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Inventaire n° I : Ma galerie présidentielle



 Né à Cannes au début des années 1950, je suis parvenu à l’âge de raison tandis que de Gaulle détenait fermement les rênes du pouvoir.

 A l’adolescence, je m’étais forgé des convictions de gauche, tendance marxiste-léniniste, sans jamais toutefois adhérer au PC. 

 En 1968, j’ai défilé avec les maoïstes et autres gauchistes pour demander bruyamment le départ du général.

 Le respect envers le personnage historique viendra plus tard.


 J’ai eu vingt ans à Paris sous Pompidou et moi aussi je lui avais demandé : « des sous ! »

 Je le trouvais plutôt moderne et bon enfant.

 Je le vis grossir à vue d’oeil sur les écrans de télé et les photos de presse et je fus surpris par sa mort soudaine, trois ans avant la fin de son septennat.


 Je n’ai pas voté ensuite pour Giscard, trop bourgeois et libéral à mon goût.

 J’ai apprécié néanmoins quelques unes de ses réformes, même si la majorité à dix-huit ans pour moi venait trop tard !


 J’ai aspiré à l’arrivée de Mitterrand mais en fus très vite déçu.

 Ses tendances tout à la fois machiavéliques et pharaoniques me l’avaient rendu antipathique et je n’ai pas pleuré à son départ.


 J’avais aimé Chirac, maire de Paris.

 Moins, le Chirac président. 

 Son immobilisme et sa prudence d’alors, l’avait fait comparer, à juste titre, à l’un de nos anciens rois fainéants.


 J’ai été peiné pour Sarkozy, cocu avant même d’être élu.

 J’ai compati à ses migraines et n’ai pas partagé la haine que partout il suscitait, fort heureusement tempérée par son nouvel amour pour une belle italienne.


 Je n’avais pas souhaité l’élection de Hollande, porteuse de trop de déceptions annoncées pour ceux-là mêmes qui l’avaient élu.

 Plus technocrate qu’homme d’état, il fut parfait dans l’inauguration des chrysanthèmes par temps de pluie.


 J’ai applaudi à la prise du pouvoir par Macron, qui consacra l’implosion des vieux partis traditionnels et fit barrage aux candidats situés aux extrêmes de l’échiquier politique. 

 Après un début jupitérien, il essuie depuis lors tempête sur tempête…


 Je souhaite bien du courage au prochain président !









Inventaire n° 2 : Brève esquisse d’une filmothèque sauvage




 Le samedi soir ou le dimanche après-midi, nous allions en famille à l’Azur Cinéma de Rocheville. Un cinéma de quartier, situé au début de l’avenue des Broussailles, à la périphérie de Cannes. Cette petite salle en pente douce et au vague décor à l’italienne, toujours bondée, constituait alors l’un des principaux point de rencontre des habitants. Un lieu particulièrement folklorique, haut en couleur, où nous découvrions, après le court métrage et les actualités d’usage, et selon le bon vouloir de son propriétaire et projectionniste, des films populaires à grand spectacle. Parmi les péplums, westerns, drames policiers ou comédies drolatiques, je me souviens des films de Charlots, qui nous faisaient tant rires, ou de la série des Joselito, l’enfant à la voix d’or, qui me faisait pleurer. Je me souviens aussi de films plus édifiants, se voulant historiques, tels Néfertiti reine du Nil, Samson et Dalila, Les dix commandements, ainsi que de la série des Maciste. Je me souviens également que parfois, à l’entracte, tandis que l’ouvreuse déambulait parmi les rangs avec sa grande corbeille en osier débordante de bonbons et de crèmes glacées, des membres de l’association La Roue Tourne nous proposaient d’acheter des billets de tombola au profit des vieux comédiens indigents.


 Après la mort soudaine de mon père, juste avant ma onzième année et mon entrée en sixième, l’une de ses soeurs aînées, revendeuse au marché Forville de Cannes, me proposa de venir l’aider sur son stand, le dimanche matin. Me permettant ainsi de gagner mon argent de poche et d’aller désormais seul au cinéma, après le déjeuner, dans les nombreuses salles du centre ville.

Auparavant, je suivais avec assiduité sur l’écran de la télévision trônant au milieu du buffet de sa salle à manger, l’émission d’actualité cinématographique La séquence du spectateur, qui présentait trois nouveautés de la semaine et m’aidait dans mes choix.

 De cette période, mais pas forcément dans cet ordre-là, je me souviens de West side story, de Sean Connery dans les premiers James Bond, de Michèle Mercier dans la série des Angélique, de Borsalino, avec Alain Delon et Jean-Paul Belmondo, de Brigitte Bardot dans L’Ours et la poupée de Michel Deville. Je me souviens aussi que les ouvreuses nous accompagnaient à notre place dans le noir avec une lampe de poche et aussi d’avoir vu Les Oiseaux, d’Alfred Hitchcock, au Vox, rue d’Antibes.


 Peu de temps après la mort de mon père, ayant réussi à convaincre ma pauvre mère d’acheter une télé, je pus découvrir, parallèlement, tout un tas d’oeuvres plus anciennes. Notamment sur la chaîne RMC, où était présenté un film chaque soir. Me constituant ainsi une culture cinématographique composée essentiellement de films français mais aussi hollywoodiens datant de l’avant jusqu’à l’après Seconde Guerre mondiale. Tels les films dits de « qualité française », tant décriés par les cinéastes de la Nouvelle Vague, dans les colonnes des Cahiers du Cinéma. Ce qui ne m’empêcha pas par la suite d’apprécier le cinéma de François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Eric Rohmer ou Jacques Rivette. C’est sur le petit écran que je pus voir Un Carnet de bal de Julien Duvivier ou Remorques de Jean Gremillon avec Jean Gabin et Madeleine Renaud. Ainsi que tous les films de Sacha Guitry, pour lequel j’avais un faible et dans la plupart desquels Pauline Carton tournait toujours des rôles de bonne. Mais aussi la série des Don Camillo avec l’inénarrable Fernandel et la plupart des films où Louis de Funès incarnait des second rôles, plus inquiétants que comiques, avant qu’il ne devienne la vedette que l’on sait grâce à Gérard Oury.


 Je me mis aussi à m’intéresser au festival de Cannes et à lire la presse spécialisée. Je me souviens de Sophia Loren se promenant sur la Croisette entourée d’une nuée de photographes, d’avoir croisé Michèle Morgan au détour d’une rue, d’avoir lu que le Cléopâtre, avec Liz Taylor et Richard Burton, avait été, le film le plus cher de toute l’histoire du cinéma. 

