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Déconfinement J+1 (lundi 11 mai 2020)


 Deux fois l’an, je vais me faire détartrer les dents, Chez le docteur Sophie A., rue de Rivoli, métro Saint-Paul.

 C’était son premier jour d’ouverture, et sa secrétaire m’avait donné rendez-vous à 14 h précises, pas cinq minutes de plus ou de moins. Elle m’avait questionné au préalable sur ma santé actuelle et celle de mon entourage.

 En sortant, l’émail scintillant, j’ai traversé la rue et fait un tour dans le Marais. 

 Il y flottait comme un air de convalescence commerciale, après un long arrêt maladie…

Je suis passé devant Beaubourg et les Halles : tandis que la fontaine des Innocents tombe en ruine, la Bourse de Commerce, de l’autre côté du jardin, se refait une beauté !

 En contournant la Banque de France, j’ai rejoint l’avenue de l’Opéra par la rue des Petits-Champs.

 Dans sa superbe boutique de l’avenue de l’Opéra Chedly* refaisait les vitrines, aidé du jeune vendeur Alexandro…

 J’ai redescendu ensuite l’avenue de l’Opéra, jeté un coup d’oeil à la librairie Delamain, ouverte, puis ai traversé le guichet du Louvre : la pyramide à gauche, le carrousel, à droite, la tour Eiffel au loin.

 Sur le quai, je suis descendu marcher le long de la Seine. Ambiance Paris-Plage, mais version habillée.

 J’ai émergé à l’Hôtel de Ville, où je suis aller prendre le métro.

 Bonne fluidité sur la ligne 1…


* Compagnon du narrateur.


Déconfinement J+2 (mardi 12 mai)


 Longue marche ininterrompue hier de 16 heures à 21 heures. 

 A Montmartre, sans touristes et sans marchands d’oeuvrettes immondes sur la place du Tertre, l’on retrouvait l’ambiance du village perché de jadis. 

 Hélas, la ville n’a pas saisit l’occasion des 55 jours de confinement total pour nettoyer de fond en comble les rues de la capitale à grandes rasades d’eau ! Partout au sol des détritus, canettes, brisures de verres, feuilles mortes hivernales et traînées douteuses. 

 Partout également on a laissé les mauvaises herbes envahir l’espace, offrant ainsi un écrin idéal aux rats parisiens.

 J’étais monté dans le bus 46 à la porte Dorée (l’accès se fait désormais par la sortie sans plus avoir à payer). Après la traversée des XIIe, XIe et Xe arrondissements, avec un léger détour par le XXe à la place du Colonel-Fabien, je suis descendu devant la gare de l’Est. Des cordons de police filtraient les entrées. 

 Là, j’ai gravi l’amusant escalier Napoléon III, à gauche, et j’ai découvert alors qu’un nouveau jardin, suspendu au-dessus des rails, a été aménagé. Actuellement fermé, bien évidement. On l’a baptisé du nom d’une députée brésilienne assassinée. 

 Peu après, en passant devant la gare du Nord, où malgré mon masque j’ai été saisi par une forte odeur d’urine, j’ai aperçu un semblable cordon de police empêchant les gens d’entrer et renvoyant ceux qui désiraient rejoindre le métro ou le RER vers l’unique porte réservée à cet effet. 

 Juste avant le boulevard Magenta, dans un renfoncement, devant un bar fermé, un jeune SDF black était allongé, jambes écartées et le fond du pantalon entièrement éclaté. Dans la masse sombre, j’ai pu distinguer les parties charnues de son anatomie, offerte généreusement à la vue des passants de tous sexes et de tous âges. 

 A Barbès-Rochechouart, j’ai eu une pensée émue devant le Louxor, l’un des cinémas où j’ai mes habitudes. 

 Poursuivant ma route vers Château-Rouge, quelques jeunes gens m’ont proposé discrètement des cigarettes ou plus. J’ai répondu en souriant que je n’étais pas intéressé. Une population plus dense à majorité africaine m’a fait bifurquer vers les petites rues sinueuses, à gauche, et j’ai atterri au bas d’une série d’interminables escaliers me conduisant directement au pied du Sacré-Coeur, avec sa vue imprenable sur Paris. 

 Là encore, un cordon de police municipale, cette fois-ci, surveillait que la distance réglementaire soit bien maintenue entre les jeunes oisifs assis sur les marches. A l’heure apéritive, celle-ci dispersera ce rassemblement, devenu plus dense et moins précautionneux.

 Après un tour réglementaire du vieux Montmartre, privé de son funiculaire, je suis redescendu par la rue des Martyrs, lorgnant au passage les appétissants commerces de bouche qui bordent son parcours et lui donnent toujours, malgré la crise, un air d’aisance et de prospérité.

 Après une petite halte à la boutique de Chedly, avenue de l’Opéra, le temps pour lui d’imprimer le ticket de caisse de la journée et de baisser le rideau, nous avons repris la route ensemble. 

 Lui aussi avait envie de marcher un peu et de profiter du prolongement de la pleine lumière offerte par l’heure d’été. 

 Sur la place Colette, devant la Comédie française, nous croisâmes une longue file sinueuse d’individus solitaires, légèrement espacés entre eux, qui attendaient patiemment et résignés de recevoir leur sac repas. Aux habituels SDF se trouvaient mêlés des jeunes gens et des jeunes filles, proprement habillés.    Témoignants que la masse des précarisés s’est sensiblement développée…

 Nous avons cheminé ensuite à travers les Halles et le Marais, inhabituellement calmes à cette heure festive.

 Puis nous avons poursuivi notre chemin par la rue de Rivoli, jusqu’à la nouvelle place de Bastille, dont les travaux de réaménagement viennent tout juste de s’achever, et que nous avons pu traverser pour la toute première fois.



La place du Tertre, déserte.



Déconfinement J+3 (mercredi 13 mai)


 J’avais eu une soudaine envie de Rive Gauche.

 Ainsi, après deux changement de lignes, je me suis retrouvé, une demi-heure plus tard, à Saint-Germain-des-Prés.

 L’église et son clocher étaient toujours à leur place, mais les grilles étaient fermées, tout comme Le café de Flore et Les Deux Magots voisins.

 Dans les couloirs du métro et sur les colonnes Morris des rues, les affiches annoncent toujours les prochaines sorties de films à la date du… 18 mars.

 Impression généralisée de temps suspendu et d’étrangeté de la ville vivant au ralenti, comme jamais vue auparavant.

 Sentiment renforcé par le fait que je revenais aussi sur les premiers lieux de ma vie parisienne.

 Je suis passé peu après sous les fenêtres de l’appartement que nous occupions jadis avec A., à l’angle de la rue du Bac et de la rue de Varenne.

 Rien depuis n’a vraiment changé, sinon qu’entre temps des enseignes de magasins ont laissé la place à d’autres enseignes.

 Ce n’est pas tant le coeur des villes qui change, mais plutôt les habitants.

 Par la rue du Cherche-Midi je suis parvenu au boulevard Pasteur, lieu d’une autre adresse marquante de mes premières années parisiennes.

 Tentant de fuir la nostalgie qui commençait à m’envahir, j’ai dirigé mes pas rapidement vers l’avenue de Breteuil, puis bifurqué à gauche sur l’avenue de Saxe.

 Arrivé devant l’Ecole militaire, j’ai contourné l’élégant et austère bâtiment en pierres de taille par la droite et, après avoir longé les écuries du côté de l’avenue de Lowendal, je me suis retrouvé face au Champ-de-Mars.

 Ce quartier m’a toujours paru triste, mais actuellement plus encore.

 Ici, les vastes pelouses centrales, engrillagées, comme celles de l’avenue de Breteuil, ont été laissées en jachère : de hautes herbes ont remplacé les habituels gazons gras et verts. Pas même de coquelicots au milieu des mauvaises herbes. Seulement des papiers gras au sol et des poubelles débordantes non ramassées, depuis on ne sait plus combien de temps !

 Dans cet état de semi abandon, le jardin n’est plus fréquenté que par les gens du quartier.

 A son extrémité, la tour Eiffel, dont le parvis fait l’objet d’importants travaux de rénovation, est ceinte d’une palissades en bois.

 Après avoir enjambé la Seine, puis cheminé tout au long d’une des allées qui bordent la fontaine monumentale, je suis allé me poster au centre de la grande terrasse du Palais du Trocadéro. 

 Pas un seul vendeur Noir de Tour Eiffel à l’horizon.

 Vision panoramique sur Paris, qui m’a rappelé, non sans un frissonnement coupable, la triomphante visite d’Hitler en ces lieux, en juin 1940 !






 J’ai commencé à venir à Paris à l’âge de 17 ans, je m’y suis installé à la vingtaine et n’en suis pratiquement plus jamais reparti. 

 Aujourd’hui, j’en ai 68. 

 En près d’un demi siècle, je n’avais jamais vu Paris ainsi ! 

 Un Paris modianesque, du temps de l’Occupation et de l’immédiate Après-Guerre, tout en douceur et au ralenti. 

 Un Paris des Parisiens, sans plus d’étrangers. 

 Rétrogradé de capitale mondiale à capitale nationale, voire à une modeste préfecture de province. 

 Néanmoins, sous l’éteignoir apparent généralisé, on sent l’énergie sous-jacente de la ville prête à repartir !

 Déjà, ici et là, les personnels de cafés et restaurants, non encore autorisés de réouverture, installent leurs établissements aux nouvelles normes d’accueil du public.

 Moi qui ai connu dans mon enfance Paris grâce au Monopoly, j’ai l’impression que les cartes vont être redistribuées. Après un an d’exactions de la part des Gilets jaunes et les dernières grèves et manifestations contre la réforme des retraites, le coronavirus va porter le dernier coup à une multitude de petits commerces et d’artisans. 

 Les plus gros mangeront les plus faibles !

 Et quelques petits malins émergeront sans doute du lot. 

 Comme dans le Paris de Balzac ?


"Mais où donc sont passés les humains !"



Déconfinement J+4 (jeudi 14 mai)


 La règle du jeu consiste à s’éloigner le plus possible de son domicile, afin de marcher tout à loisir dans des quartiers moins sillonnés que le territoire limité où nous avons été confinés durant 55 jours. Une heure de piétinements dans le rayon du kilomètre réglementaire épuise plus sûrement que des heures de marches dans un secteur moins fréquenté. 

 Afin de me désenclaver le plus rapidement et le plus loin possible, j’ai donc pris le tram vers 16 heures à la porte Dorée et en suis descendu en bout de ligne, au pont de Garigliano, à l’extrémité du 15e arrondissement. Quoiqu’encore fluide, la fréquentation s’est sensiblement étoffée dans les rames en regard des premiers jours de déconfinement. 

 Après un coup d’oeil aux locaux de France Télévision, à droite, et à ceux de TF1, de l’autre côté de la Seine, sur la gauche, j’ai traversé le pont pour rejoindre l’avenue de Versailles dans le 16e. 

 J’ai poursuivi mon chemin en direction de la porte de Saint-Cloud. 

