et le fruit de ses réflexions.

Un beau matin, on l’extirpa de sa cellule pour le conduire devant ses juges.
Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir alors, malgré le vêtement hautement comique dont il était affublé – robe cramoisie bordée d’hermine et perruque poudrée -, que le président du tribunal ressemblait trait pour trait au marquis des Orties : même visage bouffi et congestionné, agrémenté du même monumental nez !

Très vite, Fédal sut ce qu’on lui reprochait. N’avait-il pas, à force de rêveries intempestives, attenté à la propriété d’autrui : une bicyclette rouge et un pantagruélique repas, dévoré à la barbe d’une honorable famille ? Mais tout cela n’était rien par rapport aux souffrances endurées par la pauvre femme qui s’était saignées aux quatre veines pour l’élever. Un fils ingrat, voilà ce qu’il était !

Et d’un revers de manche magnanime, le marquis des Orties désigna l’endroit où se tenait le jury. Entourant sa mère qui pleurait, Fédal reconnut les commerçants de son quartier : le boulanger et la boulangère, le boucher et la bouchère, le cafetier et la cafetière, l’épicier et l’épicière, le libraire et la libraire, le marchande de cycles et son épouse. Ces derniers lui lancèrent un regard particulièrement lourd de reproches.

Fédal fut ému jusqu’aux larmes par ces retrouvailles. Il aurait voulu aller embrasser sa mère, mais les deux hommes en uniformes (policiers ou gendarmes ?) l’en empêchèrent.

Pour sa défense, le bon monsieur Truchon, son instituteur – devenu son avocat en la circonstance -, plaida l’indulgence : « Etait-ce sa faute s’il ne savait que rêver ? »

Enfin, le verdict tomba.

Fédal fut condamné à trois ans de relégation dans le grand Nord. Pour éponger les frais de ses délits, du procès et de son internat, sa mère devait débourser 862, 04 écus or de la C.M.V. (Communauté de la Mer Verte). Comme elle n’avait pas le moindre sou, le marquis, toujours magnanime, avança l’argent. En échange, celle-ci devait effectuer 7 351 937 591 375 913 heures de ménage au château des Orties.

Fédal, gigotant comme un ébouillanté sous la poigne des hommes en uniformes qui l’emmenaient hors de la salle, eut juste le temps de crier à sa mère qu’il regrettait, qu’il serait désormais un brave garçon, qu’il travaillerait dur afin de la délivrer de sa dette. Celle-ci semblait résignée à son sort. Se tournant vers sa voisine, elle déclara tristement : « Lui, travailler ? Hélas, je ne le connais que trop bien. Jamais il ne pourra s’arrêter de rêver ! »



9 - Au manoir du vieil Anagram'


Au terme d’un voyage de vingt-six jours en train, Fédal arriva au manoir de la Cour Glacée. Celui-ci était situé au cœur d’une forêt sombre, au pied de montagnes éternellement enneigées. Son hôte, un vieillard solitaire qui régna jadis sous le nom d’Anagram’ 1er, l’accueillit avec beaucoup d’égards et une joie non dissimulée. Enfin quelqu’un qui allait pouvoir lui peigner sa longue barbe blanche ! Car il faut dire qu’à la suite des guerres au cours desquelles il avait été dépossédé de son royaume, l’ex-roi s’était retrouvé avec les deux bras coupés.
Pour sa peine, Fédal devait, outre l’exil, apprendre la Langue Précieuse que seul l’ancien monarque parlait encore. Il s’agissait d’un idiome extrêmement compliqué, tout à fait inutile pour le monde moderne, mais que l’on tenait à conserver. Il y avait urgence car Anagram’ était malade et très âgé.

Dans cette langue, on utilisait, là où un simple mot aurait suffi, des périphrases énigmatiques et tarabiscotées. Voici quelques exemples :

« Tabatière » se traduisait en Langue Précieuse par « l’objet dont le contenu s’envole en fumée.»

« Celle dont les parents ne manquent pas de couronnes au palais » n’était autre qu’une princesse. »

« Pratiquer le jeu de paume » signifiait « caresser ».

« Passer » (dans le sens de donner) se disait « faire transiter d’un point à l’autre. »

« Vert » devenait « ton nature », etc.

