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L’eau de sénescence



     Dolf était fatigué d’avoir à raconter pour la énième fois ce qu’est la vie sur terre.

Enfin, il fallait bien passer le temps, et son voisin de tombeau n’en était jamais rassasié. C’était un vieux squelette qui, compte tenu de la blancheur de ses os, en avait encore pour plusieurs décennies avant de pouvoir naître. Dolf, lui, était un frais cadavre en décomposition qui, dans six mois tout au plus, reviendrait parmi les vivants. Son voisin de tombeau, sans doute un futur descendant, voulait tout savoir sur les humains : inlassablement, il interrogeait Dolf sur les moindres détails de l’existence. L’intérêt de l’un croissant à proportion de l’agacement de l’autre. Mais si le vieux squelette – non encore baptisé – s’acharnait à questionner ainsi Dolf, c’est que ce dernier était la seule personne parmi toutes celles enterrées dans le cimetière à avoir préalablement vécu. Son témoignage s’en trouvait donc inestimable. Ainsi Dolf consentait-il finalement à narrer une fois de plus son histoire, non sans maudire cependant le jour où il avait abusé de l’eau de sénescence. S’il avait respecté la dose, il n’en serait pas là à se répéter éternellement.


     Au pays de Verlande (lieu où se déroule notre récit), les habitants en naissant avaient d’emblée cent ans. Ensuite, ils décroissaient régulièrement pour s’acheminer inéluctablement vers l’année zéro. A moins neuf mois, les rares survivants qui avaient atteint ce cap étaient réduits à l’état de graine, puis disparaissaient complètement. Ils retournaient dans les limbes. Où exactement ? Personne ne le savait. Depuis que la mortalité sénile avait sensiblement diminué, la moyenne d’âge des trépassés de Verlande se situait entre la trentième et la vingtième année : le temps idéal pour mourir, ainsi que le pensaient la plupart des Verlandais. Le plus célèbre d’entre eux n’avait-il pas déclaré : « La jeunesse, quel naufrage ! »


     Du temps où il était encore en vie, Dolf avait vu lentement ses rides disparaître l’une après l’autre. Son crâne chauve s’était recouvert peu à peu de cheveux, blancs et clairsemés au début, puis noirs, drus et bouclés par la suite. Au fur et à mesure qu’il jeunissait, son double menton et ses bourrelets de graisse s’étaient pareillement envolés.

A vingt ans, il avait un corps sec et musclé et un visage lisse, nettement dessiné. A cette époque, en se regardant dans la glace, il s’était écrié avec horreur : « Mon Dieu ! Me voilà beau ! »

Personne, en effet, parmi les habitants de Verlande ne désirait jeunir au-delà d’un certain seuil. Ces hommes, nés pleins de sagesse, cultivés, riches de nombreuses expériences, voyaient, en même temps que leurs rides, s’évanouir leurs idées : en perdant des années, c’étaient des pans entiers de connaissances qu’ils voyaient s’enfuir. Combien de livres Dolf avait-il oubliés ?

Se remémorant difficilement les mots du poète (Il ne savait déjà plus lequel) : « Que l’on est bête lorsqu’on a dix-sept ans ! », il aborda cet âge avec terreur. Et voilà maintenant qu’il rapetissait, rapetissait : quinze ans, dix ans, neuf ans, huit ans…

Allait-il devenir fœtus ?

La barrière fatidique de l’âge de déraison (sept ans) se rapprochait : bientôt, la cervelle de moins en moins imprimée d’images et de savoir, il sombrerait dans l’extrême enfance. Déjà, il ne savait plus qu’à peine lire et compter !


… Six ans, cinq ans, quatre ans. Dolf entrait maintenant dans l’enfer de la petite enfance : période qualifiée de « dernier stade de la régression psychique » par les spécialistes. Finis pour lui les plaisirs de la science et de l’art. Noyé dans un univers de puérilité, il passait ses journées à gazouiller et à gribouiller.

…Trois ans, deux ans, un an. Désormais Dolf n’était plus capable de s’habiller tout seul. Il marchait à quatre pattes et se complaisait dans

ses malpropretés. On l’avait placé en nourrice chez une femme d’à peine quatre-vingt-deux ans. Le seul désir de Dolf aurait été de téter interminablement ses flasques mamelles (ultime résurgence, sans doute, de ses anciennes activités érotiques). Celle-ci, pour faire taire les effroyables vagissements du nourrisson, était bien obligée, de temps à autre, d’obtempérer. Les tétons laminés, la vieille aurait volontiers expédié cet avorton à la poubelle. Malheureusement pour elle, elle était tenue d’en prendre le plus grand soin. Il était relativement rare qu’un ressortissant de Verlande accomplisse l’intégralité du cycle allant de cent ans à moins neuf mois.

