
« L’Effacement » de Karim Moussaoui, avec Sammy Lechea, Zar Amir Ebrahimi et Hamid Amirouche. Après le très remarqué « En attendant les hirondelles » (2017), le second long métrage de Karim Moussaoui, inspiré du livre éponyme de Samir Toumi (2016), dépeint l'émancipation d'un jeune homme dans une société algérienne menacée par le terrorisme et gangrenée par la corruption. C’est un film tout à la fois très dur et très fragile, qui demande cependant à être décrypté. Ça commence comme un film historico-politique et ça tourne ensuite au thriller fantastique. On y suit les pas de Réda, un jeune homme des beaux quartiers d’Alger. Son père, parti de rien, à réussi opportunément à l’occasion de la Guerre de Libération algérienne à se hisser à la tête de la plus grande entreprise d’hydrocarbures du pays. C’est un homme puissant plein d’ennemis, à l’extérieur, et un patriarche autoritaire et machiste dans sa maison. Tandis que le frère aîné de Réda résiste et se révolte contre son père, le cadet, en bon fils obéissant, se soumet à son ordre despotique. Il s’efface, il s’efface, au point qu’un beau jour il ne voit plus son reflet dans la glace de son miroir ! C’est alors que va commencer sa métamorphose. Une sanglante métamorphose, où malgré une belle rencontre amoureuse avec une femme douce et expérimentée, il ne parviendra pas à contenir les strates de frustration accumulés inconsciemment en son for intérieur. Eclatante vengeance, qui d’invisible le rend un peu trop voyant… Un film au scénario ambitieux, qui oscille entre le réalisme et un fantastique plus gore que kafkaïen, interprété par des acteurs justes et convaincants et ponctué par la musique de Chopin. Et qui en fin de conte, traduit parfaitement le mal-être de la génération, des milieux populaires ou privilégiés, éduquée à l’ombre des pères dans l’Algérie postcoloniale. https://www.youtube.com/watch?v=oca7IzqtUis

« Les Enfants rouges » de Lotfi Achour, avec Ali Helali, Yassine Samouni et Wided Dadebi. Au centre de paysages rudes et superbes de la Tunisie du centre-ouest à la frontière de l’Algérie, une communauté pastorale se voit livrée à elle même. Entre une administration lointaine et inefficace, sinon indifférente à leur sort, et des terroristes qui campent sur leurs montagnes, les villageois, qui ont vu déjà leurs territoires réduits par la pose de mines, doivent, tels des agneaux face aux loups, subir en sus l’égorgement de l’un d’entre eux. S’inspirant de la décapitation par les djihadistes d’un jeune berger en 2015, Lotfi Achour nous donne à voir un film archaïque beau comme une tragédie grecque réactualisée, ici, par des actes ressortissants de la barbarie contemporaine. Porté par des acteurs plus vrais que nature et plus nature qu’acteurs, dont le bouleversant Ali Helali dans le rôle d’Achraf, le jeune berger chargé de rapporter, en guise d’avertissement, la tête de son cousin à ses parents, le cinéaste tunisien déclare qu’il a emprunté le titre du film à une expression de la région. Une région où le qualificatif de rouge, associé à un homme, une femme, ou un enfant, exprime avant tout son courage. Rien à voir donc avec le marché parisien des Enfants-Rouges, installé à l’emplacement d’un ancien hospice accueillant les enfants trouvés, qui étaient habillés eux de vêtements rouges, symbolisant la charité chrétienne. Rouge comme le courage, la dignité et la solidarité dont témoignent tous les hommes et les femmes du film. https://www.youtube.com/watch?v=2Dz07t9SflY