Ainsi, la phrase suivante : « Princesse, passez-moi la tabatière verte et je vous ferai une caresse ! » se traduisait approximativement en langage précieux par : « Celle dont les parents ne manquent pas de couronnes au palais, veut-elle bien me faire transiter d’un point à l’autre l’objet de ton nature dont le contenu s’envole en fumée et je lui pratiquerai le jeu de paume ! »

Mis au courant du casse tête que constituait cette langue, le marquis des Orties avait pensé qu’il n’y aurait pas pire punition pour corriger Fédal de ses rêveries intempestives. Mais c’était mal le connaître. Tout cancre et rêvasseur qu’il fut, Fédal n’en était pas moins intelligent et astucieux. Plus qu’un supplice, ce fut pour lui un véritable jeu : il saisit tout de suite le mécanisme.

En moins de trois mois, il parla le Précieux avec une aisance qui déconcerta le vieil Anagram’. Dès lors, Fédal devint pour ce dernier, dans tous les sens du terme, un compagnon particulièrement précieux. Le soir, au coin du feu, emmitouflés de laine, alors que dehors le vent hurlait, ils dialoguaient inlassablement, échangeant des phrases emberlificotées et compliquées à souhait. Un régal !



Ajoutez à cela que, pour clore le débat, et avant qu’ils aillent se coucher, Fédal brossait délicatement la vénérable barbe de l’ancien monarque.

Celui-ci ronronnait littéralement de contentement.

Quant à Fédal, la pratique courante de cette langue, loin de tarir ses songes, les multiplia. Au cœur de la forêt, à l’abri du manoir, encerclé par les loups, il rêva, il rêva comme jamais : il cherchait dans ses rêves le moyen de délivrer sa mère d’un énorme fardeau.

Le quatre-vingt-dix-septième jour, le vieil Anagram’ qui avait dû, avant l’arrivée de Fédal, se débrouiller tout seul avec ses pieds mourut. Non sans avoir connu auparavant une intense période de bonheur.
Plus rien désormais, hormis le froid, ne retenait Fédal au manoir de la Cour Glacée.




10 - Une bien longue marche


Une enveloppante neige d’hiver avait définitivement gommé toutes les voies d’accès au manoir. Désormais, le paysage environnant ressemblait à un désert glacé. Armé d’une boussole, Fédal partit d’un bon pas, en direction du Sud. 

Très vite, il fut entièrement gelé et ne ressentit même plus les morsures du froid. Comme si son corps s’était détaché de lui. Il lui semblait être un pur esprit, flottant au-dessus de deux pieds étrangers.

Glissant sur la neige, bien au chaud dans ses pensées, Fédal marcha ainsi des jours et des jours. Il traversa la forêt infinie, puis des prairies illimitées. A l’approche du printemps, il atteignit les premiers champs de cultures. Avec les vignes, il vit la fin des dernières gelées. Sans ralentir son allure, il chemina ensuite le long des routes qui le menèrent de village en hameaux. Puis ce fut la longue succession des cités de banlieue. Enfin, à l’aube du dernier jour, il arriva à la porte de la ville.
Epuisé et affamé, il s’écroula.



11 - Fédal devient millionnaire


Le premier jour de l’été, Fédal sortit de l’hôpital, pratiquement rétabli.

Il n’avait pas un sou en poche mais, le cœur vaillant, il partit à la découverte de la ville en s’écriant :

« A moi la liberté ! » Sa boussole l’avait conduit à Ville-Grise, un des centres d’affaires parmi les plus courus de la planète. Cette prestigieuse mégapole était également un des hauts lieux que Fédal rêvait depuis toujours de visiter. Il n’avait encore jamais vu ce genre de ville où les hautes constructions abritent principalement des bureaux. A tous les coins de rue, on ne rencontrait que des marchés et des galeries commerciales. Les gens étaient essentiellement occupés à vendre ou à acheter, tandis que de grosses liasses de billets de banque passaient continuellement de main en main.

Pas moins de trois aéroports et six gares reliaient la cité au reste du monde.

V.-G., comme on disait, était une ville grise, certes, mais très riche, très belle et très peuplée. Un large fleuve la traversait en son centre. Elle comptait deux îles, une cinquantaine de ponts et était ceinte de sept collines. Monuments, musées, parcs et jardins publics y abondaient. Voitures particulières et transports en communs également.

« Ici, il est possible de se faire pas mal d’argent ! », pensa Fédal.

« Mais que pourrais-je faire pour cela ? », se demanda-t-il inquiet.

A l’entrée d’un majestueux building, il avisa une plaque qui affirmait :


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SOFIMEG – 59ème ETAGE



La vue panoramique offerte depuis le bureau du directeur de la SOFIMEG était telle qu’on avait l’impression d’être dans un avion.