Dès qu’une occasion se présentait, les autorités exigeaient le maximum de précautions. Lorsque l’enfant avait atteint le point zéro, on le mettait immédiatement en couveuse. Là, on observait minutieusement la lente désintégration du fœtus, jusqu’à ce qu’il se transforme en une petite graine, puis, pfft !, disparaisse comme par enchantement. Malgré de nombreuses études et autres analyses, les savants de Verlande n’étaient toujours pas parvenus à expliquer les mystères de la mort, ou, ce qui revient au même, ceux de la vie (et vice versa).


     Fort heureusement pour lui, Dorf n’en était pas encore parvenu au stade embryonnaire. Pour l’heure, c’était un resplendissant marmot de plusieurs mois, gros et gras à croquer qui, à force de persécutions buccales, conduisait tout droit sa nourrice à la dépression nerveuse. Quand il ne lui martyrisait pas les tétons, il braillait et cassait tout dans la maison. La pauvre femme aurait bien aimé refiler le fardeau à une plus vieille consœur, mais les autorités n’avaient rien voulu entendre : elle avait été sélectionnée pour son appartenance à la très recherchée caste des Malossaine, dont on fait les meilleures nourrices (1). Si elle avait refusé de continuer à s’occuper de l’enfant, elle se serait retrouvée sans ressources, réduite à la mendicité.

Un jour, en désespoir de cause – et à bout de nerfs -, elle se résolut à employer les grands moyens. Toute vieille déjà Vesda – tel était son nom -, connaissait les secrets de la magie. C’était une brillante sorcière, capable de réaliser les meilleurs philtres. A quatre-vingt-dix-

neuf ans, elle avait mis au point une potion qu’elle baptisa eau de sénescence. Il s’agissait d’un breuvage qui pouvait vous faire ravieillir d’un seul coup. A titre d’expérimentation, elle en avait versé une demi-goutte sur une chrysalide, qui s’était aussitôt transformée en un gracieux papillon.

En jeunissant, malheureusement, elle en avait oublié la formule. Aussi, conservait-elle précieusement l’unique flacon confectionné à l’époque. « Quand je serai bien jeune, s’était-elle dit, j’en avalerai une bonne dose et à moi, à nouveau, les profondes rides, le dos rond et les dents grises ! »

Ce n’est pas de gaieté de cœur que Vesda décida de céder un peu de son inestimable liquide à l’affreux Dolf. Mais y avait-il moyen de faire autrement ? Elle voulait à tout prix éviter un séjour à l’asile, et elle était à deux doigts de craquer… Après tout, il y en avait bien assez pour deux !

Ce que Vesda n’avait pas prévu c’est, qu’une fois la tétine en bouche, l’enfant ne voudrait plus la lâcher, et qu’il sifflerait entièrement le flacon.

C’est ainsi, qu’ayant abusé de l’eau de sénescence, Dolf se retrouva dans la tombe, après avoir ravieilli de cent ans, exactement.


  Au pays de Verlande, les cimetières étaient de vastes jardins, à l’écart des cités, où patientaient, allongés sous terre, les futurs vivants. Leur âge variait de cent ans et un jour jusqu’à l’infini. Lors de leur centième anniversaire, les cadavres poussaient le couvercle de leur cercueil, se levaient et naissaient à la vie. Ce jour là, à la porte de leur tombe, leurs futurs enfants, petits-enfants et parfois arrière-petits-enfants, les attendaient pour les emmener et leur donner leur nom (en général, celui du fils cadet). Il arrivait toutefois que certains d’entre eux ne trouvaient pas de familles prêtes à les accueillir. Ceux-là se dirigeaient alors d’un pas solitaire vers la ville et choisissaient eux-mêmes leur nom.

Au cours de leur existence, la plupart des hommes et des femmes de ce pays, avec ou sans postérité, cherchaient, inlassablement, le partenaire idéal avec lequel ils pourraient cheminer paisiblement vers

les sombres rivages de la jeunesse. De rares élus parvenaient à le rencontrer.


Post-Scriptum : Les morts de Verlande, eux, quel que fût leur âge, étaient conservés dans des bâtiments situés au cœur des villes et appelés crèches ou encore jardins d’enfants.


(1) Les femmes Malossaines ont une particularité qui leur est imposée à la naissance : on leur scelle le vagin au fer rouge. Plaie sanglante et ouverte, qui laissera place, peu de temps après, à un cachet plat, hermétiquement clos, hormis un minuscule trou de la grosseur d’une tête d’épingle : canal creusé dans la chair vive avant qu’elle ne s’éteigne, et qui permettra ensuite à la femme Malossaine de lâcher son légendaire jet d’eau, puissant et fin comme un fil de soie.





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