 Durant les années précédant le bac, je lisais passionnément les critiques cinématographiques de Jean-Louis Bory dans le Nouvel-Obs. Désormais, au joli mois de mai, je parvenais à m’introduire, par une porte dérobée, dans l’ancien Palais des Festival, situé alors au centre de la Croisette. Séchant les cours, j’y découvris l’essentiel des films en complétion, telles les oeuvres du cinéma italien, alors à son apogée : Fellini, Antonioni, Visconti ou Pasolini. Je me souviens encore du trouble que me causa Terence Stamp dans Teorema ! C’est là que je vis également Cris et chuchotements de Bergman ou encore India Song de Marguerite Duras. Tandis que dans les sections parallèles, je découvrais le

« nouveau cinéma allemand » : Fassbinder, Herzog, Wenders, ou encore les premiers longs métrages de Lars Von Trier. 


 L’une des principales raisons de mon installation à Paris, où je m’inscrivis à la faculté de Droit de la rue d’Assas au début des années 1970, fut que j’étais assuré de pouvoir y visionner l’essentiel de la production cinématographique mondiale. De fait, sans adhérer pleinement à une quelconque obédience cinéphilique, dès mon arrivée dans la capitale, je pus aller presque tous les soirs au cinéma. Pour les films classiques, de préférence à la cinémathèque du Trocadéro : beau temple art déco, prolongé d’un vaste jardin vallonné sur la Seine, face à la tour Eiffel. Pour les films de référence, absolument incontournables, et ardemment guettés sur le Pariscope ou L’Officiel du spectacle, j’avais le choix entre les nombreuses salles indépendantes du Quartier Latin et de Saint-Germain-des-Prés. Mais aussi en divers autres points de la capitale. Je me souviens des « mélos flamboyants » de Douglas Sirk. Je me souviens du cri inimitable de Jane Mansfield dans le film La blonde et moi. Je me souviens aussi qu’on l’appelait « le buste » et qu’elle est morte décapitée dans un accident de voiture. Je me souviens du cinéma Le Wepler, place de Clichy, et de ses cendriers incrustés dans les accoudoirs pour les fumeurs. Je me souviens des premiers films porno distribués en salle. Je me souviens de Jodie Foster dans Taxi Driver. Je me souviens de Marlon Brando dans Le dernier tango à Paris. Je me souviens du documentaire Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophüls et de Nuit et brouillard d’Alain Resnais. Je me souviens d’Emmanuelle Riva dans Hirohima mon amour, de Bette Davis dans All about Eve, de Brad Davis dans Midnight express et Querelle de Brest, du regard de Jean-Pierre Léaud découvrant la mer à la fin des Quatre-cents coups, de L’Important c’est d’aimer de Zulawski, de la première apparition à l’écran de Carole Bouquet dans Cet obscur objet du désir de Luis Buñuel ou encore celle de Gérard Depardieu, Patrick Dewaere et Miou-Miou dans Les Valseuses de Bertrand Blier. 

 Je me souviens…








Inventaire n° 3 : Les fragments d’une bibliothèque reconstituée




 Je n’ai pas accédé à la littérature à travers les livres pour la jeunesse. 

 Ce n’est que tardivement, que j’ai lu, avec profit, le Pinocchio de Carlo Collodi ou Alice au pays des  merveilles de Lewis Carroll.

 Au commencement, je me délectais exclusivement de la lecture de magazines illustrés. Principalement de Blek le Roc, dont la sauvage virilité adolescente complaisamment exposée au fil des pages ne manquait pas de me troubler, et Frimoussette, plutôt destiné à émouvoir la sensibilité des petites filles. Je me souviens pourtant d’avoir possédé des exemplaires de la Bibliothèque Verte et de la Bibliothèque Rose, mais je serais bien incapable d’en citer le moindre titre, à l’exception toutefois des Malheurs de Sophie de la comtesse de Ségur.

 Mes premiers textes marquant remontent à l’école primaire, où l’on nous faisait apprendre par coeur les fables de La Fontaine. Sans parler de la Bible, que nous enseignaient les dames du catéchisme. 

En entrant au collège, j’appris que l’on pouvait, avec l’étude de L’Iliade et de L’Odyssée d’Homère, être auteur sans écrire une seule ligne. 

 Avec la pratique de la rédaction, je passais, avec ravissement, du simple statut de lecteur à celui d’écrivain. Non sans difficultés toutefois : le professeur de Français nous ayant demandé de rédiger notre devoir sous forme « dialoguée ». Un terme dont je ne connaissais pas la signification et qui me laissa de prime abord honteux et perplexe. Jusqu’à ce que, en lorgnant sur la copie de mon voisin, qui lui avait parfaitement compris, j’en devine le sens. J’aimais parcourir en classe, année après année et de siècle en siècle, les pages illustrées du Lagarde et Michard. Je m’étonnais du fait que Molière et Voltaire avaient pris un pseudonyme, plutôt que de se faire connaître sous leur vrai nom.

 Très vite j’éprouvais le désir de lectures extra-scolaires et me mis à acheter mes premiers livres de poche et en emprunter d’autres à la bibliothèque municipale. A l’époque, mes choix étaient assez éclectiques. Je lisais avec délectation les romans en vogue de Guy des Cars. Par la suite, je devins plus sélectif. C’est alors que je découvris les contes de Guy de Maupassant, que je lus en intégralité, ainsi que ses rares romans Bel Ami et Une Vie. Depuis, je considère que c’est avec cet écrivain que je suis vraiment entré en littérature. 

 Pour mes dix-sept ans, Hector, mon meilleur ami, m’offrit trois beaux exemplaires à la couverture cartonnée recouverte d’une élégante toile rouge : les Poésies de Lamartine, les Poèmes saturniens de Paul Verlaine et Les filles de feu de Gérard de Nerval. Ce dernier titre, en prose, eut ma préférence.

De ma première bibliothèque, je pourrais encore citer de mémoire Le Meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie, La maison du canal de Georges Simenon ou encore le Malatesta d’Henri de Montherlant, dont la lecture m’exalta un temps, et Un cœur simple (in les Trois contes) de Gustave Flaubert, qui m’épate toujours autant aujourd’hui. 

 En première et en terminale, je lus la trilogie romanesque des Chemins de la liberté de Jean-Paul Sartre, ainsi que l’essentiel de son théâtre : Huis-Clos, Les Mains sales, La Putain Respectueuse… J’en fis tout autant avec les récits autobiographiques de Simone de Beauvoir : Les Mémoires d'une jeune fille rangée, La Force de l'âge et La Force des choses. J’adhérais alors à la philosophie existentialiste. En revanche, je fus moins convaincu par les romans, les nouvelles et le théâtre de l’absurde d’Albert Camus. De L’Etranger, je me souviens seulement que le héros fait l’amour avec une putain, juste après avoir enterré sa mère, et qu’il finit par tuer un arabe anonyme sur une plage d’Alger. En ce temps-là, j’appris par coeur Ma Bohème et Le Dormeur du val d’Arthur Rimbaud et des bribes des Fleurs du mal de Charles Baudelaire.