 Dans la vitrine d’une librairie, j’ai distingué trois de mes ouvrages exposés parmi d’autres titres de la collection Le goût de… : Le goût des jardins, Le goût des chats et Le goût du printemps

 Rien que sur ce parcours, il m’a été donné de constater que, beau quartier où pas, cette portion du 16e arrondissement est plus sale que certains coins du 20e. 

 La frontière entre l’est et l’ouest parisien, entre quartiers riches et quartiers populaires, semble de plus en plus poreuse. En matière de saleté, la parité tout du moins semble respectée : la démocratie par la crasse et nuls privilégiés !

 Ensuite, j’ai rejoint la porte d’Auteuil par le boulevard Murat, entrevoyant de larges pans du parc des Princes sur la gauche. 

 Les parcs et squares parisiens n’étant pas rouverts au public, je me suis abstenu d’aller faire un tour au jardin botanique des Serres d’Auteuil, qui abritait alors les bureaux de la Direction des Parcs et jardins de la mairie de Paris, du temps où je travaillais en tant que chargé de mission à son service de la communication. 

 J’ai continué la promenade dans les rues d’Auteuil et de Passy, paisibles villages huppés et bourgeois de l’ouest parisiens, avant de monter dans le 52, qui m’a ramené dans le centre.




Déconfinement J+5 (vendredi 15 mai)


 Vers 17h, je suis descendu du T2 à la station de la porte de Choisy.

 Là, en m’enquillant dans l’avenue du même nom, je plonge directement au coeur de Chinetown.

 Le grand nombre d’asiatiques masqués sur les trottoirs me fait songer aux beaux jours ordinaires de jadis. 

 Certes, les cafés et les restaurants sont fermés, mais la plupart d’entre eux proposent des boissons et des plats à emporter.

 A travers la vitrine des ongleries, j’entrevois des clientes coquettes abandonnant leurs mains ou leurs pieds aux soins attentifs d’employées courbées sur le métier.

 Pour le corps cependant, il faudra attendre encore un peu, les salons de massage, fréquentés surtout par les hommes, restant toujours inaccessibles.

 Devant le grand établissement alimentaire des frères Tang, je note que la file d’attente est des plus modérée.

 Après la traversée de la place d’Italie et avoir longé la façade de la mairie du 13e, je me retrouve dans l’avenue des Gobelins. 

 Poursuivant mon parcours en ligne droite, j’arrive promptement à l’entrée de la rue Mouffetard, quittant le 13e pour le 5e arrondissement.

 Sur les grilles du square Saint-Médard, qui jouxte l’église éponyme, une exposition de photos attire mon attention. Treize grands clichés en couleurs des rues de la capitale, oeuvres de la photographe Claire Garate, nous donnent à voir des scènes de vie parisienne -tel ce couple de mariés, photographiés de dos, se rendant à pieds à la mairie du 6e arrondissement-, ou des détails architecturaux tout aussi cocasses ou insolites. Des clichés provenant des divers quartiers de Paris, légendés avec fantaisie par le cinéaste Patrice Leconte. 

 Belle manifestation de déconfinement artistique !

 Devant le bouchon formé à l’entrée de l’étroite rue Mouffetard, où sont concentrés les commerces de bouche, je remets prudemment mon masque.

 Juste après, dans la partie réservée à la succession des restaurants, les piétons se raréfient soudainement. 

 J’ôte mon masque.

 Place de la Contrescarpe, des jeunes gens, assis au sol, sacrifient au rituel de l’apéritif entre amis.

 En redescendant la rue du Cardinal-Lemoine, j’avise une plaque sur l’immeuble du n°74, nous informant que le jeune Hemingway et son épouse écoulèrent ici des jours heureux dans leur appartement du troisième étage. 

 En face, une autre plaque nous indique que Valery Larbaud demeura en ces lieux, au voisinage de l’immeuble où James Joyce acheva « Ulises »

 Plus bas, après avoir dépassé l’Institut du Monde Arabe, j’ai traversé la Seine par le pont Henri IV. 

 Forte concentration estivale sur les quais ensoleillés, en contre-bas.

 Devant la caserne de la Garde Républicaine, j’ai vu arriver le 86, vers lequel je me suis précipité.

 En contournant en bus la place de la Nation, nous avons pu découvrir d’autres jeunes gens rassemblés en masse sur les pelouses. 

 Propos scandalisés des voyageurs assis devant moi. 


En attendant la réouverture des cafés !



Déconfinement J+6 (samedi 16 mai)


 Il n’était pas loin de 18 heures lorsque je suis sorti à la station de métro Châtelet-les-Halles, du côté de la place Sainte-Opportune.

 Place des Innocents, devant la librairie d’occasion Boulinier, deux jeunes femmes et un vieux monsieur recherchent avidement parmi les étals les « trois livres de poche à 0,50 centimes » susceptibles de faire leur bonheur.

 Devant les boutiques de fringues des Halles, de jeunes élégantes et jeunes élégants n’hésitent pas à prendre leur place en bout de longues files d’attentes afin de pouvoir s’offrir leurs habits neufs de printemps. Les banderoles des vitrines annonçant jusqu’à 70% de rabais !

 Dans la rue Saint-Denis, les sexe-shops sont rouverts.

 Après la rue Réaumur, là où d’antique mémoire s’échelonnent selon leur degré de fraîcheur les filles de joie pas une d’entre elles ne répond à l’appel. Au point que je peux enfin accéder, sur la gauche, à l’impasse Saint-Denis, où habituellement elles se concentrent et empêchent le quidam de pénétrer sous peine d’invitation à consommer. Vision parfaite d’une ruelle pavée à réverbères digne des Mystères de Paris d’Eugène Sue.

 Peu avant la porte Saint-Denis, deux hétaïres rescapées n’ont pas hésité à déjouer les interdits de la préfecture de police, sauvant ainsi l’honneur de la profession. L’une, passablement fanées, montre généreusement ses appâts, tandis que l’autre, plus jeune et avenante, se présente sous un aspect plus sobre. La première me fusille du regard alors que la seconde se contente de me sourire gentiment. Néanmoins, aucune d’entre elles ne prononcent leur fatidique : « Tu viens, chéri ! »

 Rue du Faubourg-Saint-Denis, des Parisiens moins volages font leur marché aux étals des magasins de fruits et légumes. D’autres attendent devant les boulangeries ou les boucheries. Les trottoirs sont tellement animés que je suis contraint de marcher au milieu de la rue, où passent encore quelques rares voitures.

 Progressivement, les « spécialités turques » aux vitrines des traiteurs cèdent la place aux « spécialités kurdes ».

 Peu à peu, les populations rencontrées se métissent sensiblement.

  Je tourne à droite dans la rue du Château-d’Eau, royaume des coiffeurs africains.

 Tandis qu’à l’extérieur des hordes de Blacks démasqués se postillonnent au visage, en parlant fort et agitant les bras, à l’intérieur, sans respect du mètre réglementaire, des clientes décolorées se font lisser le cheveu ou implanter de fines tresses serrées multicolores.

 Au carrefour de la rue de Strasbourg, des groupes de policiers, le visage extatique, se contentent de s’adonner à de la figuration muette.

 En poursuivant dans la rue du Château-d’Eau, je suis surpris de voir que les portes de la caserne des pompiers, juste derrière la mairie du Xe arrondissement et face au marché couvert Saint-Martin, sont entièrement closes.

 La rue redevient moins fréquentée.

 Place de la République, une longue file rangée devant le café Fluctuat Nec Mergitur attend de recevoir des aliments et même des vêtements. Un jeune resquilleur tentant de couper la file se fait violemment rejeter par les suivants.

 La place à des allures de jour de manifestation.

 Au centre, des groupes de CRS, portant dans le dos les lettres A ou B*, témoignent pour l’instant d’une autorité toute symbolique.

 En quittant la place, à l’autre extrémité, une deuxième association humanitaire distribue des repas.

 Au 42 boulevard Beaumarchais (ex boulevard du Temple), une plaque nous rappelle que Gustave Flaubert vécut là entre 1855 et 1869.

 Après la Bastille, dans la rue du Faubourg-Saint-Antoine, je me hâte d’acheter une baguette de pain dans une boulangerie encore ouverte, avant de rentrer chez moi en bus.


*Fonctionnaire d’état de catégorie B (gardien de la paix) ou de catégorie A (lieutenant) de la filière police-sécurité.




Déconfinement J+7 (dimanche 17 mai)


 Vers 14 heures, je décide d’aller faire un tour dans le petit bois derrière chez moi. 

 Les froidures matinales ayant cédé la place à une belle journée ensoleillée, nombreux étaient les Parisiens à se ruer en direction du bois de Vincennes depuis la porte Dorée. 

 Tout autour du lac Daumesnil, où les barques à nouveau s’activaient, flottait comme un air de désobéissance civile généralisée. 

 Les pelouses alentour étaient prises d’assaut et de joyeux pique-niques réunissaient les familles ou les groupes d’amis.

 Au loin, les principales attractions de la foire du Trône, immobiles derrière les grilles de la pelouse de Reuilly, attendent toujours une hypothétique autorisation d’ouverture au public.

 Laissant sur la droite le temple bouddhique, je me suis dirigé vers le petit pont, à gauche, donnant accès à l'île de Reuilly et à l'île de Bercy.

 Avisant un banc libre en bordure d’allée, juste avant le restaurant du Chalet du lac, je m’y suis assis au centre afin de pouvoir admirer tout à loisir le spectacle animé qui s’offrait à ma vue. Le masque baissé, les yeux barrés de lunettes noires, vêtu seulement d’un bermuda et d’un polo à manches courtes, les bras tendus en croix sur le dossier du banc, je confiais aux rayons du soleil le soin de déblanchir mon visage et les parties dénudées de mon anatomie d’ancien confiné hivernal. 

 C’est alors que je vis arriver à moi un vieil homme, petit et fluet, à belle crinière grise. 

 Il me demanda s’il pouvait s’assoir à mes côtés.

 - Bien sûr, lui répondis-je en me poussant vers l’extrémité droite du banc, il nous suffit juste de respecter le mètre réglementaire entre nous, ajoutai-je en riant.

 Ainsi prit-il place à l’extrémité gauche.

 Nous gardâmes le silence, le temps pour moi de l’observer discrètement. 

 Le visage masqué et surmonté de lunettes teintées, il était entièrement revêtu en beige : chemise, pull, pantalons et chaussures. Du même beige, propre mais pareillement délavé, était le blouson qu’il avait retiré et gardait à la main. Ses doigts, aux ongles nets, taillés court, ne portaient aucune bague ni alliance. 

 Je remarquai que la peau de ses avant-bras et du dessus de ses mains était tavelée, mais paraissait encore souple. 

 Quel âge pouvait-il avoir ?

 Dans les soixante-dix bien tassés, estimai-je à vue de nez.

 Nous commençâmes alors à échanger quelques paroles anodines sur les gens étalés sur l’herbe autour de nous. 

 Je lui dis qu’après tant de messages contradictoires durant la période de confinement, ceux-ci semblaient avoir choisi de désobéir aux consignes gouvernementales.

 Pour sa part, il trouvait que les distances entre les regroupements étaient somme toute respectées.

 Je lui fis remarquer néanmoins que les porteurs de masques étaient infiniment minoritaires. 