Assis sur le bord d’un profond fauteuil en cuir, au centre d’une salle aux chaudes boiseries, Fédal, intimidé, faisait face maintenant à un petit homme ventru, en costume gris trois pièces.

Auparavant, il avait été brièvement auditionné par un conseiller de la société qui, à sa grande surprise, l’avait immédiatement conduit auprès du directeur. Comme si Fédal représentait un cas particulièrement intéressant.

Après quelques phrases échangées en aparté avec son collaborateur, celui-ci reprit l’interrogatoire :


- On me dit que vous rêvez ?

- Oui.

- Et vous rêvez souvent ? 

- Tout le temps, aussi bien en dormant qu’éveillé.

- Depuis longtemps ?

- Depuis toujours.

- Vous disposez donc d’un stock important ?

- Un stock ? ?

- Oui, tous les rêves que vous avez emmagasinés depuis des années ?

- Ah oui ! Cela doit bien faire des milliers et des milliers depuis.

- Mais est-ce que vous pouvez vous les rappeler ?

- En gros, oui. Il m’arrive souvent de refaire les mêmes rêves, avec des variantes plus ou moins sensibles toutefois.

- Fort bien !

-  ! ! ! ! !



Bien que depuis plus d’un an Fédal ne s’étonnât plus de rien, il resta fort perplexe devant le fait que, pour la première fois de sa vie, quelqu’un le félicitait de…rêver ! L’homme d’affaire conclut :


Eh bien tout cela nous intéresse au plus haut point. Nous sommes prêts à payer à son juste prix une si abondante matière première.


Tandis qu’il préparait un chèque, le directeur sonna sa secrétaire. Celle-ci fut chargée de prendre en sténo les rêves que Fédal devait lui conter, à raison de trente séances de quatre heures par jour.

A l’issue de la première audition qui eut lieu le jour même, Fédal constata, au tarif perçu en échange, qu’il serait bientôt…millionnaire !




12 - Tous les millions du monde ne remplacent pas une mère


Sa mère allait bientôt pouvoir être fière de lui.

Pouvait-on imaginer que l’activité onirique se révèlerait si lucrative !

Fédal, pour sa part, ne s’en étonnait pas outre mesure : rêver lui avait toujours semblé l’activité la plus précieuse au monde. En tous les cas, le rêve lui paraissait aussi nécessaire pour vivre que l’air qu’on respire ou l’eau dont on s’abreuve. Mais jusqu’alors son entourage n’avait jamais partagé ce point de vue. 

Désormais la situation allait changer. Il ne serait plus considéré comme un fils ingrat et paresseux, mais plutôt comme un enfant génial qui a remarquablement réussi. Pensez, millionnaire à onze ans ! Et cela grâce à son seul « travail ».


Ce matin-là, lorsque Fédal se présenta à la grille du château des Orties, un valet de pied l’attendait. La veille, il avait pris rendez-vous par téléphone avec le marquis, lui annonçant qu’il avait en poche la somme qu’il leur avait avancée. Tout au long de la conversation, le marquis avait paru gêné. Maintenant, Fédal était impatient de revoir sa mère et de la ramener chez eux. En arrivant, il avait trouvé la maison vide. Sa mère devait sans doute loger au château pour ne pas perdre de temps et travailler sans relâche au remboursement de la dette.

A présent, tout cela allait cesser. Comme il avait hâte de se retrouver dans les bras de sa petite maman chérie !

Tandis que le domestique le conduisait auprès du marquis, Fédal aperçut les deux molosses sagement couchés dans leur niche, à l’entrée.

Au salon, le maître des lieux l’attendait avec impatience. Affichant un air grave, il lui serra néanmoins la main chaleureusement. Puis l’entourant de son bras droit, il le dirigea vers un fauteuil. Etait-ce sa soudaine fortune qui lui valait tant d’égards ?