 Durant ma première année de Droit à la fac de Nice, je me souviens d’avoir volé La Philosophie dans le boudoir du marquis de Sade à l’étal d’une librairie de la rue de France. L’audace du propos et la beauté de la langue m’incitèrent à acheter ensuite Justine ou les Malheurs de la vertu

Les révélations du Pavillon des Cancéreux d’Alexandre Soljenitsyn mirent un terme à mes véléïtés pro communistes. Ce qui ne m’empêcha pas d’acheter et de lire Le Programme commun et de me considérer toujours de gauche. D’autant plus que je venais de lire avec exaltation la trilogie auto fictive centrée autour de Jacques Vingtras de Jules Vallès : L'Enfant, Le Bachelier et L'Insurgé. Cette même année je découvris Le Procès-verbal de J. M. G. Le Clézio et les premiers romans de Patrick Modiano. Avec une nette préférence pour le second. C’est à cette époque également que je m’initiais à la psychanalyse à travers la lecture de Freud. 

 L’année suivante, à Paris, je fréquentais assidûment la librairie Le Divan à Saint-Germain-des-Près. J’y achetai L’Année de l’éveil de Charles Juliet quand vint ensuite pour moi le temps tant redouté d’accomplir mon service militaire. Je fus affecté au régiment de cavalerie de Carpiagne, vaste casernement isolé en pleine garrigue entre Cassis et Marseille. N’ayant pas réussi à me faire réformer, j’en profitai néanmoins pour lire l’intégralité de La Recherche du temps perdu de Marcel Proust, ainsi que Les Mémoires d’Adrien et L’Oeuvre au noir  de Marguerite Yourcenar. Des oeuvres particulièrement roboratives, qui m’aidèrent efficacement à tuer le temps et prendre mon mal en patience. De retour à Paris, où je pus enfin m’établir définitivement, je suivis alors avec délectation le savoureux feuilleton littéraire d’Angelo Rinaldi dans L'Express. 

 Depuis, je n’ai cessé de lire, et parfois d’écrire, jusqu’à ce jour.  

 Très tôt, j’ai considéré que les livres étaient mes plus fidèles amis. 

De l’amas de mes lectures et devant l’impossibilité de tous les répertorier ici, je me contenterai de citer, en vrac et dans le désordre, ceux qui ont eu la plus forte résonance en moi : La Vie mode d’emploi de Georges Perec, Paysage de fantaisie de Tony Duvert, Tricks de Renaud Camus, A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie  d’Hervé Guibert, Le Livre de préfaces de Jorge Luis Borges, Les Mémoires de Casanova, l’Ulysse de James Joyce, La conscience de Zeno d’Italo Svevo, La Confusion des sentiments de Stefan Zweig, En attendant Godot, de Samuel Beckett, Le Malheur indifférent de Peter Handke, Paris est une fête d’Ernest Hemingway, Tendre est la nuit de F. Scott Fitzgerald, Jours tranquilles à Clichy de Henry Miller, Sur la route de Jack Kerouac, Les Trois Sœurs d’Anton Tchekhov, Jacques le fataliste de Denis Diderot, Les rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau, Don Quichotte de Cervantes, Les Illusions perdues d’Honoré de Balzac, Le Journal de Paul Léautaud, La correspondance de Flaubert, La Divine comédie de Dante, Le Journal de Jules Renard, Ubu roi d’Alfred Jarry, les Souvenirs d’égotisme de Stendhal, Les villes invisibles d’Italo Calvino, La Promesse de l’aube de Romain Gary, Les Pensées de Pascal, les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand, L’art du roman de Milan Kundera, Le Voyage au bout de la nuit de Céline, Le Paysan de Paris de Louis Aragon, Le Spleen de Paris de Charles Baudelaire, Les Syllogisme de l’amertume de Cioran, Les Nouveaux écrits de Rodez d’Antonin Artaud, Les Confessions de Saint-Augustin, La Métamorphose de Franz Kafka, La Montagne magique de Thomas Mann, L’arrêt de mort de Maurice Blanchot, Façons d’endormi Façons d’éveillé d’Henri Michaux, le Miracle de la rose de Jean Genet, Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud, Les chants de Maldoror de Lautréamont, Le livre de l’intranquillité de Fernando Pessoa, Choses vues de Victor Hugo, Kaputt de Curzio Malaparte, La vie heureuse de Sénèque, Les Essais de Montaigne, Nadja d’André Breton, Confession d’un masque de Yukio Mishima, Zazie dans le métro de Raymond Queneau, Papiers collés de Georges Perros, Le Piéton de Paris de Léon-Paul Fargue, Variété I et II de Paul Valéry, La Règle du jeu de Michel Leiris, Souvenirs et voyages d’André Gide, les Poèmes de Constantin Cavafy, Tête d'or de Paul Claudel, Alcool d’Apollinaire, Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, les Poèmes de Stéphane Mallarmé, Noces d’Albert Camus, Le Banquet de Platon, Le fleuve Alphée de Roger Caillois, Dimanche m’attend de Jacques Audiberti, Pour un nouveau roman d’Alain Robbe-Grillet, La Vie matérielle de Marguerite Duras, Le Livre blanc et autres textes de Jean Cocteau, Sur la brièveté de la vie de Bossuet, Les Caractères de La Bruyère, La Ballade de la geôle de Reading d’Oscar Wilde, Le Hussard sur les toits de Jean Giono, l’Éloge de la folie d’Érasme, le Discours de la méthode de Descartes, les Lettres Persanes de Montesquieu… 






Inventaire n° 4 : Le scopitone des baby boomers




 Mes parents étaient tout deux sourds et muets. Un handicap qui rendait ma mère proprement folle et que mon père prenait plutôt avec philosophie : « Mieux vaut être sourd qu’aveugle », lui répétait-il souvent pour tenter, en vain, de la consoler.  

 Un beau soir, en rentrant de son atelier de tailleur de pierre-marbrier, nous eûmes la surprise, mon frère aîné, Ange, et moi, de voir que notre adorable père tenait à la main un transistor tout neuf, qu’il nous offrit aussitôt. 

 Jusqu’alors, tandis que les juke box et les premiers scopitones fleurissaient dans la plupart des bars et des cafés de France et de Navarre, nous n’avions eu droit, en matière de chansons, qu’aux sempiternelles rengaines de Tino Rossi, que notre voisine, la brune Carmen Esposito, repasseuse en chambre, donnait à entendre à tout l’immeuble, du haut de sa mansarde. Depuis les « O Catarinetta bella ! Tchi-tchi » jusqu’à « Petit papa noël, quand tu reviendras du ciel…», rien ne nous était épargné du vaste répertoire du célèbre crooner corse !

 Désormais, en faisant mes devoirs à la maison, après les cours, je pouvais écouter le Hit parade à la radio. En ce temps-là, la jeunesse était résolument yéyé, dansait le twist et lisait Salut les Copains. Les plus grands organisaient même des surboums ou des surprises-parties, propices aux premiers flirts. 