« Le joli mai » de Chris Marker et Pierre Lhomme, avec la voix off d’Yves Montand et la musique de Michel Legrand. Je me faisais une joie de découvrir le Paris des années 1960, moi qui me suis installé dans la capitale la décennie suivante. Hélas, passées les premières images de la version remasterisée et réduite à un peu plus de 2 h à partir de la cinquantaine d’heures enregistrées en mai 1962, la déception a pris le pas sur la curiosité. Un film documentaire formellement daté, qui donne plus à entendre qu’à voir. Plus bavard que visuel, il est essentiellement constitué de longs micro trottoirs obtenus par des interviewers aux questions particulièrement intrusives et ponctué par la voix off d’Yves Montand récitant, sur le mode lyrique, un catéchisme sociologique et politique des plus convenus. Un film dont le seul intérêt réside dans sa valeur strictement documentaire sur la photographie des lieux et les mentalités de ses habitants à l’époque. Dieu que la Ville Lumière derrière sa prestigieuse façade monumentale était triste, crassseuse et grise en ce mois de mai 62, pas si joli que ça ! Particulièrement pluvieux et froid, saturé de voitures, la capitale sans maire à sa tête, administrée par un préfet, regorgeait encore de quartiers insalubres et de bidonvilles tandis que les premières barres-immeubles d’habitations et de bureaux commençaient à pousser anarchiquement à sa périphérie. Que ce Paris était ennuyeux aussi, tandis que l’homme de la rue, pour lequel la femme était encore loin d’être son égale, n’avait alors le choix qu’entre de Gaulle, Maurice Thorez et un certain… Jean-Marie Le Pen. Un mois de mai secoué par les dernières exactions plastiquantes de l’OAS, le procès du général Salan et les grèves conduites sous la bannière de la CGT. Un Paris finalement très semblable et très différencié, qui nous transporte depuis les étals de la rue Mouffetard aux allées grouillantes du Palais Brongniart, des Algériens de Nanterre aux bourgeois des beaux quartiers, des prolétaires d'Aubervilliers aux manifestants de Charonne… Passé un certain ennui, le film nous donne néanmoins à voir un Paris encore marqué par la lutte des classes, plus populaire et moins touristique et métissé qu’aujourd’hui. Une photographie plus ou moins fidèle de notre Paris en devenir. Là réside son principal mérite. https://www.youtube.com/watch?v=9uWjFQCRKpw

« Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé » de Bogdan Mureşanu, avec Adrian Văncică, Nicoleta Hâncu, Emilia Dobrin, Iulian Postelnicu, Mihai Călin et Andrei Miercure. A la veille de Noël 1989, la Roumanie est au bord de l’implosion. Souvenons-nous. Pour son premier long-métrage, le cinéaste roumain Bogdan Muresanu s’attache aux pas de six personnages en quête de liberté tout aussi susceptibles d’incarner, chacun à sa manière, l’étincelle qui va mettre le feu aux poudres du long régime dictatorial des époux Ceaușescu et précipiter leur chute. Un petit film choral, pas très nouveau dans le fond et la forme, et cependant plein d’un grand mérite. Le ton ici est à la comédie italienne, sans être pourtant franchement hilarant. Du fait de son titre original, « Anul Nou Care N-A Fost », fidèlement traduit du roumain, qui annonce des lendemains où l’on ne rase malheureusement pas gratuit. Même si le film s’en tient seulement à la période pré révolutionnaire d’un scénario occultant la suite des évènements. D’autant plus que l’on se souvient aussi de la falsification médiatique de l’affaire des charniers de Timișoara. D’un mensonge d’état l’autre. Si hier, la somme des peurs et des lâchetés individuelles ne pouvait aboutir qu’à une société sans avenir, le passage du collectivisme autoritaire de l’Est à la démocratie consumériste de l’Ouest, n’est-il pas tout aussi illusoire ? Une vigoureuse question que nous pose le film de Bogdan Mureşanu, Grand Prix au Festival de Venise, et explique en partie son succès, tant auprès de la critique que du public. Un désenchantement universel, toujours d’actualité, qui déborde largement les frontières de la Roumanie. https://www.youtube.com/watch?v=e-yVDCpUmTk

« Little Jaffna » de Lawrence Valin, avec Lawrence Valin, Puviraj Raveendran et Vela Ramamoorthy. Entre les gares du Nord et de l’Est, le quartier indien de « Little Jaffna » à Paris est le cœur d'une communauté tamoule discrète, où Michael (Lawrence Valin), un jeune policier, est chargé d'infiltrer un groupe mafieux spécialisé dans le trafic de clandestins, le racket et le blanchiment d'argent au profit des rebelles séparatistes du Sri Lanka (les Tigres, mouvement révolutionnaire terroriste totalement décimé en 2009). Premier long métrage de Lawrence Valin, ce thriller politique, qui est également le premier film de fiction consacré à la communauté tamoule parisienne, est aussi l’occasion pour son réalisateur-acteur atypique de s’y tailler un rôle à sa mesure. Un film violent, efficace, haletant, porté par des acteurs qui ne manquent pas de gueule, et qui nous incite à nous renseigner sur les problèmes spécifiques à cette communauté. Instructif et quasi ethnographique pour les spectateurs extérieurs que nous sommes et qui restons dubitatifs sur le jugement à porter sur le personnage principal. Traitre ou héros ? https://www.youtube.com/watch?v=8Pc7RFSehAA