Resté debout devant lui, le marquis balbutia :


- Ah ! Mon cher enfant…que je suis heureux de vous voir…J’aurais préféré d’autres circonstances…J’avais envoyé un émissaire au manoir de la Cour Glacée pour vous prévenir… Mais vous étiez déjà parti… C’est d’ailleurs ainsi que j’ai appris la mort d’Anagram’… Enfin, il était vieux et malade… Pour lui, c’était prévisible… Mais laissons cela… C’est de votre mère dont je veux vous entretenir… Je ne savais pas où vous contacter… Quand vous m’avez appelé hier soir… J’ai manqué d’à-propos… J’attendais pourtant votre appel depuis longtemps… Je m’y étais préparé… Malgré tout j’ai été pris de court…J’aurais dû vous annoncer … Finalement c’est mieux ainsi… Je préfère vous dire en face la triste nouvelle… Votre mère… Votre pauvre mère… Eh bien… Elle nous a quittés au printemps… Elle est morte… Non point de fatigue… Dieu sait combien elle n’a pas ménagé ses efforts… Mais de tristesse…Oui mon cher enfant… Votre mère pensait qu’elle ne vous reverrait plus… Elle ne supportait plus votre absence… Le chagrin… Oui le chagrin… Et non pas la fatigue… Croyez-moi… A eu raison de ses forces… Dieu ait son âme !


Fédal apprit encore de la bouche du marquis que sa mère reposait dans le petit cimetière marin, près du port. Ce fut alors à peu près tout pour les nouvelles. Il en savait d’ailleurs assez.

Un silence à couper au couteau s’abattit sur la pièce.

Enfin, peu à peu, il sortit de la léthargie dans laquelle il était tombé. Puis, toujours sans un mot, il quitta la maison de son hôte, oubliant de lui remettre le chèque qu’il gardait dans la poche intérieure de son élégante veste en alpaga.
Plus tard, sur la tombe de la défunte, il versa toutes les larmes qu’il avait contenues jusqu’alors :


« Hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi !hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi !hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi !… »


Dès cet instant, Fédal sut qu’il ne pourrait plus jamais rêver. L’envie lui en était passée d’un coup. L’envie et la capacité.


« …hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi !hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! hi !… »  



13 - Des larmes de bonheur


Ce matin-là, Fédal fut réveillé par ses propres larmes.

En ouvrant les yeux, il constata cependant que ceux-ci demeuraient parfaitement secs.

N’était-il pas en train de pleurer d’abondance ?

Il fut surpris également de se retrouver couché dans sa chambre, redevenue pour l’heure, anodine et familière.
Maintenant, il percevait la rumeur de la rue à laquelle se mêlaient des bruits de vaisselle, en provenance de la cuisine. Sa mère ! ?

Aussitôt, il compris qu’il venait de rêver. Il s’était encore fait avoir. Une fois de plus, il avait cru que l’aventure rocambolesque qu’il vivait en songe était la réalité !

Mais ce coup-ci, plus que jamais ! Aussi, ce n’est pas sans un énorme soulagement qu’il renoua avec la vie terrestre. Lui qui, quelques secondes auparavant, avait pensé voir son cœur se briser de chagrin. Comme toujours, le cauchemar avait pris fin juste à temps. Il frissonna à l’idée qu’un jour il ne se réveillerait pas au pire moment de son rêve. Qu’adviendrait-il alors ?

Cette effrayante pensée fut instantanément balayée par une bonne odeur de chocolat fumant venue lui chatouiller les narines : 7h59.

Il n’y avait plus de temps à perdre.
Dans la cuisine, sa mère finissait de préparer son petit déjeuner. La première chose qu’il lui demanda fut : « Pourquoi ne m’as-tu pas appelé ? » Ce à quoi, avec un sourire énigmatique, elle répondit :

« Parce qu’à dix ans, les petits garçons doivent apprendre à se lever tout seul. »

Puis lui tendant le paquet qu’elle tenait caché dans son dos, elle souhaita : « Bon anniversaire ! »

Sur la table, d’appétissantes brioches dorées remplaçaient les habituelles tartines beurrées.