Déjà, Johnny n’hésitait pas, non sans raison, à claironner que les gens l’appelaient l’idole des jeunes. Une jeune fille de Français moyens, à drôles de couettes, surnommée Sheila, qui jusqu’alors vendait des bonbons sur les marchés avec ses parents, décréta que la cloche avait sonnée et que l’école était finie. Sylvie Vartan, quant à elle, affirma péremptoirement qu’elle était la plus belle pour aller danser, alors que la mélancolique Françoise Hardy se lamentait tristement que tous les garçons et les filles de son âge allaient par les rues deux par deux, les yeux dans les yeux et la main dans la main sans peur du lendemain, à l’exception d’elle, qui errait l'âme en peine, car personne ne l’aimait. Claude François prétendait que, s’il avait un marteau en main, il referait le monde, tout en sautant en l’air comme un cabris surexcité. Un certain Christophe cria tout un été pour qu’Aline revienne, car il avait trop de peine.

 Les Surf, un groupe constitué de quatre frères et deux soeurs malgaches, nous supplièrent de ne pas nous en aller comme ça, en oubliant leur existence. Patricia Carli chantait : « Arrête, arrête, ne me quitte pas, je t’en supplie aie pitié de moi ! », que les garnements parodiait en cours de récréation par : « Arrête, arrête, ne me touche pas, avec ta main pleine de doigts ! ». 

 Richard Anthony, l’homme qui entendait siffler le train, traduit en arrière-train par les mêmes garnements de cours de récré, fit un nouveau triomphe avec « Fiche le camp Jack et ne reviens plus jamais, jamais, jamais. Fiche le camp Jack et ne reviens plus jamais ».

 Gigliola Cinquetti, une jeune italienne encore mineure, triompha à l’Eurovision, avec une chanson où elle disait à un adulte qu’elle n’avait pas encore l’âge (Non ho l'eta) pour l’aimer et sortir avec lui. Alors que France Gall ne trompait personne, sauf peut-être elle-même, lorsqu’elle interprétait innocemment avec Serge Gainsbourg, sa chanson sur les sucettes à l’anis d’Annie, qui en coulant dans sa gorge la transportait au paradis…

 Avec son premier salaire, mon frère Ange, qui fut placé en apprentissage chez l’ancien employeur de notre père, juste après son certificat d’étude, s’offrit un pick-up et quelques 45 tours des Chats sauvages et des Chaussettes noires ainsi que de Vince Taylor. S’affirmant plus rockeur que yéyé, il en adopta l’attitude rebelle et la panoplie adéquate : jeans Lewis-Strauss, sous-pull sombre, chaine en sautoir et veste en peau retournée et tourna inévitablement blouson noir.

 Pour ma part, je m’intéressais à la variété française en général, et plus particulièrement aux chanteurs à texte. Si je regardais toujours le Palmarès des chansons de Guy Lux et Âge tendre et tête de bois d’Albert Raisner à la télé, je ne manquais jamais le Discorama de Denise Glaser, le dimanche à l’heure du déjeuner. J’étais plutôt Brel que Brassens et Ferré que Ferrat. Et j’adorais par dessus tout Barbara. Ce qui ne m’empêchait pas d’apprécier, par ailleurs, Michèle Torr, Dalida, Mireille Mathieu et Georgette Lemaire, dont on se demandait laquelle des deux serait la nouvelle Piaf, Hervé Vilard et Nicoletta, qui avaient été élevés à l’orphelinat, Jacqueline Dulac, qui avait gagné le concours de la Rose d’Or d’Antibes avec sa chanson Ceux de Varsovie, Mike Brant et Joe Dassin, que je trouvais particulièrement sexy et qui m’incitèrent à laisser pousser mes cheveux long, me faire des brushings et m’habiller serré à la manière des petits minets de drugstore, que Jacques Dutronc tournait en dérision dans l’une de ses chansons. 

 J’écoutais aussi avec plaisir Charles Trenet, dont j’appréciais la poésie fantaisiste, le virevoltant Gilbert Bécaud, surnommé « Monsieur 100 000 volts » et même Philippe Clay, dont la chanson Mes Universités avait pourtant été écrite en réaction contre les soixante-huitards.

 C’était l’époque où Antoine voulait mettre Johnny en cage à Médrano, lequel lui répondit par la chanson Cheveux longs et Idées courtes. Mais je leur préférais nettement Serge Reggiani, quand il chantait La femme qui est dans mon lit, Les loups sont entrés dans Paris ou Votre fille a vingt ans. Et Claude Nougaro, swinguant sut Toulouse, sa ville natale, ou imaginant BB sur l’écran noir de ses nuits blanches. Ou encore Régine, déclinant toutes les sortes de papiers : de riz, d’Arménie, buvard, tue-mouche, de soie, etc.

 C’est alors qu’une musique venue d’ailleurs, portée par quatre garçons dans le vent, s’abattit sur notre génération et que je me mis à écouter tous les soirs le Pop-Club de José Artur sur France-Inter, bien avant la déferlante du disco, du temps où Dave chantait aux terrasses des cafés et où j’écoutais 

Ike et Tina Turner ou Otis Reeding…






Inventaire n° 5 : L’amour à toute vapeur




 Autant l’avouer tout de suite, la vraie raison de mon exil à l’autre bout du pays, loin de ma famille, c’est probablement la découverte, vers la fin de l’adolescence, de mon homosexualité. Arrivant à Paris au début des années 70, je pouvais alors m’y adonner tout entier à mon « vice », dans l’anonymat le plus complet. Difficile pour un jeune aujourd’hui, d’imaginer ce que la ville offrait d’opportunités ! Pour tous, à l’époque, le maître mot était : « baiser ». Et les homos ne s’étaient pas encore constitués en une pseudo communauté dont le Marais deviendrait la capitale. Chaque garçon dont on croisait le regard dans la rue semblait une promesse d’aventure. De nombreux lieux publics, de jour et de nuit, favorisaient la rencontre. Des bars, des boîtes, des saunas, tous marqués du sceau de la nouveauté, émergeaient aux quatre coins de la ville. Paris la grise s’était métamorphosée en Paris la rose, un immense lupanar évoquant, même pour ceux qui n’avaient jamais fait d’études classiques, des réminiscences échappées des vieux livres scolaires de latin et de grec. Même au cinéma, on commençait à voir des hommes s’embrassant à pleine bouche, sans que le public n’y trouvât rien à redire. D’un seul coup, par la grâce de l’après mai 68, Paris était devenue subitement homo ! Tout du moins, passablement bi. Les passerelles paraissaient moins étanches. Il n’était pas rare qu’un hétéro veuille tenter une première expérience, pour voir et ne pas « mourir idiot », disait-il, au titre de la libération sexuelle. Bref, personne n’était cloîtré dans son milieu identitaire, dans sa différence, sa spécificité. Tout était plus mélangé. Plus ouvert. Et l’on préférait tous mieux faire l’amour que la guerre. Dans les buissons des Tuileries, les caves de la rue Sainte-Anne, au bois de Boulogne ou de Vincennes, à Saint-Germain-des-Prés, sur les Grands Boulevards, à Montmartre, sur les quais de la Seine, dans la moindre pissotière de quartier, le dernier terrain vague, derrière l’enclos d’un récent chantier… Une multitude de corps confondus, la chair à même la chair, sans soucis de protection, chaque jour recommencé. Une décennie entière, durant laquelle on put chanter le plus bel hymne de la jeunesse. 


