Cannes 1953 : une belle promesse...




Paris 2024 : une jolie ruine !







L’eau de sénescence



     Dolf était fatigué d’avoir à raconter pour la énième fois ce qu’est la vie sur terre.

Enfin, il fallait bien passer le temps, et son voisin de tombeau n’en était jamais rassasié. C’était un vieux squelette qui, compte tenu de la blancheur de ses os, en avait encore pour plusieurs décennies avant de pouvoir naître. Dolf, lui, était un frais cadavre en décomposition qui, dans six mois tout au plus, reviendrait parmi les vivants. Son voisin de tombeau, sans doute un futur descendant, voulait tout savoir sur les humains : inlassablement, il interrogeait Dolf sur les moindres détails de l’existence. L’intérêt de l’un croissant à proportion de l’agacement de l’autre. Mais si le vieux squelette – non encore baptisé – s’acharnait à questionner ainsi Dolf, c’est que ce dernier était la seule personne parmi toutes celles enterrées dans le cimetière à avoir préalablement vécu. Son témoignage s’en trouvait donc inestimable. Ainsi Dolf consentait-il finalement à narrer une fois de plus son histoire, non sans maudire cependant le jour où il avait abusé de l’eau de sénescence. S’il avait respecté la dose, il n’en serait pas là à se répéter éternellement.


     Au pays de Verlande (lieu où se déroule notre récit), les habitants en naissant avaient d’emblée cent ans. Ensuite, ils décroissaient régulièrement pour s’acheminer inéluctablement vers l’année zéro. A moins neuf mois, les rares survivants qui avaient atteint ce cap étaient réduits à l’état de graine, puis disparaissaient complètement. Ils retournaient dans les limbes. Où exactement ? Personne ne le savait. Depuis que la mortalité sénile avait sensiblement diminué, la moyenne d’âge des trépassés de Verlande se situait entre la trentième et la vingtième année : le temps idéal pour mourir, ainsi que le pensaient la plupart des Verlandais. Le plus célèbre d’entre eux n’avait-il pas déclaré : « La jeunesse, quel naufrage ! »


     Du temps où il était encore en vie, Dolf avait vu lentement ses rides disparaître l’une après l’autre. Son crâne chauve s’était recouvert peu à peu de cheveux, blancs et clairsemés au début, puis noirs, drus et bouclés par la suite. Au fur et à mesure qu’il jeunissait, son double menton et ses bourrelets de graisse s’étaient pareillement envolés.

A vingt ans, il avait un corps sec et musclé et un visage lisse, nettement dessiné. A cette époque, en se regardant dans la glace, il s’était écrié avec horreur : « Mon Dieu ! Me voilà beau ! »

Personne, en effet, parmi les habitants de Verlande ne désirait jeunir au-delà d’un certain seuil. Ces hommes, nés pleins de sagesse, cultivés, riches de nombreuses expériences, voyaient, en même temps que leurs rides, s’évanouir leurs idées : en perdant des années, c’étaient des pans entiers de connaissances qu’ils voyaient s’enfuir. Combien de livres Dolf avait-il oubliés ?

Se remémorant difficilement les mots du poète (Il ne savait déjà plus lequel) : « Que l’on est bête lorsqu’on a dix-sept ans ! », il aborda cet âge avec terreur. Et voilà maintenant qu’il rapetissait, rapetissait : quinze ans, dix ans, neuf ans, huit ans…

Allait-il devenir fœtus ?

La barrière fatidique de l’âge de déraison (sept ans) se rapprochait : bientôt, la cervelle de moins en moins imprimée d’images et de savoir, il sombrerait dans l’extrême enfance. Déjà, il ne savait plus qu’à peine lire et compter !


… Six ans, cinq ans, quatre ans. Dolf entrait maintenant dans l’enfer de la petite enfance : période qualifiée de « dernier stade de la régression psychique » par les spécialistes. Finis pour lui les plaisirs de la science et de l’art. Noyé dans un univers de puérilité, il passait ses journées à gazouiller et à gribouiller.

…Trois ans, deux ans, un an. Désormais Dolf n’était plus capable de s’habiller tout seul. Il marchait à quatre pattes et se complaisait dans

ses malpropretés. On l’avait placé en nourrice chez une femme d’à peine quatre-vingt-deux ans. Le seul désir de Dolf aurait été de téter interminablement ses flasques mamelles (ultime résurgence, sans doute, de ses anciennes activités érotiques). Celle-ci, pour faire taire les effroyables vagissements du nourrisson, était bien obligée, de temps à autre, d’obtempérer. Les tétons laminés, la vieille aurait volontiers expédié cet avorton à la poubelle. Malheureusement pour elle, elle était tenue d’en prendre le plus grand soin. Il était relativement rare qu’un ressortissant de Verlande accomplisse l’intégralité du cycle allant de cent ans à moins neuf mois.