« La Chambre de Mariana » d’Emmanuel Finkiel, avec Mélanie Thierry, Artem Kyryk, et Julia Goldberg. Distingué dès son premier long métrage, « Voyages » (1999), Emmanuel Finkiel est un réalisateur inventif, libre et exigeant, qui n’hésite pas à se confronter aux grands textes littéraires. Après « La Douleur » de Marguerite Duras (2018), avec déjà Mélanie Thierry dans le rôle de l’inénarrable auteure germanopratine, il récidive ici en adaptant le roman éponyme d'Aharon Appelfeld. Des textes passablement teintés d’autofiction, lui permettant ainsi d’aborder des sujets récurrents liés à sa propre histoire, tels le nazisme, la shoah ou le stalinisme. Ce film est situé à Czernowitz en Ukraine sous l’occupation allemande depuis 1942, jusqu’à l’arrivée des Russe deux ans plus tard. Pour le sauver de la déportation, la mère d’Hugo, enfant juif d’une dizaine d’années, le confie à son amie Mariana, une prostituée qui vit dans une maison close à la sortie de la ville. Caché à l’insu de tous dans le placard de la chambre de Mariana, c’est à travers les yeux, les oreilles, les sentiments et émotions de ce petit Anne Frank ukrainien que nous suivons les péripéties dramatiques de cette histoire, qui nous renvoie de fait à la grande Histoire passée et présente de l’Ukraine. Rien de moins ! Magistrale mise en scène du cinéaste, dont on retiendra le plan séquence où l’enfant, planqué sous le lit de Mariana, découvre les principaux protagonistes de la maison close en ne voyant que leurs pieds. Et remarquable interprétation de Mélanie Thierry, qui s’impose en tant que comédienne performative (c’est sa voix que l’on entend dans la VO ukrainienne du film). Tout aussi à l’aise dans la comédie ou la tragédie, elle incarne une Mariana qui n’est pas sans rappeler, dans une situation plus dramatique néanmoins, la légèreté et le charme fataliste d'Anouk Aimé en Lola de Nantes. Sans oublier le tout aussi remarquable Artem Kyryk dans le rôle du jeune Hugo. https://www.youtube.com/watch?v=FN1u7kSFyyQ

« Simón de la montaña » de Federico Luis, avec Lorenzo Ferro, Kiara Supini et Pehuén Pedie. Grand Prix de la Semaine de la Critique au dernier festival de Cannes, le premier long métrage de Federico Luis ne laisse pas indifférent. Le film du cinéaste argentin, qui n’est pas sans rappeler le récent « Un p’tit truc en plus », aborde le thème du handicap mental et l’accession à la sexualité de jeunes handicapés de façon nettement plus réaliste et crue. Ici, le ton n’est pas à la franche comédie. Moins consensuel que le film d’Artus, le spectateur y adhère ou pas. Sur un scénario minimaliste et une mise en scène, un montage et une bande sonore soignés, « Simón de la montaña » mêle les acteurs valides aux acteurs handicapés, d’où se détache le jeu particulièrement convaincant de Lorenzo Ferro dans le rôle titre. Où se situe le curseur de la normalité entre ces jeunes gens en crise post adolescente et les adultes bienveillants et passablement débordés qui les encadrent ? Moins bon enfant, plus ambigu et violent que la triomphale comédie précédemment évoquée, le film de Federico Luis nous interroge, nous dérange et nous renvoie à notre entière perplexité. Troublant ! https://www.youtube.com/watch?v=oMMGTIJGjC4