 J’ai toujours aimé les saunas, que je n’ai jamais cessé de fréquenter jusqu’à aujourd’hui. 

 En voyage, en France ou à l’étranger, je m’empresse toujours de me rendre dans l’un de ces établissements qui, outre la promesse du plaisir physique qu’ils favorisent, constituent la meilleure façon possible d’accéder à la sociologie secrète des villes que l’on visite et à la possibilité d’y nouer des relations privilégiées avec ses habitants.

 A Paris, je les ai pratiquement tous testés, depuis les plus anciens jusqu’aux plus récents. On en trouve dans tous les quartiers et ils ont chacun leur particularisme. 

 Certains ont disparu depuis, d’autres prospèrent encore, rejoints par de nouveaux qui ont pris le relai.

 Là, j’y ai fait l’amour et je l’ai parfois rencontré. 

 Citons le Tilt au 41 rue Sainte Anne (1er arr.), l’un des plus anciens (récemment disparu), des moins chers, à l’ambiance désuète et singulièrement provinciale ; le Gym Louvre, 7 rue du Louvre (1er arr.), fréquenté par de jeunes sportifs passablement guindés ; l’Euro Men’s Club, situé sur les Grands Boulevard, dans le passage des Panoramas et accessible par le 10, rue Saint-Marc ( 2e arr.), vieil établissement au décor néo romain, où de jeunes éphèbes viennent y rencontrer de généreux messieurs nettement plus âgés ; le Sun City, 62 boulevard de Sébastopol (3e arr.), plus récent, occupant tout un immeuble et où prédomine une clientèle juvénile et massivement asiatique ; l’IDM, 4 rue du Faubourg Montmartre (9e arr.), également sur les Grands Boulevards, mon préféré, pour la grande mixité d’âge et de style qu’il brasse, sans exclusive ; le Key West, 141 rue Lafayette (10e arr.), près de la gare du Nord, privilégié par les Blacks, qui aiment principalement les Blacks et accessoirement les Blancs ; Les Bains d’Odessa, 5 rue d'Odessa (14e arr.), au voisinage de la gare Montparnasse et au joli décor en céramique, où de bons pères de famille viennent furtivement satisfaire leurs pulsions secrètes à la sortie de leur travail et avant de prendre leur train de banlieue ; Le King Sauna, 21 rue Bridaine (17e arr.), petit sauna perdu du côté des Batignolles à la clientèle clairsemée ; le Mykonos, 71 rue des Martyrs (18e arr.), pittoresque établissement du bas Montmartre, au décor néo grec de pacotille, où j’ai rencontré Patrice, un étudiant métisse qui y travaillait en tant que masseur et avec lequel j’ai eu une liaison suivie de plusieurs mois, ou encore le Riad, 184 rue des Pyrénées (20e arr.), à l’ambiance orientale et fréquenté par les beurs des banlieues nord-est.

Mentionnons encore quelques saunas, aujourd’hui disparus, et dont deux d’entre eux ont joué un rôle déterminant pour moi. Tels les Bains Sauna de Milan, 22 rue de Milan (9e arr.) ; le Hammam Voltaire, 93 rue de la Roquette (11e arr.) ; le Sauna Horizon, 150 rue Saint Maur (11e arr.), transformé par la suite en bar à backrooms et rebaptisé le Bunker ; le Victor Hugo, 109 avenue Victor Hugo (16e arr.) ; le Sauna Bains Poncelet, 7 rue Poncelet (17e arr.) et surtout le Continental Opéra, 32 rue Louis Legrand, à l’angle du bd des Italiens, (2e arr.), le plus beau, le plus grand et le plus luxueux des saunas parisiens, aménagé dans les sous-sols de l’immeuble Berlitz dès les années 1970, où j’ai rencontré Antonio puis Louis-Fernando et enfin le King Night, 70 avenue de Saint-Ouen (17e arr.), un des rares établissement de bains ouverts toute la nuit, où j’ai rencontré Chedly, qui deviendra le compagnon de ma vie ! 







Inventaire n°6 : Chronologie des îles où j’ai accosté


 Toutes les îles sont belles.

 Au commencement pour moi il y eut les îles Sainte-Marguerite et Saint-Honorât, à Cannes, où nous allions nous baigner et pique-niquer en famille.

 Vers dix-sept ans, à l’occasion de mon premier séjour à Paris, je découvris l’île de la Cité et l’île Saint-Louis. Et aussi l’allée aux Cygnes.

 J’étais encore lycéen lorsque en fin de saison, après avoir travaillé tout l’été comme garçon de café, je m’offris quelques jours de repos bien mérités à Londres, en Grande Bretagne. L’année suivante, je me rendis pareillement à Venise, d’où je visitai le Lido, le cimetière marin de San Michele et l’île de Murano.

 A l’été 1974, âgé de 22 ans, je parvins à me faire embaucher, sur ma bonne mine et mon corps athlétique, comme marin, moi qui n’avait jamais navigué jusqu’alors, à bord du « Senouire ». Un élégant deux mâts de 18 mètres de long, à la coque laquée bleue outre mer, aux voiles blanches et au pont en bois de tek blond. Ce fut le début d’un beau voyage initiatique de plus de deux mois. Fin juin, avec trois autres jeunes de mon âge (deux garçons et une fille), le capitaine-propriétaire du bateau et sa compagne, nous embarquâmes au port Vauban d’Antibes, pour un long périple qui nous conduisit d’une traite à Sidi Bou Saïd, dans la baie de Tunis, ensuite jusqu’à Ágios Nikólaos, en Crête, et de là, à travers les principales îles des Cyclades, jusqu’à Bodrum, au sud de la Turquie. Au retour, nous passâmes par d’autres îles des Cyclades, visitâmes Ios, Rhode dite « l’île aux roses », longeâmes Ithaque, puis traversâmes les détroits de Corinthe et de Messine, passâmes au large des îles Lipari, de la Sardaigne et apercûmes enfin les côtes de la Corse, où je fus promptement débarqué à Bastia par le propriétaire du bateau, qui jugeait mon caractère trop insolent.

 Frais émoulu de l’école de journalisme, je fus invité à participer à un voyage de presse d’une semaine, tous frais payés, à Pointe-à-Pitre et en profitai pour sillonner la Guadeloupe de long en large.