 D’un air coquin, il me confia qu’il se demandait si les amoureux hésitaient à s’embrasser ?

 Il me semble, précisai-je que les rapports sexuels sont déconseillés par les autorités scientifiques.

 La conversation prit alors un tour inattendu.

 Je parlai du sida, il enchaîna sur la syphilis. 

J’évoquai l’emploi des préservatifs, il me déclara que pour lui son usage représentait 50% de plaisir en moins ! Et que lorsqu’il était à l’armée, il y a maintenant 70 ans, on leur avait projeté un film sur les ravages des maladies vénériennes, avec des sexes amputés, qui lui avait glacé le sang à l’époque !

 - 70 ans, m’exclamai-je ! Plus vingt, ça vous ferait 90 ans, demandai-je d’un air incrédule ?

 - 92 le mois prochain, précisa-t-il en baissant furtivement son masque et de le remettre aussitôt en place. 

 Son visage était à peine ridé.

C’est alors qu’il me raconta sa vie, répondant dans le détail aux nombreuses questions que je lui posai.

Deux bonnes heures après, chacun repartit de son côté. 


 C’était un petit homme ordinaire et singulier. 

 Il avait enterré deux femmes, mortes chacune d’un cancer. De la première, il avait eu deux enfants, un garçon et une fille nés dans les années 1950, comme moi.

 Un pur parigot, n’ayant jamais vécu ailleurs qu’à Paris.

 D’origine modeste, il avait vécu avec ses parents, du côté du boulevard Voltaire, dans le XIe arrondissement.

 Il avait quinze ans à la Libération de Paris.

 A dix-huit, il fut placé en atelier et devint métallurgiste, payé à la pièce.

 Jeune marié, il s’installa avec sa femme (parlant d’elle, il disait « ma femme », pour l’autre, avec laquelle il vécut 20 ans, il employait le terme « ma compagne ») rue des Petits-Champs en bordure du Palais Royal.

 Il suivit alors des cours du soir et obtint un C.A.P. de comptable. 

 Suite à quoi, il entra au siège de chez Peugeot, rue de la Grande-Armée à Neuilly, où il resta jusqu’à l’âge de 55 ans, avant de partir, contraint et forcé mais largement indemnisé, en préretraite. 

 C’est ainsi qu’il bénéficie d’une pension depuis un temps équivalent à celui durant lequel il a travaillé (un peu moins de quarante ans) !

 Il habite désormais un immeuble moderne avec ascenseur du 13e arrondissement. Un grand appartement dont il est propriétaire, avec balcon et box pour sa voiture. 

 Il conduit toujours, principalement pour se rendre dans sa maison de campagne à une vingtaine de kilomètres de la capitale. 

 Il a hâte d’aller tondre son jardin. 

 C’était sa seconde grande sortie depuis le déconfinement. 

 « Pouvoir parler à quelqu’un », voilà ce qui lui avait le plus manqué durant le confinement. 

 A l’occasion des maladies de ses compagnes, il avait appris à faire son ménage, sa cuisine et repasser son linge tout seul. 

 Aussi est-il parfaitement autonome, sans nul besoin d’aide ménagère ni femme de ménage, et préférerait se suicider plutôt que de finir en Ehpad, ainsi qu’il en a averti ses enfants.

 Parfois, en me parlant, il tapotait mon avant-bras gauche d’un doigt. 

 Je mis un point d’honneur à ne pas sursauter et faire comme si de rien n’était.

 Plus tard, je me suis empressé de passer du gel sur la partie touchée…

 Je l’avais beaucoup questionné sur le Paris de l’Occupation et de la Libération. 

 Je lui ai même demandé s’il avait été témoin des grandes rafles de 42.

 Non, « à ’époque, nous n’étions pas informé comme aujourd’hui », me répondit-il, bien qu’il lui arrivât d’écouter Radio-Londres.

 Il n’avait pas vraiment connu la faim à cette époque, parfois il lui arrivait d’accompagner sa mère en Normandie, où ils achetaient de la nourriture au marché noir.

 Voyait-il un rapport entre la Dernière Guerre mondiale et la situation actuelle ?

 Rien à voir, selon lui.

 Parfois, pour écourter ses réponses où je le voyais se perdre dans d’infinis détails, je lui reposai impatiemment une autre question. 

 « Attendez ! » ma répétait-il imperturbablement.

 Après l’épisode sur la mort de sa seconde compagne, j’ai même osé un : « Une troisième peut-être ? »

 Il n’y pensait pas.

 A l’issu de cet interrogatoire complet, il m’a demandé, timidement, ce que je faisais dans la vie et si j’étais marié. 

 Je l’ai brièvement informé que j’étais journaliste culturel indépendant et que, sans être marié, je ne vivais pas seul.

 Il a eu la gentillesse de me dire que, moi aussi, je ne faisais pas mon âge…



D'une solitude l'autre...



Déconfinement J+8 (lundi 18 mai)


 Vers 17 heures, je monte dans les rames vides du métro au point de départ de la ligne 2, reliant la Nation à la porte Dauphine.

 Sur le parcours, je constate que plusieurs stations ne sont pas desservies.

 C’est le cas de celle de la place de Clichy, où j’ai l’intention de me rendre.

 En conséquence, je descends à Rome, et reviens à mon point de destination en cheminant sur le terre-plein central du boulevard des Batignolles.

 Place de Clichy, la librairie de Paris est ouverte et le café Wepler fermé.

 Masqué et les mains dûment frictionnées, j’entre dans la librairie, histoire de vérifier si mon dernier opus, paru juste avant la longue période de confinement, s’y trouve.

Sur la tablette, placée devant la caisse, j’avise une pile du Goût de la paresse, dont je dénombre 9 exemplaires.

 Je remonte l’avenue de Clichy, en direction de la Fourche.

 En passant devant le Cinéma des cinéastes, où il me prend parfois l’humeur de venir voir des films, je lui trouve un air d’abandon.

 Des feuilles mortes qui n’avaient pas été ramassées à la pelle se sont glissées jusque dans le hall de l’établissement.

 A la Fourche, je poursuis ma route jusqu’à la station Brochant, en restant sur la voie de gauche.

 Là, je prends la rue Brochant, à gauche, m’enfonçant résolument dans le XVIIe. Un arrondissement bourgeois, qui dans sa partie frontalière avec le XVIIIe est nettement plus populaire, mais dont je constate à nouveau combien, là aussi, comme dans l’est parisien, le secteur s’est sensiblement boboïsé.

 Dans les impasses latérales, la plupart des anciens locaux artisanaux ont donné naissance à des ateliers d’artistes, modifiant irrémédiablement la sociologie du quartier et le prix de ses loyers.

 En cheminant le long de la rue Brochant, j’aperçois, à son extrémité ouest, la masse verdoyante du square des Batignolles et, au bout des rues perpendiculaires, à droite, celle du récent parc Clichy-Batignolles-Martin-Luther-King.

 En contournant le square public des Batignolles, dense oasis de verdure dont la plupart des arbres datent de sa création à l’époque de Napoléon III, je me fais l’effet d’être un pauvre hère lorgnant, à travers les grilles, sur le parc privé d’un riche seigneur.

 Devant l’église voisine de Sainte-Marie-des-Batignolles, les gens du quartier prennent le soleil, assis nonchalamment sur un petit muret, tandis que les jeunes s’adonnent aux joies du skate ou, pour les gamins, de la trottinette. Sur un banc, un jeune-homme et une jeune-fille jouent paisiblement aux cartes, une canette de bière à portée de main.

 J’ai la surprise de voir qu’une porte latérale de l’église est ouverte et quelques rares silhouettes se mouvant à l’intérieur.

 J’en profite pour entrer.

 La partie centrale a été dégagée de ses chaises, empilées sur les côtés.

 Je peux aller admirer au fond, derrière l’autel, le groupe sculpté en marbre blanc de la Vierge s’élevant en extase au dessus d’un nuage d’anges en tendant les bras vers un ciel résolument bleu.

 En ressortant, je prends la rue Legendre, à droite, et traverse en surplomb les voies de la gare Saint-Lazare.

 Parvenu rue de Rome, je me resouviens, qu’étudiant, tandis que la voie était encore pavée, mon vieux vélosolex, acheté d’occasion dès mon installation dans la capitale, n’avait pas supporté les violentes trépidations de la route et avait eu une brusque descente d’organe : le moteur pendant lamentablement au sol, je l’avais alors lâchement abandonné sur le bas-côté.

 Plus loin dans la rue Legendre, je tourne à droite, dans la rue de Tocqueville.

 Constatant toujours avec amusement qu’ici, les bâtiments plus modestes précédemment croisés sur le parcours, cèdent la place à d’austères immeubles haussmanniens.

 Je peux même admirer au passage, deux curieux hôtels particuliers, en brique rouge (de style troubadour ?), à la hauteur de la rue Cernuschi.

 Dans le haut du boulevard de Malesherbes et la place de Wagram, je retrouve le XVIIe dans toute sa splendeur.

 De là, je rejoint le boulevard Berthier et le tout nouveau quartier aménagé autour du solennel bâtiment de verre du Tribunal de Paris et le parc Martin-Luther-King, bouclant ainsi la boucle qui va de la place à la porte de Clichy.




Quand la réalité rejoint la science-fiction !

 


Déconfinement J+9 (mardi 19 mai)


 Vers 13 heures, je monte dans le 26, un double bus en accordéon, à l’angle du cour de Vincennes et de la rue des Pyrénées.

 J’en redescends à Jourdain, dans le 20e arrondissement.

 La rue du Jourdain, avec sa placette pas trop nette -j’ai buté sur un vieux masque crasseux jeté à terre-, ses deux librairies de livres neufs ou d’occasion, sa massive église Saint-Jean-Baptiste au sommet, et ses appétissants commerces de bouche répartis tout autour a des allures de sous-préfecture prospère.

 Au point de jonction entre la rue des Pyrénées finissante et l’avenue Simon Bolivar, je franchis insensiblement la frontière qui sépare le XXe arrondissement du XIXe. 

 Au passage, je jette un coup d’oeil, sur la droite, au square Bolivar, qui n’est pas un jardin. 

 Etagé en pente abrupte et de forme circulaire, avec ses deux beaux marronniers au centre, il m’a toujours intrigué.

 Le spectacle du parc des Buttes-Chaumont, toutes portes closes en plein jour, où les petites filles en trottinettes viennent buter, étonnées, et les vieillards s’assoir sur les bordures extérieures, l’air peiné, me scandalise.

 De l’autre côté des grilles, les pelouses inclinées bercent leurs hautes herbes. Mais qu’ont fait les jardiniers durant tout ce temps ? 

 Qu’importe ! 

 Depuis la rue Manin, je grimpe la rude enfilade d’escaliers qui me laissent, essoufflé, à la butte Bergeyre. Havre de calme et de verdure, aménagé au début du XXe siècle autour de cinq rues : Barrelet-de-Ricou, Philippe-Hecht, Rémy-de-Gourmont, Edgar-Poe et Georges-Lardennois, toutes bordées de petits immeubles et de pavillons avec leurs jardinets. Ici, les enfants des résidents privilégiés jouent dans la rue et une jeune promeneuse se fait photographier sous toutes les coutures par son amoureux. 