Dès qu’une occasion se présentait, les autorités exigeaient le maximum de précautions. Lorsque l’enfant avait atteint le point zéro, on le mettait immédiatement en couveuse. Là, on observait minutieusement la lente désintégration du fœtus, jusqu’à ce qu’il se transforme en une petite graine, puis, pfft !, disparaisse comme par enchantement. Malgré de nombreuses études et autres analyses, les savants de Verlande n’étaient toujours pas parvenus à expliquer les mystères de la mort, ou, ce qui revient au même, ceux de la vie (et vice versa).


     Fort heureusement pour lui, Dorf n’en était pas encore parvenu au stade embryonnaire. Pour l’heure, c’était un resplendissant marmot de plusieurs mois, gros et gras à croquer qui, à force de persécutions buccales, conduisait tout droit sa nourrice à la dépression nerveuse. Quand il ne lui martyrisait pas les tétons, il braillait et cassait tout dans la maison. La pauvre femme aurait bien aimé refiler le fardeau à une plus vieille consœur, mais les autorités n’avaient rien voulu entendre : elle avait été sélectionnée pour son appartenance à la très recherchée caste des Malossaine, dont on fait les meilleures nourrices (1). Si elle avait refusé de continuer à s’occuper de l’enfant, elle se serait retrouvée sans ressources, réduite à la mendicité.

Un jour, en désespoir de cause – et à bout de nerfs -, elle se résolut à employer les grands moyens. Toute vieille déjà Vesda – tel était son nom -, connaissait les secrets de la magie. C’était une brillante sorcière, capable de réaliser les meilleurs philtres. A quatre-vingt-dix-

neuf ans, elle avait mis au point une potion qu’elle baptisa eau de sénescence. Il s’agissait d’un breuvage qui pouvait vous faire ravieillir d’un seul coup. A titre d’expérimentation, elle en avait versé une demi-goutte sur une chrysalide, qui s’était aussitôt transformée en un gracieux papillon.

En jeunissant, malheureusement, elle en avait oublié la formule. Aussi, conservait-elle précieusement l’unique flacon confectionné à l’époque. « Quand je serai bien jeune, s’était-elle dit, j’en avalerai une bonne dose et à moi, à nouveau, les profondes rides, le dos rond et les dents grises ! »

Ce n’est pas de gaieté de cœur que Vesda décida de céder un peu de son inestimable liquide à l’affreux Dolf. Mais y avait-il moyen de faire autrement ? Elle voulait à tout prix éviter un séjour à l’asile, et elle était à deux doigts de craquer… Après tout, il y en avait bien assez pour deux !

Ce que Vesda n’avait pas prévu c’est, qu’une fois la tétine en bouche, l’enfant ne voudrait plus la lâcher, et qu’il sifflerait entièrement le flacon.

C’est ainsi, qu’ayant abusé de l’eau de sénescence, Dolf se retrouva dans la tombe, après avoir ravieilli de cent ans, exactement.


  Au pays de Verlande, les cimetières étaient de vastes jardins, à l’écart des cités, où patientaient, allongés sous terre, les futurs vivants. Leur âge variait de cent ans et un jour jusqu’à l’infini. Lors de leur centième anniversaire, les cadavres poussaient le couvercle de leur cercueil, se levaient et naissaient à la vie. Ce jour là, à la porte de leur tombe, leurs futurs enfants, petits-enfants et parfois arrière-petits-enfants, les attendaient pour les emmener et leur donner leur nom (en général, celui du fils cadet). Il arrivait toutefois que certains d’entre eux ne trouvaient pas de familles prêtes à les accueillir. Ceux-là se dirigeaient alors d’un pas solitaire vers la ville et choisissaient eux-mêmes leur nom.

Au cours de leur existence, la plupart des hommes et des femmes de ce pays, avec ou sans postérité, cherchaient, inlassablement, le partenaire idéal avec lequel ils pourraient cheminer paisiblement vers

les sombres rivages de la jeunesse. De rares élus parvenaient à le rencontrer.


Post-Scriptum : Les morts de Verlande, eux, quel que fût leur âge, étaient conservés dans des bâtiments situés au cœur des villes et appelés crèches ou encore jardins d’enfants.