par Jacky Barozzi 08 avr., 2024
Sandrine, assisse au soleil sur un banc du square Trousseau , au faubourg Saint-Antoine, observait, tout en achevant d’avaler un sandwich, des enfants jouant dans l’aire de jeux, au milieu du grand bac à sable. Une jeune femme blonde d‘une vingtaine d’années et son compagnon, un beur du même âge, accompagnés de leur gamin, se dirigèrent vers le kiosque à musique, au centre du jardin. Là, ils s’installèrent sur les marches. Le père sortit une balle de son sac à dos et la donna au garçon, qui courut rejoindre les autres enfants dans l’aire de jeux voisine du kiosque. Sandrine alluma une cigarette et fuma voluptueusement, les yeux mi-clos, le visage offert aux rayons du soleil. Plongées dans ses rêves, elle fut soudain ramenée à la réalité par la voix d’une jeune femme : – Pourrais-je vous emprunter votre briquet, s’il-vous-plait ? Rouvrant les yeux, Sandrine découvrit la blonde du kiosque. Elle tira un briquet de son sac, posé à côté d’elle sur le banc, et le tendit en souriant à la mère du petit garçon. Sans plus de façon, celle-ci repartit jusqu’au kiosque où elle donna à son tour le briquet à son conjoint. Malgré la distance, Sandrine perçu toute l’action : le jeune homme chauffa une barrette de cannabis et se confectionna un joint, qu’il alluma, avant de rendre le briquet à sa compagne. Celle-ci revint en direction de Sandrine et lui redonna son briquet – Merci beaucoup, dit-elle. – Il n’y a pas de quoi, répondit Sandrine, toujours souriante. 
par Jacky Barozzi 23 mars, 2024
Connaissez-vous, au voisinage du bois de Vincennes, l’hôpital Esquirol de Saint-Maurice ? Un haut-lieu de vie et de mémoire, qui vaut le détour ! Durant douze siècles, Saint-Maurice se dénomma Charenton-Saint-Maurice, jusqu’à ce qu’une ordonnance royale de Louis Philippe, du 25 décembre 1842, lui permit de n’en conserver que sa seule appellation dernière. Officiellement, pour la distinguer de la commune voisine, qui prit le nom de Charenton-le-Pont en 1810. En réalité, c’est parce que les habitants, du fait de la trop grande renommée de l’asile de Charenton, et trouvant qu’ils avaient de plus en plus de mal à marier leurs filles, voulurent, à défaut de se débarrasser de l’asile, en effacer le nom. Voilà pourquoi l’ancien asile de Charenton, devenu l’hôpital Esquirol, ne se trouve pas sur la commune de Charenton, mais sur celle de Saint-Maurice.
par Jacky Barozzi 12 mars, 2024
JARDIN DES PLANTES - 1633 5° arr., place Valhubert, rue Buffon, rue Geoffroy-Saint- Hilaire, rue Cuvier, M° Gare-d’Austerlitz, Jussieu ou Place-Monge C’est en 1614 que Guy de La Brosse, médecin ordinaire de Louis XIII, soumet à Jean Héroard, Premier médecin du roi, son projet de création d’un jardin où l’on cultiverait « toutes sortes d’herbes médicinales ». Il faut dire que les travaux des botanistes du XVI° siècle avaient attiré l’attention sur cette science nouvelle. Après la création du Jardin des plantes de Montpellier, en 1593, qui est le premier fondé en France, Henri IV et Sully songèrent à en établir un semblable à Paris qui possédait seulement un petit jardin de simples planté par l’apothicaire Nicolas Houel pour l’école des Apothicaires de la rue de l’Arbalète. L’édit de fondation du «Jardin royal des plantes médicinales » est promulgué en 1626 mais il reste encore à lui trouver un emplacement ! C’est Guy de La Brosse qui, en 1633, s’occupe de l’acquisition d’un vaste terrain, le clos Coypeau, situé au sud de l’abbaye Saint-Victor. D’une surface représentant environ le quart de sa superficie actuelle (qui est de 24 hectares), le jardin est séparé de la Seine par un entrepôt de bois et bordé de l’autre côté (vers l’actuelle rue Geoffroy-Saint-Hilaire) par des buttes artificielles faites de détritus et de gravats de construction. Guy de La Brosse s’attache immédiatement à aménager cette propriété royale, dont il est nommé intendant en 1635, pour en faire une école de botanique et d’histoire naturelle. L’espace est compartimenté en quatre zones distinctes, séparées par deux allées se coupant à angle droit. L’on y cultive des plantes usuelles, des arbres fruitiers, des arbustes et des plantes aquatiques. Sur les pentes des buttes artificielles qui bornent le jardin, Guy de La Brosse aménage un labyrinthe. En 1636, Vespasien Robin, démonstrateur en botanique, plante le robinier ou faux-acacia à partir d’un rejet dont son père Jean Robin, chargé du Jardin du roi dans