 Soudain, quelques gouttes d’eau me pleuvent sur le crâne. Je lève la tête et aperçois deux gamins rieurs, un peu en retrait d’une fenêtre au deuxième étage, un pistolet en plastique à la main. « Merci, ça rafraîchit ! », leur dis-je, en poursuivant mon chemin. 

 A l’autre extrémité, l’unique banc est occupé par quatre loulous fumeurs de haschisch, probablement venus des cités voisines, ainsi qu’en attestent les scooters garés auprès d’eux. Ils papotent sans plus faire attention au superbe paysage qui s’offre à leur vue. Je me plante devant afin d’admirer depuis l’est parisien le profil du Sacré-Coeur et de son jardin, plantés au sommet de la colline en vis à vis. 

 Je redescends les escaliers situés du côté de l’avenue Simon Bolivar.

 Je reprends la rue des Pyrénées, tourne à droite dans le rue des Cascades, puis toujours à droite, dans la rue des Envierges, jusqu’à son point de rencontre avec la rue Piat. 

 Là, je me retrouve sur l’esplanade qui coiffe le parc de Belleville. 

 Ici, le grand café d’angle, fait table ouverte : 3,50 euros la portion de frites, 5 et 6 euros les pintes de bière. 

 Je slalome entre la foule des jeunes gens, assis à terre ou sur la balustrade dominant le vaste jardin.   Une odeur acre, pleine de promesse de rêves flotte dans l’atmosphère. 

 Je distingue au loin, dans l’air embrumé, la tour Montparnasse, Beaubourg, la tour Eiffel, et plus loin encore les collines du sud et de l’ouest de la capitale.

 Le temps de fumer… une cigarette, puis je descends la rue Piat et retrouve la rue de Belleville, dans sa partie constitutive du deuxième Chinetown de Paris. 

 En passant devant le vieux café La Vielleuse, rideaux de fer baissés, je ne peux jeter un coup d’oeil au miroir brisé en 14-18 par les tirs de la grosse Berta !

 Après avoir traversé le boulevard de Belleville, j’ai poursuivis la balade par la rue du Faubourg du Temple, la rue Saint-Maur et Oberkampf et rejoint l’avenue Parmentier, dans le XIe arrondissement.

 Au niveau du square Saint-Ambroise, j’ai attrapé le 46 qui m’a ramené chez moi.

 


Les jardins du Palais-Royal sont bien gardés.



Déconfinement J+10 (mercredi 20 mai)


(Relâche : simple tour dans le quartier et visite rafraîchissante chez le coiffeur arabe de la porte de Vincennes : la coupe est passée de 12 à 13 euros).



Réouverture des salons de coiffure : chacun va pouvoir se refaire une beauté.



Déconfinement J+11 (jeudi 21 mai)


 Je descends vers 15 heures du T2 à la porte Didot, Boulevard Brune, dans le 14e arrondissement.

 Rue Didot, je tourne, à gauche, dans la petite rue des Mariniers.

 Je découvre alors les derniers aménagements réalisés sur le site de l'ancien hôpital Broussais, notamment la promenade Jane et Paulette Nardal, inaugurée en août 2019 en hommage aux deux soeurs, philosophes et enseignantes, qui posèrent les bases théoriques de la négritude avec Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas. 

 C’est un tout nouvel espace de verdure, sans grilles, avec des transats en bois pour les adultes et un impressionnant dragon-toboggan pour les enfants.

 Au débouché de la rue Vercingétorix, je me heurte au mur du chemin de fer de la gare Montparnasse. 

 J’emprunte le passage souterrain, au-dessous de la petite gare en briques rouges, et en ressort dans la rue Jacques Baudry, en passant sous les voies. 

 Le temps de constater que je suis désormais dans le 15e arrondissement, je poursuis le parcours sur la gauche, par la rue Castagnary et la rue Fizeau.

 Du côté des rues du Sommet des Alpes et de Chambéry, je n’ai pas retrouvé le petit restaurant où nous venions dîner avec A., les soirs de canicule, comme aujourd’hui. Sa terrasse, à l’arrière, donnait sous les frondaisons de la Petite Ceinture, ligne ferroviaire désaffectée au début des années 1960.

 Devant la Halle aux chevaux et le parc Georges Brassens, déserts, je me dirige vers la droite, dans la rue des Morillons, puis, à gauche, dans la rue Santos-Dumont.

 Petite halte devant le n°42, où habitait le troubadour sétois qui a donné son nom au parc voisin.

 De retour dans la rue des Morillons, je repars en sens inverse, et vais saluer au passage les deux beaux taureaux, qui flanquaient l’entrée des anciens abattoirs de Vaugirard.

 Plus loin, à l ‘angle de la rue de Dantzig, l’austère bâtiment des Morillons fait toujours office de cimetière des objets perdus parisiens. 

 Au bout de la rue des Morillons, je prends la rue Olivier de Serres, à droite, et rejoins la rue du Commerce. 

 Petite visite de courtoisie à la librairie le Divan, récemment rouverte.

 Sur la placette, au carrefour avec la rue de Vaugirard, les enfants semblent heureux de pouvoir à nouveau jouer à tournez manège.

 En revanche, les portes du multiplex Gaumont restent désespérément fermées.

 Là, j’emprunte la rue de Javel, croise la rue Blomet, la rue Lecourbe, puis la rue de la Croix-Nivert, d’où j’aperçois, à droite, le clocher de l’église Saint-Lambert.

 Parvenu à ce point de la promenade, harassé de fatigue et de chaleur (30° à l’ombre), la gorge altérée, je me perds un peu entre les rues Félix-Faure et de Lourmel. Ne sachant plus très bien si je dois prendre à droite ou à gauche. 

 Au rond-point Saint-Charles, mon GPS naturel s’est remis en marche.

 Je prends alors la rue de la Convention. 

 Devant le site de l’ancienne Imprimerie nationale, je constate que celle-ci a laissé la place au

« Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ».

 Je suis entré dans le Franprix d’en face. Je voulais m’acheter une canette fraîche de Coca-Cola et j’en suis ressorti avec une canette de Redbull, à base de « taurine » (késako ?) mais il y avait marqué dessus : « vivifie le corps et l’esprit ». 

 Tout ce qu’il me fallait !

 J’en avale une grande rasade d’un coup. Horrible goût de sirop à la fraise trop sucrée. Mais de fait, deux minutes après, je suis parfaitement requinqué. 

 Je me suis présenté à l’entrée du centre commercial Beaugrenelle, côté Charles-Michel. Le premier centre commercial parisien à avoir été autorisé à rouvrir ses portes, hier. Une accorte jeune-fille, un panier en osier au bras, distribue des masques à ceux qui n’en ont pas.

 Je traverse la galerie où sur les vitrines pimpantes des magasins on peut lire : « Heureux de vous revoir ».

 Autour de la rotonde centrale et de sa verrière, de grands fauteuils moelleux me tendent leurs bras. 

Là, j’ai une vue d’ensemble sur les cinq niveaux du centre commercial, où je n’ai rien de spécial à acheter.

 Après quoi, je ressorts par la porte Linois, au plus près de la Seine.

 A mi-pont, tandis que la statue de la Liberté, en proue de l’île aux Cygne, éclaire toujours le monde, de larges escaliers me permettent de rejoindre l’allée centrale, où une grande diversités d’arbres forment une voûte végétale des plus attrayantes. 

 Marchant au milieu des eaux, la Maison de la Radio, à gauche, les tours du Front de Seine à droite, je parvins à l’extrémité de l’île où, malgré le nombre important de promeneurs, je trouve un banc miraculeusement libre. 

 Je m’y assieds, entre un sophora du Japon et un atlante (faux vernis du Japon), face aux locaux du port autonome de Paris.

 J’ai dû m’assoupir quelques instants.

 Il est près de 19 heures, quand je remonte sur le pont de Bir-Hakeim. Là, je n’ai pas manqué d’aller admirer la statue de Wederkinch en hommage A la France (1930). Une Jeanne d’arc équestre autrement plus vigoureuse et troublante que celle de la place des Pyramides. 


Une nouvelle occasion pour certains d'exprimer leur incivilité ?



Déconfinement J+12 (vendredi 22 mai)


 Il était déjà 17 h 45 quand je suis descendu du 46, place du Colonel-Fabien. Dans le bus, je remarque pour la première fois plusieurs voyageurs sans masques. 

 Je prends la rue de Meaux, où je découvre, que le marché couvert Secrétan est devenu un marché Bio, rebaptisé Les 5 fermes

 Je tourne, à gauche, dans la rue Lally-Tollendall, du nom d’un ancien gouverneur des Indes françaises. 

 Puis je tourne à gauche dans l’avenue Jean-Jaurès, et rejoins la belle rotonde de style palladien de Ledoux, coincée entre le métro aérien et le bassin de la Villette. 

 Sur le parvis, je compte pas moins de six fourgons de CRS, déployés tout autour.

 Ce qui reste de la faune habituelle des lieux se tient sagement assis sur les bancs entourant la place.

Je grimpe sur la passerelle passant, à droite, au-dessus des écluses, permettant aux péniches de relier le canal Saint-Martin depuis le bassin de la Villette. Sous mes pieds, les abords des écluses, où doivent se regrouper la nuit les SDF, sont de véritables dépotoirs.

 Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. 

 Hier, il faisait un temps de canicule. Aujourd’hui, ciel couvert, petit crachin et air frisquet.

 Sur le quai de la Loire, je longe la marquise du cinéma MK2 et de sa librairie, tout deux fermés au public.

 Juste après, j’hume avec délice les senteurs parfumées des tilleuls qui embaume la promenade Jean-Vigo. 

 Quelques jeunes culturistes s’activent autour des machines du fitness en plein air mis à leur disposition par la municipalité.

 Plus loin, la piscine naturelle, aux eaux filtrées, aménagée au coeur du bassin de la Villette n’est toujours pas ouverte.

 Dans son prolongement se déploie la promenade Eric Tabarly, agrémentée d’aires de jeux, de terrains de sport, de tables de ping-pong et d’un vaste boulodrome qui occupent l’essentiel de l’espace, tandis que sur la piste cyclable à double sens, sur la droite de la promenade, les vélos passent à jet continue.

 Ici, le piéton n’a qu’à bien se tenir.

 Au bout du bassin, le vieux pavillon en pierre de meulière, abrite désormais un bar à B. Q. baptisé Au bord du canal et la base nautique La Villette. 

 Tandis que l’arrière du bâtiment a été transformé en résidence étudiante.

 Ici, et jusqu’au pont flottant de la rue de Crimée, les trottoirs gluants, ombragés de tilleuls, collent aux semelles du passant. 

 A l’entrée du quai de la Marne, une surprenante installation artistique fait la joie des nombreux badauds, réunis là. On peut y admirer un impressionnant empilement de vélo et de caddies vaseux et puants que les employés de la propreté de la ville repêchent un à un dans le canal à l’aide de filins à bouts crochets.

 Sur les rives, des péniches à l’ancre ont été transformés en bars, restaurants et théâtre flottant.

 A droite, des jardins partagés, derrière leur grillage, ont été rebaptisés Petite Campagne.