(1) Les femmes Malossaines ont une particularité qui leur est imposée à la naissance : on leur scelle le vagin au fer rouge. Plaie sanglante et ouverte, qui laissera place, peu de temps après, à un cachet plat, hermétiquement clos, hormis un minuscule trou de la grosseur d’une tête d’épingle : canal creusé dans la chair vive avant qu’elle ne s’éteigne, et qui permettra ensuite à la femme Malossaine de lâcher son légendaire jet d’eau, puissant et fin comme un fil de soie.





par Jacky Barozzi 12 septembre 2025
Dix jours après son intervention chirurgicale du 2 septembre dernier, Vita a retrouvé toute sa vivacité ! Vita en toute intimité Contrôle positif de la vétérinaire, hier après-midi : les derniers points de suture tomberont d’eux-mêmes et la cicatrice n’est déjà plus qu’à peine visible. Entre temps, elle a perdu 200 grammes, qui ne correspondent pas exactement au poids des deux ovaires qui lui ont été retirés à l’occasion de sa stérilisation, mais à sa perte d’appétit au début de sa convalescence, passant ainsi de 4 kg à 3, 8 kg.
par Jacky Barozzi 2 septembre 2025
Vita dolorosa Entrée au cabinet vétérinaire à 9 heures ce mardi 2 septembre, Vita en est ressortie à 17 heures. Entre temps, ses deux ovaires lui ont été retirées sous anesthésie : adieu chaleurs, pertes sanglantes et perspectives d’enfantement ! Nous l’avons récupérée, encore groggy, après un long instant de réanimation. Pour l’heure, elle a une cicatrice de trois centimètres au niveau du nombril, protégée par un sparadrap et elle est entièrement emmitouflée dans une sorte de justaucorps élastique de ton chair, qui lui donne une allure de momie égyptienne. Contrôle dans deux jours et retrait définitif du pansement une semaine après. Avec juste un traitement anti douleur à lui administrer le matin, durant trois jours. Autant vous dire que Vita ne s’est pas fait prier pour retourner dare dare à la maison où elle a retrouvé son coussin avec plaisir… 
par Jacky Barozzi 17 août 2025
A l’occasion des actuels travaux de réaménagement de la place Félix-Éboué (12e arr.) ont été mis au jour d’anciens rails de l’avenue Daumesnil. D’émouvants vestiges « archéologiques » qui datent de l’époque où la STCRP (Société des transports en commun de la région parisienne) gérait les transports de voyageurs en surface dans l'ancien département de la Seine de 1921 à 1941.
par Jacky Barozzi 15 août 2025
Vita en été Née en septembre 2024, Vita découvre les plaisirs de la sieste, au centre du lit de ses deux humains adorés, dans la chambre fraîche aux volets clos...
par Jacky Barozzi 10 juillet 2025
Les jardinières de l’Hôtel de Ville Une nouvelle « forêt urbaine » a été aménagée et ouverte au public sur le parvis de la Mairie de Paris. Une forêt, croyez-vous ? « Mal nommer les choses c'est ajouter au malheur du monde » disait déjà Albert Camus. Disons, qu'ici, tout au plus, il s'agit de deux charmants bosquets ! Beaux et inattendus comme un double décor de cinéma, plus artificiel que naturel toutefois. Ces bosquets ont été créés en lisière de la Seine et de la rue de Rivoli, sur un peu plus du quart de la surface totale d’environ 9000m2 de l’ancienne place dont la partie centrale est restée quant à elle inchangée. Entièrement dallée de granit avec, en son centre, la représentation de la nef, emblème de Paris, celle-ci avait été réaménagée en 1982, à l’occasion du centenaire de la reconstruction de l’Hôtel de Ville.
par Jacky Barozzi 14 juin 2025
La paysanne de Paris Native de la campagne varoise (83), Vita aime la nature. Outre ses nombreuses sorties dans le quartier et sa promenade quasi quotidienne au bois de Vincennes, elle dispose d’un petit jardin méditerranéen privé, aménagé sur le balcon en arc de cercle, qui surplombe les arbres du boulevard Soult, à l’angle de la rue de la Nouvelle-Calédonie, et ceux de la cour du lycée Paul-Valéry. Là prospèrent pas moins de deux oliviers, un figuier, un citronnier, un laurier à fleurs aux trois tons de rose, un chèvrefeuille, des lavandes…
par Jacky Barozzi 13 juin 2025
Miam miam, ce jeudi soir mes deux papas m'ont amenée à la pizzeria Momo, place Saint-Paul (3e arr.), où l'on a retrouvé leurs amis Eric et Fabrice ! La vie parisienne de Vita En bonne Parisienne, Vita adore quand l'on reçoit à la maison et encore plus quand on sort dîner en ville...