 Avec Alec, qui me fit découvrir la France, que nous sillonnâmes en voiture dans tous les sens, je découvris l’île de Ré, qui n’était pas encore reliée par un pont au continent, et où j’attrapai mon premier coup de soleil, puis l’île de Majorque aux Baléares. Plus tard, alors que nous ne vivions plus ensemble mais étions resté amis, nous séjournâmes à Capri, où rien n’est jamais fini, et la Sicile : Palerme, Agrigente, Catane et Taormina. Nous avons séjourné plusieurs fois à Londres, l’ultime fois à l’occasion de l’entrée en fonction de l’Eurostar, que nous étrennâmes. Enfin, à l’occasion d’un week end à Paimpol, nous allâmes passer une journée dans l’île de Bréhat.

 Avec Antonio, qui me fit découvrir son pays natal, le Portugal, via Lisbonne et ses environs, je suis retourné en Corse, du côté d’Ajaccio.

 Un autre été, j’ai rejoint ma mère et la famille de mon frère Ange, dans une maison qu’il avait louée à Porto Vecchio.

 Au début du millénaire, avec Hector, nous sommes partis avec sa voiture en villégiature dans le Cotentin, d’où nous avons embarqué à Granville pour l’île de Guernesey.

 Tandis qu’avec Chedly, nous sommes partis en vacances à Djerba, puis en Corse, à Bonifacio. De là, nous allions souvent passer la journée à la plage dans les îles Lavezzi et un jour nous avons poussé une pointe jusqu’en Sardaigne. Nous sommes également allés en Grèce : Paros, Delphes, Mykonos, Santorin. Et aussi à Ibiza aux Baléares. Ou encore, durant plusieurs années, en hiver comme en été à Gran Canaria, aux Canaries. Plus récemment, à l’ile des Princes, au large d’Istanbul, puis en Thaïlande, à Kho Samui et Kho Tao. De nouveau en Grande Bretagne, afin de passer le Noël à Glasgow. Et tout dernièrement, entre deux confinements de l’année 2020, nous nous sommes rabattus prudemment sur les îles d’Or, au large d’Hyères, tout spécialement aux îles du Levant, situées à mi-chemin entre Toulon, sa ville natale, et Cannes, la mienne, où je n’étais jamais venu auparavant et me suis dis qu’il n’était pas nécessaire d’aller si loin pour retrouver le Paradis !