 J’arrive enfin en vue du parc de la Villette, dernier grand espace de 35 hectares aménagé en jardin ouvert 24h/24 à Paris, et me heurte à des barrières métalliques. 

 Fermés !

Alors que les bois, l’esplanade des Invalides, le Champ-de-Mars ou les jardins des Champs-Elysées sont accessibles au public.

 Pourquoi ces deux poids deux mesures ?

 Là, je suis renvoyé sur le quai de Metz, à droite, où j’assiste à un spectacle émouvant. Deux jeunes-hommes attendent qu’un superbe doberman à poil fauve ait fini de déféquer au pied d’un arbre. Lorsqu’il se décontracte, se relève et reprend sa marche, en boitillant, je découvre qu’il n’a que trois pattes. Quelques mètres plus loin, sur le quai de la Garonne, ses maîtres le transvasent dans une carriole en toile rouge et s’en vont en le tirant.

 Rue Adolphe Mille, je contourne le collège Edgar Varèse, un bâtiment en béton, brut de décoffrage.

 J’aperçois, en face, une partie de l’architecture métallique de la Grande Halle et, à droite, l’arrière du théâtre Paris Villette, aménagé dans l’un des pavillons en pierre des anciens abattoirs de la Villette. 

 Pareillement barricadés.

 Je n’ai pas d’autre choix que de regagner le haut de l’avenue Jean-Jaurès. 

 Devant l’entrée principale du parc, clos de barrières : la fontaine aux lions, à sec, la Grande Halle, de face, le café des Concerts, à droite, tout comme la nouvelle salle de la Philharmonique de Jean Nouvel… fermés et déserts. 

 Sur les trottoirs, autour de la sortie du métro Pantin, des bandes de jeunes stationnent en s’interpelant.

 A l’angle de la porte de Pantin et du boulevard Mac Donald, je distingue deux jeunes hommes à leur fenêtre, dans un bâtiment moderne sur lequel est écrit résidence Arpej. 

 Sacrés étudiants privilégiés, qui bénéficient probablement du parc de la Villette pour eux seuls !

 Il est près de 20 heures lorsque je monte dans le tram, passablement blindé, qui me reconduira, masqué mais pas suffisamment « distancié », à la porte de Vincennes.


Concert à vide à la Philharmonique de Paris.



Déconfinement J+13 (samedi 23 mai) 


 Vers 16 h 30, je sors de la ligne 6 du métro à la station Charles-de-Gaulle-Etoile.

 Je contemple La Marseillaise de François Rude sur le pilier droit de l’Arc de Triomphe. Majestueuse figure ailée et drapée qui flotte dans l’air, toutes jambes écartées, tendant une épée au-dessus d’un groupe de vigoureux guerriers où se détache, au centre, un garçonnet sans culotte, brandissant un sexe raidi. 

 Pas un touriste au sommet du monument.

 La circulation automobile a réinvesti la place. 

 Trois gendarmes se tiennent en faction en haut de l’avenue des Champs-Elysées.

 D’autres petits groupes, armés, attendent d’hypothétiques Gilets jaunes tout au long de la célèbre avenue.

 Devant la boutique Louis Vuitton, à l’angle de l’avenue Georges V, une file clairsemée de clients où ne se distinguent plus les habituels asiatiques.

 A l’autre angle, le Fouquet’s est parfaitement cadenassé.

 Juste après, une file d’attente plus fournie, de jeunes blacks et beurs, stationne devant la boutique Lacoste.

 A l’angle de la rue Quentin-Bauchart, deux Ferraris rouge sang attendent le conducteur, amateur de sensations fortes, susceptible de payer 199 euros pour prendre le volant et s’offrir un tour du quartier.

 Chez Ladurée, les salles et la terrasse sont fermées, mais l’on peut toujours acheter des macarons à emporter.

 En façade d’un kiosque à journaux, la couverture du magazine Tétu, titré L’Amour et le sexe, s’interroge : « Cruising : Paris bande-t-il encore ? »

 Je me heurte à une file d’attente plus fournie devant la boutique Citadium. 

 Personne, en revanche, devant chez Weston, tandis que de l’autre côté de l’avenue, Lévis est fermé.

 Après la Pizza Pino, quelques derniers fidèles font la queue afin d’accéder à la boutique Paris-Saint-Germain.

 A l’angle de l’avenue Montaigne, une file d’attente plus dense s’est rangée avec discipline derrière les grilles entourant les vitrines de chez Gucci.

 A voir la composition sociologique, partout, des éventuels acheteurs, l’on ne peut que constater que l’économie actuelle des commerces renaissants des Champs-Elysées, en l’absence des touristes fortunés, est soutenue essentiellement par les jeunes banlieusards.

 A partir du Rond-Point des Champs-Elysées, les représentants de la police nationale ont remplacé les gendarmes.

 Les jardins des Champs-Elysées, pourtant libres d’accès, ne sont guère envahis par les Parisiens. Le temps s’étant sensiblement rafraîchi. Autour des restaurants et théâtres, fermés, les pelouses non entretenues ont des allures de terrains vagues.

 Je traverse la place de la Concorde sans problème, débarrassée qu’elle est du flot habituel des voitures et de la multitude des pousse-pousses et autres moyens de locomotion alternatifs qui avaient envahi l’espace ces dernières années.

 J’ai failli néanmoins me faire renverser par un des deux roues qui sillonnent à toute allure la piste cyclable aménagée de part en part devant le jardin des Tuileries. 

 Là, depuis les grilles, je peux admirer dans toute leur splendeur les belles perspectives des jardins dessinés par Lenôtre.

 A l’intérieur, pas un quidam, à l’exception d’un gardien dans sa guérite vitrée.

 Sous les galeries de la rue de Rivoli, la plupart des commerces sont fermés. Notamment les boutiques de souvenirs de Paris qui polluent le site, d’antique mémoire. Seuls, quelques boutiques de vêtements de marque ont ouvert leurs portes.

 Au croisement de la rue de Castiglione, j’aperçois, sur ma gauche, Napoléon Bonaparte, qui m’observe sans aménité, depuis le sommet de la colonne Vendôme.

 A l’entrée de la spacieuse librairie Galignani j’entends le responsable s’inquiéter auprès de ses collaborateurs : « N’a-t-on pas atteint le quota des vingt personnes autorisées ? » 

 Je peux cependant y pénétrer, dument masqué et les mains frictionnées. 

 A Pyramide, j’aborde enfin au pied de la statue dorée de Jeanne d’Arc, scintillante de soleil. 

 Redressée sur son cheval auquel elle fait marquer l’arrêt, on dirait qu’elle me tire franchement la gueule ! 

 Ce que je peux comprendre, car on l’a statufiée à l’endroit même où elle a échoué son entrée dans la capitale. Moment crucial, à partir duquel son destin a basculé.

 Au bout de la rue des Pyramides, je retrouve Chedly devant sa boutique de l’avenue de l’Opéra, à l’heure de la fermeture. 

 Il n’a eu qu’un seul client de toute la journée.




Déconfinement J+14 (dimanche 24 mai) 


 Vers 15 h 30, je débarque du tram à la station porte de Clignancourt-puces de Saint-Ouen. 

 Sur le quai, de jeunes beurs me proposent des Marlboro de contrebande.

 A l’entrée et dans les allées du marché aux fripes, à moitié remplis d’étals, qui précède les Puces proprement dites, d’autres revendeurs à la sauvette font pareillement commerce de vulgaires montres argentées ou dorées, données pour de véritables Rolex, ou des pochettes Vuitton et des chemises Lacoste d’imitation.

 Parmi les étals officiels de jean’s, de polos ou de survêtements et chaussures de sport, je dénombre deux stands aux couleurs jamaïcaines, présentant des accessoires destinés aux fumeurs de cannabis.   En l’absence toutefois de la matière principale. 

 Plus loin, sous le pont du périphérique, d’autres revendeurs erratiques me tendent des iPhones ou des lunettes Chanel de contrefaçon.

 Le tout, à la barbes et au nez de couples de policiers en patrouille et de soldats de la brigade antiterroristes.

 Rue des Rosiers, de nombreuses boutiques ouvertes exposent d’élégantes cheminées en marbre, de grands miroirs à moulures dorées, de superbes malles de voyage ou encore des lustres en cristal.

 J’entre à gauche, dans le marché Malassis où la moitié des stands sont fermés. Parmi les stands ouverts du premier niveau, dominent le mobilier et le luminaire de style Art Déco, d’époque ou neuf. On trouve aussi quelques galeries de tableaux, de la vaisselle et des meubles de tous styles et, au fond, des sculptures de jardin d’inspiration plus ou moins mythologique. 

 A l’étage, je remarque surtout des tapis et des chaises ou des fauteuils sur lesquels il est écrit : « Ne pas s’assoir dessus, SVP ! »

 Au marché Vernaison, en face dans la rue des Rosiers, les 3/4 des stands sont fermés. J’y admire quelques chasubles d’évêque et des objets de verroterie. Devant le bistro Chez Louisette, où au cour des ans j’ai pu écouter des Piaf de contrefaçon, les grilles sont tirées et le silence a remplacé le flonflon des accordéons.

 Revenu dans la rue des Rosiers, épine dorsale des Puces, je ne suis pas entré, à gauche, dans le marché Dauphine, quasi désert et noir, mais en face, dans le marché Biron, plus engageant. Des commerçants réunis autour d’une table, à l’extérieur, verres de vin et tasses de café devant eux échangent leurs impressions. L’un dit que ça redémarre tout doucement mais qu’il faut pourtant bien revenir, une autre déclare qu’elle n’ouvrira pas demain, lundi.

 Plus loin, toujours dans la rue des Rosiers, dans la ruelle qui jouxte le café La Chope des puces-espace Django Reinhardt, trois guitaristes nous offrent un « spectacle manouche ». 

 Je m’assieds sur le muret, face au buffet improvisé, où la coupe de champagne est à 7 euros et le coca à 4, et j’écoute les notes nerveuses, tantôt joyeuses ou tristes, des musiciens tout en fumant une cigarette.

 Cinq minutes après, je tourne, à gauche, dans la rue Paul Bert, puis pénètre, à droite, dans le marché Paul Bert/Serpette. Je demande une canette de coca à la devanture du bar à l’entrée. 2 euros !

 Au fond du marché, côté Paul Bert, un beau petit espace vert à été durablement aménagé et joliment baptisé Jardin Ephémère.

 Déjà, les commerçants commencent à ranger leurs marchandises.

 Je ressors, me dirige vers la droite, puis passe devant le marché Malick, à gauche. Dans ce secteur, les vieux papiers côtoient les masques africains.

 Je rejoins enfin la longue allée extérieure, qui fait face au périphérique. Là se trouvent les stands les plus branchés, où les jeunes disposent d’un choix riche et variés de baskets de toutes marques et de toutes couleurs. Tandis que je retraverse le marché aux fripes pour regagner la sortie, une vieille Noire, toute habillée de noir, apparait, tenant un micro dans la main et transportant la sono à l’épaule.   Elle nous adjure fortement de ne plus perdre de temps et de consacrer notre vie à Jésus-Christ, car :

« En vérité, le royaume des cieux approche ! ». 