l’île de la Cité (emplacement de la place Dauphine), se serait procuré les graines par l’intermédiaire d’un pépiniériste anglais. Le robinier du Jardin des plantes fut longtemps le deuxième plus vieil arbre de Paris, après le robinier du square René-Viviani planté vers 1601 par Jean Robin. Il est aujourd’hui mort et il ne reste qu’un tronc avec des rejets (extrémité ouest de la galerie de botanique) mais celui du square René-Viviani, avec ses 20 mètres de hauteur et ses 4 mètres de circonférence, existe toujours, soutenu par des étais. Dès 1640, le jardin est ouvert au public et, à la mort de son fondateur, l’année suivante, il compte 1 800 plants différents. C’est désormais le « Jardin du roi », développé à partir de 1693 par Fagon, Premier médecin de Louis XIV, puis par le botaniste Tournefort, qui plante l’érable de Crète en 1702 (labyrinthe, côté bibliothèque), et les trois frères de Jussieu qui parcourent le monde à la recherche de nouvelles espèces rares. C’est ainsi que Bernard de Jussieu rapporta d’Angleterre, en 1734, deux cèdres du Liban dont l’un subsiste sur les pentes du grand labyrinthe ; c’est lui aussi qui plantera en 1747 le premier pied de Sophora, qui provenait de Chine (devant la galerie de minéralogie). Entre 1732 et 1739 sont créées les premières serres chaudes françaises, pour abriter des plantes exotiques. Nommé intendant du Jardin du roi en 1739, Georges- Louis de Buffon le restera jusqu’à sa mort, en 1788. Il sut s’entourer des meilleurs savants, parmi lesquels les naturalistes Louis Daubenton (une colonne signale sa tombe près du sommet du labyrinthe) et Jean-Baptiste de Lamarck et le botaniste Antoine-Laurent de Jussieu, neveu des trois frères. Pour le jardin, il s’adjoignit les services d’André Thouin, nommé jardinier en chef en 1764, et pour la construction des bâtiments, ceux de l’architecte Edme Verniquet. C’est sous la direction de Buffon que le Jardin du roi va connaître son plus bel essor. L’intendant y habite, dans la maison dite « de Buffon » située dans l’angle sud-ouest du jardin (actuelle librairie).
par Jacky Barozzi 01 mars, 2024
Fontaine Hydrorrhage Jardin Tino-Rossi, quai Saint-Bernard (5e arr.) Métro : Gare d’Austerlitz ou Jussieu Transformé en jardin entre 1975 et 1980, le quai Saint-Bernard constitue désormais une belle promenade, entre les ponts d’Austerlitz et de Sully. C’est là qu’a été installé le musée de Sculptures en plein air de la Ville de Paris, consacré essentiellement aux œuvres de la seconde moitié du XXe siècle. Au centre, un rond-point constitué d’une succession de bassins semi-circulaires, abrite une bien singulière fontaine. Baptisée Hydrorrhage , celle-ci a été réalisée en 1975-1977 par l’architecte Daniel Badani et le sculpteur Jean-Robert Ipoustéguy. Derrière une imposante armure en forme de bouclier, on découvre un homme nu, harnaché d’un attirail relevant proprement de l’iconographie sado-masochiste, et suçotant une sorte de gland tout en se livrant à la masturbation ! Cette audacieuse œuvre, contemporaine de l’époque de la libération sexuelle, semble avoir dépassée les souhaits de son commanditaire. La municipalité a en effet récemment entouré d’un grillage et d’une haie d’arbustes l’ensemble des bassins, empêchant le visiteur de se rapprocher de cette fontaine, autrefois de plain-pied, et en a pudiquement détourné la gerbe principale, qui jaillissait du sexe du personnage et retombait dans le premier bassin depuis le gros tuyau recourbé au centre du bouclier, pour le remplacer par les deux inoffensifs jets d’eau du bassin, situés de part et d’autre du groupe en bronze. 
par Jacky Barozzi 29 févr., 2024
La Lutèce gallo-romaine reconstituée. JARDIN DES ARENES DE LUTECE ET SQUARE CAPITAN - 1892 5° arr., rue de Navarre, rue des Arènes, rue Monge, M° Place-Monge La Lutèce gallo-romaine, qui voit se reconstruire l’île de la Cité, se développe sur la rive gauche, à l’abri des inondations. Là, sur les pentes de la montagne Sainte- Geneviève, s’établit une cité à la romaine, de part et d’autre de la voie principale, le cardo, dont on retrouve le tracé dans la rue Saint-Jacques. Un peu à l’écart, adossé au versant oriental de la colline, est construit vers la fin du Ier siècle après J.-C. un édifice, connu sous le nom d’Arènes de Lutèce, qui servait en réalité tout aussi bien pour les jeux du cirque que pour les représentations théâtrales, comme en témoigne la scène qui vient interrompre les gradins sur un côté.