par Jacky Barozzi 08 avr., 2024
Sandrine, assisse au soleil sur un banc du square Trousseau , au faubourg Saint-Antoine, observait, tout en achevant d’avaler un sandwich, des enfants jouant dans l’aire de jeux, au milieu du grand bac à sable. Une jeune femme blonde d‘une vingtaine d’années et son compagnon, un beur du même âge, accompagnés de leur gamin, se dirigèrent vers le kiosque à musique, au centre du jardin. Là, ils s’installèrent sur les marches. Le père sortit une balle de son sac à dos et la donna au garçon, qui courut rejoindre les autres enfants dans l’aire de jeux voisine du kiosque. Sandrine alluma une cigarette et fuma voluptueusement, les yeux mi-clos, le visage offert aux rayons du soleil. Plongées dans ses rêves, elle fut soudain ramenée à la réalité par la voix d’une jeune femme : – Pourrais-je vous emprunter votre briquet, s’il-vous-plait ? Rouvrant les yeux, Sandrine découvrit la blonde du kiosque. Elle tira un briquet de son sac, posé à côté d’elle sur le banc, et le tendit en souriant à la mère du petit garçon. Sans plus de façon, celle-ci repartit jusqu’au kiosque où elle donna à son tour le briquet à son conjoint. Malgré la distance, Sandrine perçu toute l’action : le jeune homme chauffa une barrette de cannabis et se confectionna un joint, qu’il alluma, avant de rendre le briquet à sa compagne. Celle-ci revint en direction de Sandrine et lui redonna son briquet – Merci beaucoup, dit-elle. – Il n’y a pas de quoi, répondit Sandrine, toujours souriante. 
par Jacky Barozzi 23 mars, 2024
Connaissez-vous, au voisinage du bois de Vincennes, l’hôpital Esquirol de Saint-Maurice ? Un haut-lieu de vie et de mémoire, qui vaut le détour ! Durant douze siècles, Saint-Maurice se dénomma Charenton-Saint-Maurice, jusqu’à ce qu’une ordonnance royale de Louis Philippe, du 25 décembre 1842, lui permit de n’en conserver que sa seule appellation dernière. Officiellement, pour la distinguer de la commune voisine, qui prit le nom de Charenton-le-Pont en 1810. En réalité, c’est parce que les habitants, du fait de la trop grande renommée de l’asile de Charenton, et trouvant qu’ils avaient de plus en plus de mal à marier leurs filles, voulurent, à défaut de se débarrasser de l’asile, en effacer le nom. Voilà pourquoi l’ancien asile de Charenton, devenu l’hôpital Esquirol, ne se trouve pas sur la commune de Charenton, mais sur celle de Saint-Maurice.
par Jacky Barozzi 12 mars, 2024
JARDIN DES PLANTES - 1633 5° arr., place Valhubert, rue Buffon, rue Geoffroy-Saint- Hilaire, rue Cuvier, M° Gare-d’Austerlitz, Jussieu ou Place-Monge C’est en 1614 que Guy de La Brosse, médecin ordinaire de Louis XIII, soumet à Jean Héroard, Premier médecin du roi, son projet de création d’un jardin où l’on cultiverait « toutes sortes d’herbes médicinales ». Il faut dire que les travaux des botanistes du XVI° siècle avaient attiré l’attention sur cette science nouvelle. Après la création du Jardin des plantes de Montpellier, en 1593, qui est le premier fondé en France, Henri IV et Sully songèrent à en établir un semblable à Paris qui possédait seulement un petit jardin de simples planté par l’apothicaire Nicolas Houel pour l’école des Apothicaires de la rue de l’Arbalète. L’édit de fondation du «Jardin royal des plantes médicinales » est promulgué en 1626 mais il reste encore à lui trouver un emplacement ! C’est Guy de La Brosse qui, en 1633, s’occupe de l’acquisition d’un vaste terrain, le clos Coypeau, situé au sud de l’abbaye Saint-Victor. D’une surface représentant environ le quart de sa superficie actuelle (qui est de 24 hectares), le jardin est séparé de la Seine par un entrepôt de bois et bordé de l’autre côté (vers l’actuelle rue Geoffroy-Saint-Hilaire) par des buttes artificielles faites de détritus et de gravats de construction. Guy de La Brosse s’attache immédiatement à aménager cette propriété royale, dont il est nommé intendant en 1635, pour en faire une école de botanique et d’histoire naturelle. L’espace est compartimenté en quatre zones distinctes, séparées par deux allées se coupant à angle droit. L’on y cultive des plantes usuelles, des arbres fruitiers, des arbustes et des plantes aquatiques. Sur les pentes des buttes artificielles qui bornent le jardin, Guy de La Brosse aménage un labyrinthe. En 1636, Vespasien Robin, démonstrateur en botanique, plante le robinier ou faux-acacia à partir d’un rejet dont son père Jean Robin, chargé du Jardin du roi dans l’île de la Cité (emplacement de la place Dauphine), se serait procuré les graines par l’intermédiaire d’un pépiniériste anglais. Le robinier du Jardin des plantes fut longtemps le deuxième plus vieil arbre de Paris, après le robinier du square René-Viviani planté vers 1601 par Jean Robin. Il est aujourd’hui mort et il ne reste qu’un tronc avec des rejets (extrémité ouest de la galerie de botanique) mais celui du square René-Viviani, avec ses 20 mètres de hauteur et ses 4 mètres de circonférence, existe toujours, soutenu par des étais. Dès 1640, le jardin est ouvert au public et, à la mort de son fondateur, l’année suivante, il compte 1 800 plants différents. C’est désormais le « Jardin du roi », développé à partir de 1693 par Fagon, Premier médecin de Louis XIV, puis par le botaniste Tournefort, qui plante l’érable de Crète en 1702 (labyrinthe, côté bibliothèque), et les trois frères de Jussieu qui parcourent le monde à la recherche de nouvelles espèces rares. C’est ainsi que Bernard de Jussieu rapporta d’Angleterre, en 1734, deux cèdres du Liban dont l’un subsiste sur les pentes du grand labyrinthe ; c’est lui aussi qui plantera en 1747 le premier pied de Sophora, qui provenait de Chine (devant la galerie de minéralogie). Entre 1732 et 1739 sont créées les premières serres chaudes françaises, pour abriter des plantes exotiques. Nommé intendant du Jardin du roi en 1739, Georges- Louis de Buffon le restera jusqu’à sa mort, en 1788. Il sut s’entourer des meilleurs savants, parmi lesquels les naturalistes Louis Daubenton (une colonne signale sa tombe près du sommet du labyrinthe) et Jean-Baptiste de Lamarck et le botaniste Antoine-Laurent de Jussieu, neveu des trois frères. Pour le jardin, il s’adjoignit les services d’André Thouin, nommé jardinier en chef en 1764, et pour la construction des bâtiments, ceux de l’architecte Edme Verniquet. C’est sous la direction de Buffon que le Jardin du roi va connaître son plus bel essor. L’intendant y habite, dans la maison dite « de Buffon » située dans l’angle sud-ouest du jardin (actuelle librairie).
par Jacky Barozzi 01 mars, 2024
Fontaine Hydrorrhage Jardin Tino-Rossi, quai Saint-Bernard (5e arr.) Métro : Gare d’Austerlitz ou Jussieu Transformé en jardin entre 1975 et 1980, le quai Saint-Bernard constitue désormais une belle promenade, entre les ponts d’Austerlitz et de Sully. C’est là qu’a été installé le musée de Sculptures en plein air de la Ville de Paris, consacré essentiellement aux œuvres de la seconde moitié du XXe siècle. Au centre, un rond-point constitué d’une succession de bassins semi-circulaires, abrite une bien singulière fontaine. Baptisée Hydrorrhage , celle-ci a été réalisée en 1975-1977 par l’architecte Daniel Badani et le sculpteur Jean-Robert Ipoustéguy. Derrière une imposante armure en forme de bouclier, on découvre un homme nu, harnaché d’un attirail relevant proprement de l’iconographie sado-masochiste, et suçotant une sorte de gland tout en se livrant à la masturbation ! Cette audacieuse œuvre, contemporaine de l’époque de la libération sexuelle, semble avoir dépassée les souhaits de son commanditaire. La municipalité a en effet récemment entouré d’un grillage et d’une haie d’arbustes l’ensemble des bassins, empêchant le visiteur de se rapprocher de cette fontaine, autrefois de plain-pied, et en a pudiquement détourné la gerbe principale, qui jaillissait du sexe du personnage et retombait dans le premier bassin depuis le gros tuyau recourbé au centre du bouclier, pour le remplacer par les deux inoffensifs jets d’eau du bassin, situés de part et d’autre du groupe en bronze. 
par Jacky Barozzi 29 févr., 2024
La Lutèce gallo-romaine reconstituée. JARDIN DES ARENES DE LUTECE ET SQUARE CAPITAN - 1892 5° arr., rue de Navarre, rue des Arènes, rue Monge, M° Place-Monge La Lutèce gallo-romaine, qui voit se reconstruire l’île de la Cité, se développe sur la rive gauche, à l’abri des inondations. Là, sur les pentes de la montagne Sainte- Geneviève, s’établit une cité à la romaine, de part et d’autre de la voie principale, le cardo, dont on retrouve le tracé dans la rue Saint-Jacques. Un peu à l’écart, adossé au versant oriental de la colline, est construit vers la fin du Ier siècle après J.-C. un édifice, connu sous le nom d’Arènes de Lutèce, qui servait en réalité tout aussi bien pour les jeux du cirque que pour les représentations théâtrales, comme en témoigne la scène qui vient interrompre les gradins sur un côté.