Ouverture des lieux de culte, sous conditions.



Déconfinement J+20 (samedi 30 mai)


 La mairie de Paris n’a pas attendu la date officielle du 2 juin pour rouvrir les parcs et jardins. Il y a quelques jours déjà, j’avais découvert en passant devant le cimetière du Montparnasse, que tous les cimetières de Paris sont ouverts au public le matin, depuis le 11 mai.


 Vers 16 h 30, je descends du tramway à la station du Parc Montsouris.

 L’ancien grand parc désert, aperçu il y a peu encore derrière ses grilles, s’est subitement transformé en un gigantesque radeau de la Méduse !

 Désormais, une multitude de corps plus ou moins dénudés s’arrime aux pelouses, sous l’oeil vigilant de trois agents de surveillance, accompagnés d’une jeune caméraman rousse et d’une perchiste brune du même âge.

 Plus loin, je croise une autre équipe de tournage, masculine celle-là.

 Sur l’allée où je me trouve, je vois passer un enfant masqué à dos de poney, tiré par un homme à visière transparente.

 Partout, le public est essentiellement jeune et familial.

 Néanmoins, un quota de vieux solitaires, assis sur les bancs, les regarde en souriant béatement.

 Je sors à l’extrémité sud du parc et poursuis la promenade, entre ombre et chaleur caniculaire, en cheminant sur la contre-allée centrale, tout aussi verdoyante, de l’avenue René-Coty.

 Parvenu à Denfert-Rochereau, je récupère la ligne B du RER, qui me conduit en moins de cinq minutes à la station Luxembourg.


 A 17 h 30, je pénètre dans le jardin du Luxembourg depuis le grand portail situé du côté du rond-point de la rue Gay-Lussac et du boulevard Saint-Michel.

 Ici, le public, jeune ou moins jeune, avec ou sans enfants, marche deux par deux.

 Dans le grand bassin octogonal, face au palais, les enfants font toujours voguer leurs bateaux, mais les confortables fauteuils et transats métalliques ont disparus.

 Les plate-bandes circulaires, où les jardiniers du Luxembourg, jardin d’Etat rattaché au Sénat, présentent généralement aux visiteurs leurs plus belles décorations florales saisonnières, s’ornent désormais de modestes buissons de pavots couleur bois de rose.

 Dans la partie en mail, quadrillée de tilleuls, je trouve fort opportunément un fauteuil.

 Plus loin, près des terrains de boules, aménagés dans la partie paysagère, à l’autre extrémité du jardin, j’entre dans l’une des dernières pissotières à l’ancienne de Paris.

 Tandis que je soulage ma vessie, je m’aperçois soudain que des dizaines d’abeilles bourdonnantes, échappées des ruches voisines, m’entourent dangereusement.

 J’accélère le processus de vidange, secoue l’objet concerné et le remmaillote subrepticement.

 Plus loin, je croise une mère et sa fille, soutenant par le bras, chacune de son côté, une vieille aïeule hors d’âge, habillée tout de blanc. Trottinant péniblement, tête baissée, celle-ci m’apparait telle Lazare sortant du tombeau.

 Je sors par la porte donnant sur la rue de Vaugirard, à gauche de l’Orangerie, et me dirige vers l’allée du Séminaire, le long de la rue Bonaparte.

 Traversant la place Saint-Sulpice, j’atteins le carrefour Saint-Germain-des-Près.

 Jouxtant l’église, le petit square Laurent-Prache est ouvert.

 Tous les bancs y sont occupés.

 Le temps d’un coup d’oeil, à l’entrée, à la singulière tête de Dora Maar, sculptée en 1941 par Picasso, en hommage à Apollinaire, et je vois arriver le double bus 95.

 J’y monte, pour en redescendre juste après avoir traversé la Seine, devant la pyramide du musée du Louvre.

 Fermé.

 Tout comme les jardins des Tuileries, autre jardin d’Etat, dépendant lui du ministère de la culture.

 Ici, les populations festives se sont rabattues sur les rares pelouses prolongeant le Carrousel du Louvre et son labyrinthe végétal, disputant ainsi la place aux nombreuses nudités voluptueuses sculptées par Maillol.



Les jardins de Paris sont indispensables aux Parisiens !



Déconfinement J+21 (dimanche 31 mai)


 Grande traversée d’est en ouest de Paris, avec un changement d’étape à la gare du Nord.

 Là, au terminus du bus 46, pris à la porte Dorée, vers 15 h 50, je monte une demie heure plus tard dans le 43, à son point de départ. Direction : Neuilly-Bagatelle, où j’arrive un peu avant 17 heures.

 Une fois de plus, je constate qu’en matière de populo, le bois de Boulogne n’a rien à envier à son jumeau de Vincennes.

 Aux interminables cohortes de voitures garées serrées sur la route de Longchamp, à la hauteur de la plaine de Bagatelle, correspond la multitude des familles rassemblées autour des nappes de pique-niques déployées sur les larges pelouses s’étendant depuis la route jusqu’à la Seine.

 Ne se croirait-on pas sur les plages de la Costa Brava au pic de la saison estivale ?

 Changement radical d’atmosphère en entrant dans le parc de Bagatelle, protégé de ses murs, en vis à vis de la route, côté bois.

 Malgré une forte fréquentation, l’ambiance est des plus compassée.

 Un public sélect, plus mobile et moins débraillé, le portable à la main, y photographie les diverses collections de plantes réunies en ces lieux, où depuis longtemps m’attachent des liens privilégiés.

 Principalement en cette saison, les clématites, pivoines, iris d’eau et, surtout et partout, les roses, qui débordent largement de la roseraie.

 Après une consciencieuse prise de contact horticole, me permettant au passage d’admirer la gamme des mauves pâles aux violets les plus foncés des iris ou les grappes mûrissantes et onctueusement parfumées de roses anciennes aussi grosses que des poings, je me dirige vers le petit kiosque vert amande, en surplomb de la roseraie, d’où l’on a une vue imprenable sur le jardin et, au-delà, sur le Mont Valérien, en face, et les tours de la Défense, à droite.

 Deux jeunes couples avec enfants s’y étaient installés qui, fort heureusement, à mon arrivée, s’apprêtent à en repartir. 

 Au moment du départ, l’un des deux hommes demande alors aux trois autres, en désignant l’élégante petite construction en bois : « C’est bien ce que l’on appelle un kiosque ? »

 Je lui réponds aussitôt : « C’est le kiosque de l’Impératrice, d’où Eugénie surveillait les leçon d’équitation du prince impérial, du temps où la roseraie n’existait pas encore. »

 Après m’avoir lancé un regard muet où se lisait un air de gratitude, les deux couples reconsidérèrent avec attention le modeste bâtiment puis me cédèrent aussitôt la place.

Je m’étais à peine installé tout à mon aise sur la banquette de droite, quand je vis deux femmes arriver et s’assoir sur la banquette libre, à ma gauche. 

 L’une âgée et l’autre plus jeune, d’allure et de ton manifestement bourgeois, mais d’apparence austère.   Affichant ostensiblement toute absence de coquetterie, telles les dames patronnesses qui dans mon enfance m’enseignaient le catéchisme.

 Avec ses cheveux gris, gras et filasses et un liseré sombre de moustache, la plus jeune m’apparut franchement laide. 

 Sans se soucier de moi, elle raconta à la plus vieille, d’un air scandalisé, que son dernier compagnon lui avait proposé, de façon emberlificotée, de l’emmener dans un club échangiste.

 « Êtes-vous certaine d’avoir bien compris ? », lui demanda son aînée.

 « C’était parfaitement clair », répliqua-t-elle, ajoutant doctement : « Les hommes n’ont pas la même conception que nous de la fidélité. »

 « Pas tous ! » protesta l’autre.

 Tandis qu’elle poursuivait ses récriminations sur le thème de la manie qu’avaient les hommes a regarder des films pornos sur internet, je me suis éclipsé discrètement, passablement agacé, pas tant par ses propos, que par le sans gène manifeste dont elle témoignait envers ma personne, à laquelle elle jetait de temps en temps des regards furtifs. 

 Je suis finalement allé m’assoir devant l’orangerie, exposant, vêtu comme à mon habitude d’un T-shirt et de bermudas, mon visage, les yeux fermés, et les parties découvertes de mon corps aux rayons régénérant du plein soleil.

 Sur un autre banc, séparé du mien par un bel oranger en pot, se tenaient deux couples d’un âge vénérable. 

 Près de l’un des deux hommes on pouvait voir un déambulateur. 

 L’autre, de taille moyenne, mince, le crâne passablement déplumé, se leva. La chemise bleue, boutonnée aux poignets, un noeud papillon à dominante rouge au col, la veste rejetée en arrière sur l’épaule, il demanda à la cantonade, d’une voie grave, en détachant lentement chaque mots : « Par-où-va-t-on ? »

 Mais c’est Giscard, me suis-je exclamé in petto !

 C’était assez saisissant, mais lorsque celle supposée être sa femme, s’est levée à son tour, les cheveux courts blancs et le fessier généreux, je n’ai nullement reconnu Anémone ?

 Plus tard, je pus constater combien les paons, heureux de retrouver enfin leur public d’admirateurs, déployaient, avec un rien de suffisance, leurs larges queues en éventail.

 Entré dans le parc par la grille de Sèvres, j’en suis ressorti par la grille d’Honneur.

 De là, j’ai poussé jusqu’au Pré-Catelan, qui venait juste de fermer, et me suis encore attardé dans le bois de Boulogne, avant de regagner le métro à la porte Dauphine.


Le retour des terrasses !



Déconfinement J+23 (mardi 2 juin)


 18 heures.

 Trop chaud !

 Je décompresse et, pour l’instant, je me suis contenté de faire le tour des bistros et cafés de mon quartier.

 J’ai même pris mon premier pot en terrasse, vers 15 h, après un peu plus de 80 jours d’abstinence, en compagnie de Chedly et de son copain Jean-Louis.

 Curieusement, les deux plus belles brasseries du secteur : « La Cascade » à la porte Dorée et « Au Métro » place Daumesnil, n’ont pas rouverts. 

 En revanche, les confrères se rattrapent, leurs terrasses se sont aérées mais largement répandues sur les trottoirs. 

 C’est le cas de chez La Belle Mère, une brasserie bobo de l’avenue Daumesnil. Ici, malgré de larges trottoirs, le piéton, encerclé, doit se faufiler entre les tables…


Déconfinement J+24 (mercredi 3 juin)


 Les mesures de protections se différencieraient-elles selon que l’on se trouve dans le secteur public ou privé ?

 Vers 15 heures, hier, je me suis rendu à la médiathèque Hélène-Berr (12 arr.), l’une des six bibliothèques, sur les plus de quatre-vingts qu’en compte la ville, à avoir ouvert leurs portes en priorité.

 Ouvrir est un bien grand mot. 

 A l’extension des terrasses des cafés correspond semble-t-il une restriction des services publics. 

 Et tandis que les librairies sont plus ou moins revenues à leur situation antérieure, en respectant toutefois quelques mesures de protection élémentaires, il n’en est pas de même à la médiathèque de mon quartier.

 Pas question ici de toucher ou feuilleter le moindre livre.