par Jacky Barozzi 25 févr., 2024
I nlassable piéton de Paris, pour lequel les errances dans la capitale furent longtemps le prétexte à ranimer son imaginaire mémoriel, Patrick Modiano serait-il brusquement rattrapé par le principe de réalité ? Dans son dernier roman, « La Danseuse », un récit de moins de cent pages, aux chapitres particulièrement aérés, il nous conte l’histoire d’une danseuse, jamais autrement nommée dans le livre, et de son jeune fils Pierre, rencontrés un demi siècle plus tôt. Situé en grande partie entre la Place Clichy (9e arr.) et la Porte de Champerret (17e arr.), ce court texte est ponctué de plusieurs paragraphes où le présent s’invite comme jamais auparavant dans les romans de notre auteur récemment nobélisé : « Qu’étaient devenus la danseuse et Pierre, et ceux que j’avais croisés à la même époque ? Voilà une question que je me posais souvent depuis près de cinquante ans et qui était restée jusque-là sans réponse. Et, soudain, ce 8 janvier 2023, il me sembla que cela n’avait plus aucune importance. Ni la danseuse ni Pierre n’appartenaient au passé mais dans un présent éternel. » Ici, le narrateur ne reconnait plus le Paris de sa jeunesse et s’y sent désormais étranger. Une ville où les Parisiens ont été remplacés par les touristes et où la nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Une ville : « qui avait à ce point changé qu’elle ne m’évoquait plus aucun souvenir. Une ville étrangère. Elle ressemblait à un grand parc d’attraction ou à l’espace « duty-free » d’un aéroport. Beaucoup de monde dans les rues, comme je n’en avais jamais vu auparavant. Les passants marchaient par groupes d’une dizaine de personnes, traînant des valises à roulettes et la plupart portant des sacs à dos. D’où venaient ces centaines de milliers de touristes dont on se demandait s’ils n’étaient pas les seuls, désormais, à peupler les rues de Paris ? » Tandis que le narrateur traverse le boulevard Raspail (Patrick Modiano réside aujourd’hui dans le 6e arr.), il croise un fantôme du passé : « Je reconnus aussitôt Verzini. Et j’éprouvai un brusque malaise, celui d’être en présence de quelqu’un que je croyais mort depuis longtemps. » Après l’avoir accosté, les deux hommes décident de se réfugier dans un café, à l’angle du boulevard et de la rue du Cherche-Midi : « Nous étions assis à une table, l’un en face de l’autre, seuls dans la salle, ce qui m’étonnait. Depuis quelques temps, les cafés et les restaurants étaient bondés. Devant la plupart d’entre eux, il y avait même des files d’attente. » Le narrateur précisant : « Derrière la vitre, je voyais passer les groupes de touristes habituels depuis quelques mois, sac au dos et traînant leurs valises à roulettes. La plupart portaient des shorts, des tee-shirts et des casquettes de toile à visière. Aucun d’entre eux ne pénétrait dans le café où nous étions, comme si celui-ci appartenait encore à un autre temps qui le préservait de cette foule. » Et ajoutant, au moment où le narrateur et Verzini se séparent sur le trottoir : « Dehors, nous étions bousculés par le flot des touristes. Ils avançaient par groupes compacts et vous barraient le chemin. ''Nous reprendrons peut-être un jour notre conversation, me dit-il. C’est si loin, tout ça… Mais j’essaierai quand même de me souvenir…'' Il eut le temps de me faire un signe du bras avant d’être entraîné et de se perdre dans cette armée en déroute qui encombrait le boulevard. » Le narrateur ou Modiano lui-même, avouant, plus loin : « Nous vivions des temps difficiles depuis trois ans, comme je n’en avais jamais connu de ma vie. Et le monde avait changé si vite autour de moi que je m’y sentais un étranger. » Alors, texte testamentaire de notre auteur national, dans un Paris post covidien et de plus en plus airbnbisé ? Seul, l’avenir nous le dira…
par Jacky Barozzi 20 févr., 2024
12e arrondissement Musée des Arts forains 53, avenue des Terroirs de France Tél. : 01 43 40 16 22 Métro : Cour Saint-Émilion http://www.arts-forains.com
par Jacky Barozzi 20 févr., 2024
