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Fin de sursis.




UN CAVALIER DANS LA GARRIGUE




   Au début de janvier 1975, tandis que, ex étudiant attardé, j’allais sur mes 23 ans, je me retrouvai au beau milieu de gamins. Tous déjà engagés sur la voie professionnelle, ils étaient nettement plus jeunes que moi, voire encore mineurs. Certains, en effet, étaient à peine âgés de 17 ans et avaient devancé l’appel (en juillet 1974, sous la toute nouvelle présidence de Valéry Giscard d’Estaing, la majorité était passée de 21 à 18 ans).

   Le Centre d’Instruction de l’Arme Blindée et de la Cavalerie (C.I.A.B.C.) de Carpiagne, où je fus affecté, et où depuis longtemps les chars d’assaut avaient remplacés les chevaux, s’étendait sur des centaines d’hectares au cœur du Parc national des Calanques, entre Marseille et Cassis.

   Un véritable site lunaire, balayé par le mistral et planté de rares essences méditerranéennes, où s‘établirent, au XIIIe siècle, des Templiers de la Commanderie de Marseille.

   Beau et austère site, mais surtout terriblement isolé de toute population autre que militaire.

   Piaffant après ma liberté perdue, je n’avais qu’une idée en tête : me faire réformer au plus vite. Cela ne pouvait se faire que durant les deux premiers mois des classes, après quoi, il serait trop tard.

   Dès l’abord, l’adjudant-chef me prit en grippe. Un chti, petit blondinet sec à l’air sournois, ancien boulanger de son état. Après les présentations, il m’informa publiquement que j’étais le seul bachelier de la chambrée, les autres n’étant pas allés au-delà du CAP. En conséquence, il me demandait de mettre à profit mon temps en apprenant à lire et écrire à Paco Varas, un appelé gitan d’origine espagnole, qui était analphabète. Celui-ci, rougissant, baissa aussitôt la tête lorsque l’adjudant-chef le désigna de la main à toute l’assemblée.

   Le premier mois, consignés en permanence à la caserne, nous n’eûmes droit à aucune permission.

   Confrontés à la discipline du camp et aux manœuvres élémentaires propres à tout postulant cavalier de l’armée de Terre, je ne pouvais m’évader de cet environnement hostile qu’à travers la lecture. J’enviais les « quillards » qui, enivrés de canettes de mauvaise bière tiède achetée au foyer, venaient narguer les

« bleubites » que nous étions en braillant quotidiennement sous nos fenêtres le décompte des jours qu’il leur restait à accomplir avant leur libération ainsi que quelques autres amabilités : « Quinze au jus, quatorze, treize… », « La quille, bordel ! », « Bande de nazes, vous n’avez pas fini d’en chier ! »

   Allongé tout habillé sur mon pieu, près de la fenêtre, j’entamais le premier tome d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust : une lecture de circonstance !

   Avec le cavalier de seconde classe Paco Varas, nous convînmes que je l’aiderai uniquement à rédiger ses lettres à sa fiancée et de lui lire celles qu’elle lui écrirait en retour. C’était un petit brun rondouillard à la peau cuivrée, rempailleur de chaises. Un métier lucratif, semblait-il, qui lui permettait de venir à la caserne en voiture américaine décapotable et de m’offrir en guise de remerciements, chaque matin, des croissants frais, qu’il achetait à un boulanger ambulant dont la camionnette stationnait devant le foyer dès six heures du matin. Ce qui améliorait l’infâme jus de chaussette que l’on nous servait aux aurores dans notre gamelle métallique.

   Je demandais à Paco ce qu’il avait à dire à sa bien aimée. Ecris-lui que je vais bien, que je m’amuse bien avec les copains, qu’on mange et boit bien, qu’aujourd’hui j’ai appris à démonter et remonter un fusil mitrailleur, à marcher au pas, à saluer…

   Un jour, devant tant de banalités impersonnelles, je ne pus contenir ma rage : « Tu n’as rien de plus gentil à lui dire ? », m’écriai-je !

   Surpris, il garda le silence durant quelques secondes avant d’ajouter, penaud : « Eh bien, écris-lui, que pour moi, elle sera toujours ma colombe aux ailes d’or ».