 Accueillis par un vigile à l’entrée, et encadrés par trois ou quatre bibliothécaires, masqués et gantés, les quelques usagés présents, convenablement espacés entre eux, ne disposent plus, sur les nombreux étages de la médiathèque, que d’un très petit espace d’accueil aménagé au rez-de-chaussée. 

 Une sorte de sas de décontamination, qui donne aux usagers l’impression de débarquer directement de la lune en reprenant place sur terre.

 En suivant une ligne balisée au sol, j’ai juste eu le droit d’aller poser La statue de sel d’Albert Memmi, le dernier livre emprunté avant confinement, sur l’enregistreuse automatique. 

 Puis de cliquer sur « retour » et déposer l’ouvrage sur un chariot. 

 Interdiction, bien sûr, d’accéder à tous les services habituels, telles la presse et les magazines. 

 Et pour emprunter des livres, il faut d’abord les commander en ligne auprès d’une bibliothèque, puis après confirmation de la réservation, il faut encore prendre rendez-vous pour pouvoir venir les retirer. 

 J’ai demandé à un bibliothécaire si l’on pouvait emprunter également des livres à la réserve centrale ? 

 Pas question pour le moment.

 Les bibliothèques de Paris étant en quelque sorte le « bureau », les points fixes où l’auto travailleur que je suis doit régulièrement se rendre pour récupérer ses dossiers et sa documentation, je vais devoir m’adapter, d’autant plus que le travail reprend pour moi aussi.

 Profitant alors de cette dernière journée de beau temps estival, d’avant l’orage annoncé, je suis allé faire un tour de la ville.

 Après avoir constaté que les Tuileries sont ouvertes, je suis entré au Palais-Royal. 

 On pourrait croire que la vie a repris partout le dessus, mais ici, curieusement, le célèbre café de Nemours, sur la place de la Comédie française, n’a pas rouvert sa terrasse.

 Certains patrons d’établissement ont-ils jugé que les recettes escomptées ne suffiraient pas à couvrir les frais d’exploitation et ont-ils préféré laisser leurs employés au chômage technique ?

 En revanche, beaucoup d’animation dans le secteur des Halles et, à l’heure de l’apéritif, autour des bars gays du Marais. Où, là, les règles de distanciations d’usage ne sont absolument pas respectées… 


Les cinémas, musées et lieux de spectacle rouvrent enfin leurs portes au public, tel, ici, au Louxor !



Déconfinement J+44 (mardi 22 juin)


 Hier, lundi 21 juin, Ier jour de la réouverture des salles de cinéma, j’étais parti pour la séance de 16 heures au MK2 Bibliothèque. 

 Arrivé sur l’esplanade devant le cinéma, je me suis aperçu que j’avais oublié mon pass permanent, rangé depuis plus de trois mois sur une étagère de ma bibliothèque.

 J’ai pu finalement aller à la séance suivante à l’UGC du Forum des Halles, le plus grand multiplex d’Europe : grande salle pratiquement vide.

 En sortant de la séance, où j’étais arrivé juste à temps, j’ai parcouru pour la première fois les galeries du Forum. Impression étrange, ambiance fantôme…

 Je suis retourné à la Fnac, la plus importante de paris, où j’ai pu constater que mon Goût de la paresse, mis en bonne place avant le confinement, l’était toujours après le déconfinement…


Extrait de mon Journal cinématographique, en date du 23 juin 2020 : 


"Mardi 23 juin 2020 à 14 h45

«L’Ombre de Staline» biopic polonais d'Agnieszka Holland, avec James Norton, Vanessa Kirby et Peter Sarsgaard.

 Inspiré de l’histoire vraie de Gareth Jones, un jeune conseiller de l'ancien Premier ministre britannique Lloyd George, devenu journaliste, qui après avoir décroché une interview d’Hitler, rêve d’interroger Staline sur le « miracle soviétique ». 

 Arrivé à Moscou en 1933, il ne rencontrera jamais le Petit Père des Peuples, mais parvenant à déjouer la vigilance de ses surveillants, il découvrira alors l’Ukraine hivernale en pleine famine. 

 Contrairement à l’envoyé spécial américain en poste à Moscou, un éminent prix Pulitzer, soudoyé par les soviétiques, il révèlera la vérité au monde. 

 Ce qui lui vaudra d’être assassiné l’année suivante.

 La cinéaste polonaise Agnieszka Holland, ex collaboratrice d’Andrzej Wajda et de Kryzsztof Kieslowski, à laquelle on doit entre de nombreux films un subtil biopic sur Rimbaud et Verlaine (Total Eclipse) avec Leonardo DiCaprio, David Thewlis et Romane Bohringer (1995), s’en est donnée ici un peu trop à coeur joie pour nous concocter un film politique et historique, mêlant formellement l’espionnage au polar.

 Hélas, ses images intensives, avec des scènes de cannibalisme passablement complaisantes, faisant songer au Kaputt de Malaparte, adapté jadis par Liliana Cavani, et des sons sursaturés à nous faire éclater le tympan, ont achevé de me décourager !"



A la Comédie Française, les spectateurs se font encore attendre.