« Le Joueur de Go » de Kazuya Shiraishi, avec Tsuyoshi Kusanagi, Kaya Kiyohara et Taishi Nakagawa. Beau portrait, en costume, de Yanagida, un gentilhomme japonais de l’époque féodale, menant une vie retirée avec sa fille unique et consacrant ses journées entières au jeu de go. Jusqu’au jour où son honneur étant mis en cause, il se voit contraint de retirer son sabre de son étui et appliquer le code moral du parfait samouraï qu’il était et qu’il demeure. Alternant l’action éclair et la lenteur, Kazuya Shiraishi nous propose un film formellement classique, aussi flamboyant que notre récent Les trois mousquetaires , qui en fait étaient quatre, là où Yanagida est un pion résolument solitaire. Belle leçon qui nous démontre, s'il en était besoin, qu’un pion bien pensant et bien placé peut changer la face des choses… https://www.youtube.com/watch?v=21ls0TdujEk

« La Cache » de Lionel Baier, avec Dominique Reymond, Michel Blanc, William Lebghil, Ethan Chimienti et Liliane Rovère. J’ai été plutôt agréablement surpris par le film de Lionel Baier, adapté librement du roman éponyme de Christophe Boltanski (le neveu de Christian), prix Femina 2015. J’étais allé le voir principalement pour Michel Blanc dont ce fut le dernier film avant sa mort soudaine. Tourné dans l’appartement familial de la rue de Grenelle d’une tribu haute en couleur dont le prince est un enfant de 9 ans, le film s’organise autour d’une mystérieuse cache qui, tandis que nous sommes plongés au coeur des événements de mai 68, nous renvoie en écho à une période plus sombre de notre histoire. Quand le grand-père de la famille, porteur de l’étoile jaune, devait alors se planquer dans un réduit des tréfonds de l’appartement, à la manière de la petite Anne Franck d’Amsterdam. Résultat des courses. Lionel Baier nous livre une oeuvre déjantée, assez cérébrale dans le fond et allègrement graphique et inventive dans la forme. Du cinéma d’auteur, très codé nouvelle vague, où il beaucoup question de sémantique tout autant que de politique et à l’esthétique de bande dessinée. L’occasion pour Michel Blanc de tirer sa révérence en beauté et pour nous de découvrir une comédienne rare en la personne de Dominique Reymond et une Liliane Rovère très drôle en aïeule nostalgique de sa vieille Odessa originelle. Un ovni qui nous change quelque peu de la production cinématographique habituelle. https://www.youtube.com/watch?v=-NJM3MGF1dQ

« The Last Showgirl » de Gia Coppola, avec Pamela Anderson, Dave Bautista et Jamie Lee Curtis. Plutôt mourir sur scène que de quitter les feux de la rampe ! Shelly ne veut pas entendre parler de retraite, elle qui brille de tous ses feux sur la scène de la plus célèbre revue de cabaret de Las Vegas (l’équivalent local du Lido de Paris) depuis 30 ans. Même si elle est passée, au fil du temps, de la première place au dernier rang de la troupe, elle ne se sent bien qu’en pleine lumière. Vie familiale ou amoureuse, elle a tout sacrifié à sa vocation de danseuse dont elle se fait une haute idée. Un royaume de strass et de pacotilles dont elle n’est pourtant pas dupe mais qui remplissait parfaitement sa vie. Hélas, passablement datée et en perte de vitesse, la revue est brutalement arrêtée par les producteurs et les danseuses licenciées sans pitié par un préavis annonçant leurs dernières représentations. Dur dur pour Shelly, 57 ans non avoués, qui est la plus vieille de la troupe. Pourtant plus fourmi que sa cigale de copine Annette, qui s’est reconvertie en serveuse de casino quelques années plus tôt, Shelly est totalement désemparée. Gia Coppola réussit un bien joli film, quelque peu politiquement incorrect par nos temps de polémique sur la retraite à 64 ans, et anti wokiste : nos vieilles danseuses ne rechignant pas à ce qu’on leur pince les fesses à l'occasion ! Pamela Anderson trouve là un rôle inopinément à sa mesure, en danseuse suant sang et eau pour rester à niveau, même si elle minaude un peu trop et nous fait sa Marilyn. Elle témoigne néanmoins de suffisamment de talent pour éviter de se faire piquer la vedette par l’incroyable Jamie Lee Curtis dans le rôle de Annette. Une reconversion possible pour l’ancienne bimbo d’Alerte à Malibu ? C’est tout le bien que je lui souhaite ! https://www.youtube.com/watch?v=Sq8sBzi3rGY