   « Ah, voilà qui est déjà mieux, çà devrait lui faire plaisir ! », lui répondis-je, tout en rédigeant sa phrase enflammée.

   Bien vite, Je remarquai qu’il ne me demandait jamais de lui lire les lettres de sa fiancée ?

   Finalement, il m’avoua qu’il savait parfaitement lire et écrire, qu’il rédigeait en secret ses propres lettres et que les miennes allaient directement au panier : s’il prétendait être analphabète, c’est parce que c’était un bon motif pour se faire réformer.

   À quelques jours de la fin des deux mois de classes, muni d’une autorisation de sortie pour la nuit, je pris la navette du camp afin d’aller passer la soirée à Marseille. Je descendis au terminus, à l’angle de la Canebière et de l’avenue qui conduit, sur la droite, aux bas des grandes marches de la gare Saint-Charles.

   Là, je dinai au Noailles, la grande brasserie sise de l’autre côté du carrefour, tout en feuilletant Le Provençal, m’attardant seulement aux pages spectacles. Je découvris que dans un cinéma du quartier on jouait Violence et Passion, un film que j’avais raté à sa sortie, l’année précédente : c’était l’occasion ou jamais ! Néanmoins, j’étais trop préoccupé par l’application du plan que j’avais en tête pour pouvoir apprécier à sa juste valeur l’œuvre du grand Luchino Visconti. Je regardai d’un œil distrait le face à face passionnel entre Burt Lancaster et Helmut Berger, entrecoupé des apparitions évanescentes de Silvana Mangano, Claudia Cardinale et Dominique Sanda.

   Juste avant le générique de fin, je quittai la salle en catimini et, me roulant par terre, je simulai une crise d’épilepsie, sous le nez de la caissière, au centre du hall d’entrée.

   Les pompiers arrivés peu après, me conduisirent d’une traite à l’hôpital militaire Laveran, où je fus directement interné au service psychiatrique.

   Là, je partageai la chambre avec deux autres candidat à la réforme militaire, tout comme moi : un séduisant brun à fine moustache et une « petite folle » insignifiante, ainsi qu’un spectaculaire sicilien au crâne rasé, ne parlant pas un mot de français. Ce dernier, après s’être engagé dans la Légion étrangère, en jugea le régime trop sévère à son goût. Pour y échapper, il n’avait rien trouvé de mieux que de se jeter du haut d’une fenêtre du casernement d’Aubagne où il avait été affecté. Pas de très bien haut, apparemment, car à l’arrivée, il n’avait rien eu de cassé. Depuis, il s’était réfugié dans un mutisme absolu et passait le plus clair de son temps recroquevillé dans son lit.

   Les quelques jours passés à Laveran furent particulièrement récréatifs. Les bâtiments étaient neufs et de bonne facture architecturale. Ici, nous ne recevions aucun ordre. Mis à part quelques examens, tests et consultations d’usage, nous n’avions rien à faire sinon boire, manger, dormir et se divertir, tout en étant servis par un personnel aux petits soins. Pour le divertissement, nous disposions d’une salle de jeux, d’un salon télé, d’une cafétéria, d’une bibliothèque de prêt et bénéficions, de surcroit, d’un superbe parc.

   Par une fin d’après-midi paresseuse du début du mois de mars, alors que nous faisions un tour du parc, le brun moustachu, qui se donnait des airs de macho, et prétendait vouloir se faire réformer au plus vite pour pouvoir retrouver sa fiancée, qui lui manquait, et l’attendait bien sagement à Fréjus, me proposa, d’un ton plein de sous entendu, d’aller prendre une douche avec lui. « Pourquoi, pas », lui répondis-je du tac au tac. « Vas y en premier, je te rejoins discrètement », ajouta-t-il, sans plus d’équivoque possible.