par Jacky Barozzi 25 févr., 2024
I nlassable piéton de Paris, pour lequel les errances dans la capitale furent longtemps le prétexte à ranimer son imaginaire mémoriel, Patrick Modiano serait-il brusquement rattrapé par le principe de réalité ? Dans son dernier roman, « La Danseuse », un récit de moins de cent pages, aux chapitres particulièrement aérés, il nous conte l’histoire d’une danseuse, jamais autrement nommée dans le livre, et de son jeune fils Pierre, rencontrés un demi siècle plus tôt. Situé en grande partie entre la Place Clichy (9e arr.) et la Porte de Champerret (17e arr.), ce court texte est ponctué de plusieurs paragraphes où le présent s’invite comme jamais auparavant dans les romans de notre auteur récemment nobélisé : « Qu’étaient devenus la danseuse et Pierre, et ceux que j’avais croisés à la même époque ? Voilà une question que je me posais souvent depuis près de cinquante ans et qui était restée jusque-là sans réponse. Et, soudain, ce 8 janvier 2023, il me sembla que cela n’avait plus aucune importance. Ni la danseuse ni Pierre n’appartenaient au passé mais dans un présent éternel. » Ici, le narrateur ne reconnait plus le Paris de sa jeunesse et s’y sent désormais étranger. Une ville où les Parisiens ont été remplacés par les touristes et où la nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Une ville : « qui avait à ce point changé qu’elle ne m’évoquait plus aucun souvenir. Une ville étrangère. Elle ressemblait à un grand parc d’attraction ou à l’espace « duty-free » d’un aéroport. Beaucoup de monde dans les rues, comme je n’en avais jamais vu auparavant. Les passants marchaient par groupes d’une dizaine de personnes, traînant des valises à roulettes et la plupart portant des sacs à dos. D’où venaient ces centaines de milliers de touristes dont on se demandait s’ils n’étaient pas les seuls, désormais, à peupler les rues de Paris ? » Tandis que le narrateur traverse le boulevard Raspail (Patrick Modiano réside aujourd’hui dans le 6e arr.), il croise un fantôme du passé : « Je reconnus aussitôt Verzini. Et j’éprouvai un brusque malaise, celui d’être en présence de quelqu’un que je croyais mort depuis longtemps. » Après l’avoir accosté, les deux hommes décident de se réfugier dans un café, à l’angle du boulevard et de la rue du Cherche-Midi : « Nous étions assis à une table, l’un en face de l’autre, seuls dans la salle, ce qui m’étonnait. Depuis quelques temps, les cafés et les restaurants étaient bondés. Devant la plupart d’entre eux, il y avait même des files d’attente. » Le narrateur précisant : « Derrière la vitre, je voyais passer les groupes de touristes habituels depuis quelques mois, sac au dos et traînant leurs valises à roulettes. La plupart portaient des shorts, des tee-shirts et des casquettes de toile à visière. Aucun d’entre eux ne pénétrait dans le café où nous étions, comme si celui-ci appartenait encore à un autre temps qui le préservait de cette foule. » Et ajoutant, au moment où le narrateur et Verzini se séparent sur le trottoir : « Dehors, nous étions bousculés par le flot des touristes. Ils avançaient par groupes compacts et vous barraient le chemin. ''Nous reprendrons peut-être un jour notre conversation, me dit-il. C’est si loin, tout ça… Mais j’essaierai quand même de me souvenir…'' Il eut le temps de me faire un signe du bras avant d’être entraîné et de se perdre dans cette armée en déroute qui encombrait le boulevard. » Le narrateur ou Modiano lui-même, avouant, plus loin : « Nous vivions des temps difficiles depuis trois ans, comme je n’en avais jamais connu de ma vie. Et le monde avait changé si vite autour de moi que je m’y sentais un étranger. » Alors, texte testamentaire de notre auteur national, dans un Paris post covidien et de plus en plus airbnbisé ? Seul, l’avenir nous le dira…
par Jacky Barozzi 20 févr., 2024
12e arrondissement Musée des Arts forains 53, avenue des Terroirs de France Tél. : 01 43 40 16 22 Métro : Cour Saint-Émilion http://www.arts-forains.com
par Jacky Barozzi 20 févr., 2024
PARC DES BUTTES-CHAUMONT - 1867 19° arr., rue Manin, rue de Crimée, rue Botzaris, M° Buttes- Chaumont ou Botzaris Entre Belleville et La Villette, la butte de Chaumont, du latin calvus mons ou mont chauve, est de tout temps une colline aride et dénudée dont le sol calcaire interdit toute agriculture. Des moulins apparaissent dès le XVI° siècle sur les hauteurs de Belleville et de La Villette et on en dénombre six à la fin du XVII°sur la butte de Chaumont. A partir du XVIII° siècle, le gypse du sous-sol est exploité pour fournir de la pierre à plâtre destinée à la construction. Cette extraction, qui se fait en souterrain, entraîne des affaissements du terrain et, à la suite d’effondrements meurtriers, l’exploitation souterraine est interdite en 1779. Les carrières à plâtre sont détruites et comblées par éboulement mais l’exploitation va se poursuivre à ciel ouvert, de plus en plus intensive dans le premier tiers du XIX° siècle. En 1851, la carrière dite de l’Amérique, l’une des plus importantes, quasiment épuisée, est fermée. Le site offre à cette époque un aspect véritablement désolé. Aux pieds de la butte, du côté de La Villette, se trouve depuis la fin du XVIII° siècle le plus grand dépotoir d’ordures de la capitale, qui sert aussi pour l’équarrissage des chevaux. La nuit, les anciennes carrières sont le refuge des clochards et des rôdeurs. 
par Jacky Barozzi 18 févr., 2024
PARC FLORAL DE PARIS 1969 12° arr., bois de Vincennes, esplanade Saint-Louis, route de la Pyramide, M° Château-de-Vincennes. Entrée payante Le Parc floral a été inauguré en 1969 à l’occasion des Troisièmes Floralies internationales de Paris. Les deux premières éditions s’étaient tenues en 1959 et 1964 au Centre national des Industries et des Techniques (CNIT) de La Défense et le succès qu’elles avaient remporté avaient conduit les organisateurs à rechercher un emplacement mieux adapté. C’est ainsi que le Conseil de Paris décida en 1966 d’implanter ce nouveau “Parc d’activités culturelles de plein air” dans le bois de Vincennes, sur des terrains qui avaient été occupés par les anciens établissements militaires de la Pyramide et de la Cartoucherie. L’objectif était double : accueillir les Troisièmes Floralies internationales de Paris, qui seraient suivies d’autres expositions temporaires, mais aussi profiter de l’engouement pour l’art floral manifesté par le grand public pour le sensibiliser à l’art contemporain en exposant des œuvres en plein air. 
par Jacky Barozzi 06 févr., 2024
BOIS DE VINCENNES - 1857 12° arr., M° Château-de-Vincennes ou Porte-Dorée Le bois de Vincennes est le vestige d’une vaste forêt antique qui s’étendait à l’est de Paris. Ces terres incultes appartenaient à tous et les paysans gaulois puis gallo- romains les utilisaient pour mener paître leurs bêtes, se nourrir et trouver du bois pour se chauffer. L’arrivée des Francs, si elle ne modifie pas leurs habitudes, change cependant le statut de la forêt qui, de publique, devient alors privée selon les règles du droit franc. Après la mort de Dagobert, en 639, sa veuve fonde une abbaye à Saint-Maur. La première mention connue de la forêt de Vilcena figure dans une charte royale de 848 dans laquelle Charles le Chauve entérine un échange de terres entre l’évêque de Paris et l’abbé de Saint-Maur-des-Fossés. La forêt devient propriété de la couronne à la fin du X° siècle mais c’est dans une charte de 1037, par laquelle Henri Ier accorde des droits d’usage dans la forêt aux moines de l’abbaye de Saint-Maur, que la présence royale est mentionnée pour la première fois à Vincennes. D’autres droits seront accordés à différentes abbayes parisiennes jusqu’en 1164, date de la fondation du couvent des Bonshommes de Grandmont par Louis VII, qui donne aux moines un enclos et un prieuré. Louis VII possède un pavillon de chasse dans la forêt de Vincennes, la plus proche du palais de la Cité où il réside fréquemment. Dès le début de son règne, Philippe Auguste rachète les droits d’usage qui avaient été accordés dans la forêt afin de constituer un domaine de chasse. Il fait construire un manoir, qui constitue la première résidence royale à Vincennes (disparue au XIX° siècle), et élever en 1183 un mur de pierre pour protéger cet espace destiné à la chasse (ce mur restera en place jusqu’aux aménagements du Second Empire). Saint Louis fait construire en 1248 une chapelle dédiée à saint Martin pour abriter une épine de la Couronne du Christ qu’il a acquise de l’empereur d’Orient Baudoin II. Il agrandit le manoir d’un donjon car Vincennes constitue désormais la deuxième résidence du roi après le palais de la Cité et chacun connaît la fameuse scène, rapportée par Joinville dans la Vie de saint Louis, du roi rendant la justice sous un chêne du bois de Vincennes. 
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