PARC DES BUTTES-CHAUMONT - 1867 19° arr., rue Manin, rue de Crimée, rue Botzaris, M° Buttes- Chaumont ou Botzaris Entre Belleville et La Villette, la butte de Chaumont, du latin calvus mons ou mont chauve, est de tout temps une colline aride et dénudée dont le sol calcaire interdit toute agriculture. Des moulins apparaissent dès le XVI° siècle sur les hauteurs de Belleville et de La Villette et on en dénombre six à la fin du XVII°sur la butte de Chaumont. A partir du XVIII° siècle, le gypse du sous-sol est exploité pour fournir de la pierre à plâtre destinée à la construction. Cette extraction, qui se fait en souterrain, entraîne des affaissements du terrain et, à la suite d’effondrements meurtriers, l’exploitation souterraine est interdite en 1779. Les carrières à plâtre sont détruites et comblées par éboulement mais l’exploitation va se poursuivre à ciel ouvert, de plus en plus intensive dans le premier tiers du XIX° siècle. En 1851, la carrière dite de l’Amérique, l’une des plus importantes, quasiment épuisée, est fermée. Le site offre à cette époque un aspect véritablement désolé. Aux pieds de la butte, du côté de La Villette, se trouve depuis la fin du XVIII° siècle le plus grand dépotoir d’ordures de la capitale, qui sert aussi pour l’équarrissage des chevaux. La nuit, les anciennes carrières sont le refuge des clochards et des rôdeurs. 
par Jacky Barozzi 18 févr., 2024
PARC FLORAL DE PARIS 1969 12° arr., bois de Vincennes, esplanade Saint-Louis, route de la Pyramide, M° Château-de-Vincennes. Entrée payante Le Parc floral a été inauguré en 1969 à l’occasion des Troisièmes Floralies internationales de Paris. Les deux premières éditions s’étaient tenues en 1959 et 1964 au Centre national des Industries et des Techniques (CNIT) de La Défense et le succès qu’elles avaient remporté avaient conduit les organisateurs à rechercher un emplacement mieux adapté. C’est ainsi que le Conseil de Paris décida en 1966 d’implanter ce nouveau “Parc d’activités culturelles de plein air” dans le bois de Vincennes, sur des terrains qui avaient été occupés par les anciens établissements militaires de la Pyramide et de la Cartoucherie. L’objectif était double : accueillir les Troisièmes Floralies internationales de Paris, qui seraient suivies d’autres expositions temporaires, mais aussi profiter de l’engouement pour l’art floral manifesté par le grand public pour le sensibiliser à l’art contemporain en exposant des œuvres en plein air. 
par Jacky Barozzi 06 févr., 2024
BOIS DE VINCENNES - 1857 12° arr., M° Château-de-Vincennes ou Porte-Dorée Le bois de Vincennes est le vestige d’une vaste forêt antique qui s’étendait à l’est de Paris. Ces terres incultes appartenaient à tous et les paysans gaulois puis gallo- romains les utilisaient pour mener paître leurs bêtes, se nourrir et trouver du bois pour se chauffer. L’arrivée des Francs, si elle ne modifie pas leurs habitudes, change cependant le statut de la forêt qui, de publique, devient alors privée selon les règles du droit franc. Après la mort de Dagobert, en 639, sa veuve fonde une abbaye à Saint-Maur. La première mention connue de la forêt de Vilcena figure dans une charte royale de 848 dans laquelle Charles le Chauve entérine un échange de terres entre l’évêque de Paris et l’abbé de Saint-Maur-des-Fossés. La forêt devient propriété de la couronne à la fin du X° siècle mais c’est dans une charte de 1037, par laquelle Henri Ier accorde des droits d’usage dans la forêt aux moines de l’abbaye de Saint-Maur, que la présence royale est mentionnée pour la première fois à Vincennes. D’autres droits seront accordés à différentes abbayes parisiennes jusqu’en 1164, date de la fondation du couvent des Bonshommes de Grandmont par Louis VII, qui donne aux moines un enclos et un prieuré. Louis VII possède un pavillon de chasse dans la forêt de Vincennes, la plus proche du palais de la Cité où il réside fréquemment. Dès le début de son règne, Philippe Auguste rachète les droits d’usage qui avaient été accordés dans la forêt afin de constituer un domaine de chasse. Il fait construire un manoir, qui constitue la première résidence royale à Vincennes (disparue au XIX° siècle), et élever en 1183 un mur de pierre pour protéger cet espace destiné à la chasse (ce mur restera en place jusqu’aux aménagements du Second Empire). Saint Louis fait construire en 1248 une chapelle dédiée à saint Martin pour abriter une épine de la Couronne du Christ qu’il a acquise de l’empereur d’Orient Baudoin II. Il agrandit le manoir d’un donjon car Vincennes constitue désormais la deuxième résidence du roi après le palais de la Cité et chacun connaît la fameuse scène, rapportée par Joinville dans la Vie de saint Louis, du roi rendant la justice sous un chêne du bois de Vincennes. 
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