par Jacky Barozzi 23 mars, 2024
Connaissez-vous, au voisinage du bois de Vincennes, l’hôpital Esquirol de Saint-Maurice ? Un haut-lieu de vie et de mémoire, qui vaut le détour ! Durant douze siècles, Saint-Maurice se dénomma Charenton-Saint-Maurice, jusqu’à ce qu’une ordonnance royale de Louis Philippe, du 25 décembre 1842, lui permit de n’en conserver que sa seule appellation dernière. Officiellement, pour la distinguer de la commune voisine, qui prit le nom de Charenton-le-Pont en 1810. En réalité, c’est parce que les habitants, du fait de la trop grande renommée de l’asile de Charenton, et trouvant qu’ils avaient de plus en plus de mal à marier leurs filles, voulurent, à défaut de se débarrasser de l’asile, en effacer le nom. Voilà pourquoi l’ancien asile de Charenton, devenu l’hôpital Esquirol, ne se trouve pas sur la commune de Charenton, mais sur celle de Saint-Maurice.
par Jacky Barozzi 12 mars, 2024
JARDIN DES PLANTES - 1633 5° arr., place Valhubert, rue Buffon, rue Geoffroy-Saint- Hilaire, rue Cuvier, M° Gare-d’Austerlitz, Jussieu ou Place-Monge C’est en 1614 que Guy de La Brosse, médecin ordinaire de Louis XIII, soumet à Jean Héroard, Premier médecin du roi, son projet de création d’un jardin où l’on cultiverait « toutes sortes d’herbes médicinales ». Il faut dire que les travaux des botanistes du XVI° siècle avaient attiré l’attention sur cette science nouvelle. Après la création du Jardin des plantes de Montpellier, en 1593, qui est le premier fondé en France, Henri IV et Sully songèrent à en établir un semblable à Paris qui possédait seulement un petit jardin de simples planté par l’apothicaire Nicolas Houel pour l’école des Apothicaires de la rue de l’Arbalète. L’édit de fondation du «Jardin royal des plantes médicinales » est promulgué en 1626 mais il reste encore à lui trouver un emplacement ! C’est Guy de La Brosse qui, en 1633, s’occupe de l’acquisition d’un vaste terrain, le clos Coypeau, situé au sud de l’abbaye Saint-Victor. D’une surface représentant environ le quart de sa superficie actuelle (qui est de 24 hectares), le jardin est séparé de la Seine par un entrepôt de bois et bordé de l’autre côté (vers l’actuelle rue Geoffroy-Saint-Hilaire) par des buttes artificielles faites de détritus et de gravats de construction. Guy de La Brosse s’attache immédiatement à aménager cette propriété royale, dont il est nommé intendant en 1635, pour en faire une école de botanique et d’histoire naturelle. L’espace est compartimenté en quatre zones distinctes, séparées par deux allées se coupant à angle droit. L’on y cultive des plantes usuelles, des arbres fruitiers, des arbustes et des plantes aquatiques. Sur les pentes des buttes artificielles qui bornent le jardin, Guy de La Brosse aménage un labyrinthe. En 1636, Vespasien Robin, démonstrateur en botanique, plante le robinier ou faux-acacia à partir d’un rejet dont son père Jean Robin, chargé du Jardin du roi dans l’île de la Cité (emplacement de la place Dauphine), se serait procuré les graines par l’intermédiaire d’un pépiniériste anglais. Le robinier du Jardin des plantes fut longtemps le deuxième plus vieil arbre de Paris, après le robinier du square René-Viviani planté vers 1601 par Jean Robin. Il est aujourd’hui mort et il ne reste qu’un tronc avec des rejets (extrémité ouest de la galerie de botanique) mais celui du square René-Viviani, avec ses 20 mètres de hauteur et ses 4 mètres de circonférence, existe toujours, soutenu par des étais. Dès 1640, le jardin est ouvert au public et, à la mort de son fondateur, l’année suivante, il compte 1 800 plants différents. C’est désormais le « Jardin du roi », développé à partir de 1693 par Fagon, Premier médecin de Louis XIV, puis par le botaniste Tournefort, qui plante l’érable de Crète en 1702 (labyrinthe, côté bibliothèque), et les trois frères de Jussieu qui parcourent le monde à la recherche de nouvelles espèces rares. C’est ainsi que Bernard de Jussieu rapporta d’Angleterre, en 1734, deux cèdres du Liban dont l’un subsiste sur les pentes du grand labyrinthe ; c’est lui aussi qui plantera en 1747 le premier pied de Sophora, qui provenait de Chine (devant la galerie de minéralogie). Entre 1732 et 1739 sont créées les premières serres chaudes françaises, pour abriter des plantes exotiques. Nommé intendant du Jardin du roi en 1739, Georges- Louis de Buffon le restera jusqu’à sa mort, en 1788. Il sut s’entourer des meilleurs savants, parmi lesquels les naturalistes Louis Daubenton (une colonne signale sa tombe près du sommet du labyrinthe) et Jean-Baptiste de Lamarck et le botaniste Antoine-Laurent de Jussieu, neveu des trois frères. Pour le jardin, il s’adjoignit les services d’André Thouin, nommé jardinier en chef en 1764, et pour la construction des bâtiments, ceux de l’architecte Edme Verniquet. C’est sous la direction de Buffon que le Jardin du roi va connaître son plus bel essor. L’intendant y habite, dans la maison dite « de Buffon » située dans l’angle sud-ouest du jardin (actuelle librairie).
par Jacky Barozzi 01 mars, 2024
Fontaine Hydrorrhage Jardin Tino-Rossi, quai Saint-Bernard (5e arr.) Métro : Gare d’Austerlitz ou Jussieu Transformé en jardin entre 1975 et 1980, le quai Saint-Bernard constitue désormais une belle promenade, entre les ponts d’Austerlitz et de Sully. C’est là qu’a été installé le musée de Sculptures en plein air de la Ville de Paris, consacré essentiellement aux œuvres de la seconde moitié du XXe siècle. Au centre, un rond-point constitué d’une succession de bassins semi-circulaires, abrite une bien singulière fontaine. Baptisée Hydrorrhage , celle-ci a été réalisée en 1975-1977 par l’architecte Daniel Badani et le sculpteur Jean-Robert Ipoustéguy. Derrière une imposante armure en forme de bouclier, on découvre un homme nu, harnaché d’un attirail relevant proprement de l’iconographie sado-masochiste, et suçotant une sorte de gland tout en se livrant à la masturbation ! Cette audacieuse œuvre, contemporaine de l’époque de la libération sexuelle, semble avoir dépassée les souhaits de son commanditaire. La municipalité a en effet récemment entouré d’un grillage et d’une haie d’arbustes l’ensemble des bassins, empêchant le visiteur de se rapprocher de cette fontaine, autrefois de plain-pied, et en a pudiquement détourné la gerbe principale, qui jaillissait du sexe du personnage et retombait dans le premier bassin depuis le gros tuyau recourbé au centre du bouclier, pour le remplacer par les deux inoffensifs jets d’eau du bassin, situés de part et d’autre du groupe en bronze. 
par Jacky Barozzi 29 févr., 2024
La Lutèce gallo-romaine reconstituée. JARDIN DES ARENES DE LUTECE ET SQUARE CAPITAN - 1892 5° arr., rue de Navarre, rue des Arènes, rue Monge, M° Place-Monge La Lutèce gallo-romaine, qui voit se reconstruire l’île de la Cité, se développe sur la rive gauche, à l’abri des inondations. Là, sur les pentes de la montagne Sainte- Geneviève, s’établit une cité à la romaine, de part et d’autre de la voie principale, le cardo, dont on retrouve le tracé dans la rue Saint-Jacques. Un peu à l’écart, adossé au versant oriental de la colline, est construit vers la fin du Ier siècle après J.-C. un édifice, connu sous le nom d’Arènes de Lutèce, qui servait en réalité tout aussi bien pour les jeux du cirque que pour les représentations théâtrales, comme en témoigne la scène qui vient interrompre les gradins sur un côté.
par Jacky Barozzi 25 févr., 2024
I nlassable piéton de Paris, pour lequel les errances dans la capitale furent longtemps le prétexte à ranimer son imaginaire mémoriel, Patrick Modiano serait-il brusquement rattrapé par le principe de réalité ? Dans son dernier roman, « La Danseuse », un récit de moins de cent pages, aux chapitres particulièrement aérés, il nous conte l’histoire d’une danseuse, jamais autrement nommée dans le livre, et de son jeune fils Pierre, rencontrés un demi siècle plus tôt. Situé en grande partie entre la Place Clichy (9e arr.) et la Porte de Champerret (17e arr.), ce court texte est ponctué de plusieurs paragraphes où le présent s’invite comme jamais auparavant dans les romans de notre auteur récemment nobélisé : « Qu’étaient devenus la danseuse et Pierre, et ceux que j’avais croisés à la même époque ? Voilà une question que je me posais souvent depuis près de cinquante ans et qui était restée jusque-là sans réponse. Et, soudain, ce 8 janvier 2023, il me sembla que cela n’avait plus aucune importance. Ni la danseuse ni Pierre n’appartenaient au passé mais dans un présent éternel. » Ici, le narrateur ne reconnait plus le Paris de sa jeunesse et s’y sent désormais étranger. Une ville où les Parisiens ont été remplacés par les touristes et où la nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Une ville : « qui avait à ce point changé qu’elle ne m’évoquait plus aucun souvenir. Une ville étrangère. Elle ressemblait à un grand parc d’attraction ou à l’espace « duty-free » d’un aéroport. Beaucoup de monde dans les rues, comme je n’en avais jamais vu auparavant. Les passants marchaient par groupes d’une dizaine de personnes, traînant des valises à roulettes et la plupart portant des sacs à dos. D’où venaient ces centaines de milliers de touristes dont on se demandait s’ils n’étaient pas les seuls, désormais, à peupler les rues de Paris ? » Tandis que le narrateur traverse le boulevard Raspail (Patrick Modiano réside aujourd’hui dans le 6e arr.), il croise un fantôme du passé : « Je reconnus aussitôt Verzini. Et j’éprouvai un brusque malaise, celui d’être en présence de quelqu’un que je croyais mort depuis longtemps. » Après l’avoir accosté, les deux hommes décident de se réfugier dans un café, à l’angle du boulevard et de la rue du Cherche-Midi : « Nous étions assis à une table, l’un en face de l’autre, seuls dans la salle, ce qui m’étonnait. Depuis quelques temps, les cafés et les restaurants étaient bondés. Devant la plupart d’entre eux, il y avait même des files d’attente. » Le narrateur précisant : « Derrière la vitre, je voyais passer les groupes de touristes habituels depuis quelques mois, sac au dos et traînant leurs valises à roulettes. La plupart portaient des shorts, des tee-shirts et des casquettes de toile à visière. Aucun d’entre eux ne pénétrait dans le café où nous étions, comme si celui-ci appartenait encore à un autre temps qui le préservait de cette foule. » Et ajoutant, au moment où le narrateur et Verzini se séparent sur le trottoir : « Dehors, nous étions bousculés par le flot des touristes. Ils avançaient par groupes compacts et vous barraient le chemin. ''Nous reprendrons peut-être un jour notre conversation, me dit-il. C’est si loin, tout ça… Mais j’essaierai quand même de me souvenir…'' Il eut le temps de me faire un signe du bras avant d’être entraîné et de se perdre dans cette armée en déroute qui encombrait le boulevard. » Le narrateur ou Modiano lui-même, avouant, plus loin : « Nous vivions des temps difficiles depuis trois ans, comme je n’en avais jamais connu de ma vie. Et le monde avait changé si vite autour de moi que je m’y sentais un étranger. » Alors, texte testamentaire de notre auteur national, dans un Paris post covidien et de plus en plus airbnbisé ? Seul, l’avenir nous le dira…
par Jacky Barozzi 20 févr., 2024
12e arrondissement Musée des Arts forains 53, avenue des Terroirs de France Tél. : 01 43 40 16 22 Métro : Cour Saint-Émilion http://www.arts-forains.com
par Jacky Barozzi 20 févr., 2024
PARC DES BUTTES-CHAUMONT - 1867 19° arr., rue Manin, rue de Crimée, rue Botzaris, M° Buttes- Chaumont ou Botzaris Entre Belleville et La Villette, la butte de Chaumont, du latin calvus mons ou mont chauve, est de tout temps une colline aride et dénudée dont le sol calcaire interdit toute agriculture. Des moulins apparaissent dès le XVI° siècle sur les hauteurs de Belleville et de La Villette et on en dénombre six à la fin du XVII°sur la butte de Chaumont. A partir du XVIII° siècle, le gypse du sous-sol est exploité pour fournir de la pierre à plâtre destinée à la construction. Cette extraction, qui se fait en souterrain, entraîne des affaissements du terrain et, à la suite d’effondrements meurtriers, l’exploitation souterraine est interdite en 1779. Les carrières à plâtre sont détruites et comblées par éboulement mais l’exploitation va se poursuivre à ciel ouvert, de plus en plus intensive dans le premier tiers du XIX° siècle. En 1851, la carrière dite de l’Amérique, l’une des plus importantes, quasiment épuisée, est fermée. Le site offre à cette époque un aspect véritablement désolé. Aux pieds de la butte, du côté de La Villette, se trouve depuis la fin du XVIII° siècle le plus grand dépotoir d’ordures de la capitale, qui sert aussi pour l’équarrissage des chevaux. La nuit, les anciennes carrières sont le refuge des clochards et des rôdeurs. 
par Jacky Barozzi 18 févr., 2024
PARC FLORAL DE PARIS 1969 12° arr., bois de Vincennes, esplanade Saint-Louis, route de la Pyramide, M° Château-de-Vincennes. Entrée payante Le Parc floral a été inauguré en 1969 à l’occasion des Troisièmes Floralies internationales de Paris. Les deux premières éditions s’étaient tenues en 1959 et 1964 au Centre national des Industries et des Techniques (CNIT) de La Défense et le succès qu’elles avaient remporté avaient conduit les organisateurs à rechercher un emplacement mieux adapté. C’est ainsi que le Conseil de Paris décida en 1966 d’implanter ce nouveau “Parc d’activités culturelles de plein air” dans le bois de Vincennes, sur des terrains qui avaient été occupés par les anciens établissements militaires de la Pyramide et de la Cartoucherie. L’objectif était double : accueillir les Troisièmes Floralies internationales de Paris, qui seraient suivies d’autres expositions temporaires, mais aussi profiter de l’engouement pour l’art floral manifesté par le grand public pour le sensibiliser à l’art contemporain en exposant des œuvres en plein air. 
par Jacky Barozzi 06 févr., 2024
BOIS DE VINCENNES - 1857 12° arr., M° Château-de-Vincennes ou Porte-Dorée Le bois de Vincennes est le vestige d’une vaste forêt antique qui s’étendait à l’est de Paris. Ces terres incultes appartenaient à tous et les paysans gaulois puis gallo- romains les utilisaient pour mener paître leurs bêtes, se nourrir et trouver du bois pour se chauffer. L’arrivée des Francs, si elle ne modifie pas leurs habitudes, change cependant le statut de la forêt qui, de publique, devient alors privée selon les règles du droit franc. Après la mort de Dagobert, en 639, sa veuve fonde une abbaye à Saint-Maur. La première mention connue de la forêt de Vilcena figure dans une charte royale de 848 dans laquelle Charles le Chauve entérine un échange de terres entre l’évêque de Paris et l’abbé de Saint-Maur-des-Fossés. La forêt devient propriété de la couronne à la fin du X° siècle mais c’est dans une charte de 1037, par laquelle Henri Ier accorde des droits d’usage dans la forêt aux moines de l’abbaye de Saint-Maur, que la présence royale est mentionnée pour la première fois à Vincennes. D’autres droits seront accordés à différentes abbayes parisiennes jusqu’en 1164, date de la fondation du couvent des Bonshommes de Grandmont par Louis VII, qui donne aux moines un enclos et un prieuré. Louis VII possède un pavillon de chasse dans la forêt de Vincennes, la plus proche du palais de la Cité où il réside fréquemment. Dès le début de son règne, Philippe Auguste rachète les droits d’usage qui avaient été accordés dans la forêt afin de constituer un domaine de chasse. Il fait construire un manoir, qui constitue la première résidence royale à Vincennes (disparue au XIX° siècle), et élever en 1183 un mur de pierre pour protéger cet espace destiné à la chasse (ce mur restera en place jusqu’aux aménagements du Second Empire). Saint Louis fait construire en 1248 une chapelle dédiée à saint Martin pour abriter une épine de la Couronne du Christ qu’il a acquise de l’empereur d’Orient Baudoin II. Il agrandit le manoir d’un donjon car Vincennes constitue désormais la deuxième résidence du roi après le palais de la Cité et chacun connaît la fameuse scène, rapportée par Joinville dans la Vie de saint Louis, du roi rendant la justice sous un chêne du bois de Vincennes. 
par Jacky Barozzi 08 janv., 2024
Bercy-village (12e arr.) Meilleurs voeux pour 2024 ! Une année paire, Toute en rondeur, Placée sous le multiple de deux, Telle une promesse d’amour et de partage pour tous ...
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