par Jacky Barozzi 11 juin 2025
Matin calme, sans aucun tram à l'horizon. Promenade hygiénique Mardi 10 juin, à l’heure du déjeuner. Rentrant du bureau de tabac et tenant son chien en laisse, un homme traverse le boulevard Soult (12e) et s’en retourne à son domicile sur le trottoir d’en face, sans savoir qu’il est observé. Vita et moi sommes nous filmés par une caméra de contrôle, depuis un drone, un hélicoptère ? Non, juste Chedly nous photographiant depuis notre balcon, avec son smartphone…
par Jacky Barozzi 10 juin 2025
Séance d'échauffement à la musique des tam tam africains de la sportive Vita au bois de Vincennes. La déesse du stade S’il ne vente, pleut, neige ou grêle, Chedly ou moi menons quotidiennement Vita au bois de Vincennes. Là, sur la large prairie jouxtant le temple bouddhiste du lac Daumesnil, elle peut se dépenser à loisir et en toute liberté durant une bonne heure ou deux. Lieu de rendez-vous des proches résidents à chien de Paris, Charenton, Saint-Moritz ou Saint-Mandé, elle y rencontre les principaux candidats susceptibles d’entrer en compétition avec elle. N’hésitant pas à aller aboyer crânement sous le nez des plus grands et des plus costauds canidés de l’assemblée et les encourager à lui courir après. Lorsqu’à la suite de quelques brefs départs et retours d’excitation et d’échauffement, l’un ou l’autre des partenaires putatifs de Vita se décide enfin à la pourchasser, on assiste alors à un double départ en trombe pour de grandes courses circulaires endiablées à travers tout le vaste espace verdoyant et herbeux environnant. Enivrée par sa propre vitesse, il lui arrive parfois de mal contrôler ses virages et de se renverser sur le dos, les quatre pattes en l’air. L’occasion pour le poursuivant d’en profiter pour la plaquer au sol et où la course à pattes se transforme en une lutte au corps à corps, déloyale et déséquilibrée. C’est alors que, ses longues jambes aux cuisses musculeuses ne lui servant plus à rien, Vita gigotant en tous sens, n’hésite pas à montrer au molosse qui la surplombe dangereusement l’entièreté de son appareillage dentaire. En appelant désespérément à l’aide l’un ou l’autre de ses deux accompagnateurs humains dont elle semble fort opportunément se ressouvenir de l'existence.
par Jacky Barozzi 9 juin 2025
Heidi 1ère. Le choix de Vita Nous avions pourtant décidé de ne jamais remplacer notre première chienne Heidi, morte la veille de sa seizième année, il y a bien longtemps maintenant. Achetée, tout juste sevrée, par Chedly dans une boutique animalière des quais de Seine, elle était arrivée par surprise chez nous, sans que je fusse le moins du monde consulté au préalable. Heidi était une adorable bâtarde de Loulou de Poméranie et de Fox Terrier et ressemblait à un renard blanc au pelage parsemé de quelques taches beiges, principalement concentrées autour de la tête. Elle était particulièrement vive, joueuse et très sociable avec les humains, qui étaient cependant priés de lui témoigner un certain intérêt, et les autres chiens, avec une nette tendance à la domination. Sinon, gare aux représailles ! Heidi était une vraie reine dans son genre. Quand, contre toute attente et prévisions, Vita est finalement entrée dans nos vies, il y a six mois, elle m’a tout de suite fait penser à Heidi, mais dans un format sensiblement plus minuscule. Même énergie, même curiosité, même tendance à vouloir tout régenter et même obsession pour la nourriture : pas question que l’on prenne tranquillement le moindre repas sans payer le quota qu’elle estime lui être dû. Après quoi seulement, elle s’en retourne à ses croquettes. Elle est pourtant toujours la première servie mais la dernière à sortir de table (ou d’écuelle) ! Ainsi était également Heidi. Au point que très vite, je me suis dis que Vita était la réincarnation d’Heidi. Mais comment, unilatéralement ou conjointement, Chedly et moi, sommes nous parvenus, quasi au premier regard, et à près de quinze ans de distance, à trouver le genre de chien (en l’occurence et sans discussion possible une chienne), qui nous convienne aussi bien ? Mystère…