   Tandis que je me savonnais depuis au moins cinq bonnes minutes dans une cabine du fond, il arriva à son tour et s’immobilisa devant la porte de la douche, que j’avais laissée entrouverte. Nous étions seuls. Il avait gardé son short et était torse nu. Feignant l’étonnement, il me dit : « Alors tu m’as cru, quand je t’ai proposé de prendre une douche avec moi ! » Puis il ajouta, avec un air de reproche : « Et tu crois que je vais te rejoindre ? Je ne suis pas comme ça, moi ! Je vais me marier ! »

   À mon tour, je jouai l’innocence : « Mais il ne s’agissait pour moi que de prendre une simple douche, rien de plus, tu envisageais autre chose ? »

   La « petite folle », qui n’avait rien perdu de l’idylle naissante entre le brun moustachu et moi, comprit, à notre retour précipité dans la chambre, que celle-ci avait tournée court. Elle m’adressa même un sourire compatissant. Plus tard, elle vint me rejoindre dans le parc et me parla ouvertement. La franchise de ses paroles m’amena à penser qu’il faut parfois se méfier de notre première impression, loin d’être la bonne, elle se révèle le plus souvent fausse. Enfant de la DASS, balloté de foyers institutionnels en familles d’accueil, très tôt conscient de sa différence et l’assumant pleinement, ce garçon efféminé, que j’avais hâtivement jugé insignifiant, savait répondre efficacement aux violences et aux moqueries dont il faisait perpétuellement l’objet. Non sans courage et une certaine philosophie de la vie. Se produisant, tout autant par goût personnel que par nécessité, dans des spectacles de travestis sur la scène de boites miteuses de la région, il m’avoua entretenir une liaison passionnée avec un homme marié, père de deux enfants. Il ne lui en fallait pas plus pour être heureux. Bien que ne ressentant aucune attirance pour lui, la droiture morale qui émanait de toute sa personne et l’attitude courageuse dont il faisait preuve face à l’adversité, me le firent juger en fin de compte plus « viril » que le beau légionnaire dépressif, le séduisant brun velléitaire ou moi-même.

   Devant le psychiatre, un blondinet d’une trentaine d’années, élève officier de réserve (EOR), qui me reçut en consultation, j’adoptai un ton victimaire dont il ne fut pas dupe. Je plaidai une hypersensibilité incompatible avec la vie militaire. J’avais bidonné le test de Rorschach de manière à ce que l’on en conclue que j’étais la proie d’une fantasmagorie inquiétante. J’osai même jusqu’à prétendre que j’avais une pauvre mère handicapée à charge.

   Rien n’y fit. Celui-ci me fit valoir qu’une réforme au service militaire pourrait m’être préjudiciable dans l’avenir : étudiant en Droit, je serais pénalisé à l’occasion d’un éventuel concours administratif.

Le Droit avait été une erreur de parcours, seuls m’intéressaient la littérature et le cinéma, lui rétorquai-je. Néanmoins, il ne voulut rien savoir, me proposant, avec bienveillance, de m’accorder six semaines de repos, renouvelable une fois, en cas d’extrême urgence. (…)




L'évasion par la lecture.



   Vers la fin d’avril, à l’issue des six semaines de répit, il me fallut regagner la caserne, où, en mon absence, à la fin des classes, j’avais été affecté au « bureau de la communication et des loisirs », établi dans un vieux bâtiment datant des Templiers, qui abritait également le mess des officiers. 

   Dès mon arrivée, le capitaine, responsable du service, m’accueillit par des paroles méprisantes : « Y a que les tapettes qui vont en psychiatrie », affirma-t-il péremptoirement. 

   Je pâlis de rage, mais ne dis pas un mot, ne voulant pas lui donner l’occasion de m’envoyer au trou ! 

   Là, je fus chargé de rédiger les articles du Grand Heaume, le bimestriel du camp. 

   Le soir, je retrouvai la chambrée, occupée par sept autres garçons de mon âge et de profils plus ou moins identiques, rattachés au même service que moi. Je passai de longues heures, allongé sur mon lit, près de la porte, à achever la lecture des derniers tomes du Temps retrouvé, auxquels succédèrent Les mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, dont je lus, dans la foulée, L'Oeuvre au noir, ainsi que plusieurs volumes de Jean Giono et de Thomas Mann. 

   Le camp de Carpiagne, qui regroupait un bon millier d’appelés et plus d’une centaine d’engagés, disposait d’une salle de cinéma moderne et confortable, que la plupart des patrons de salles du quartier Latin aurait pu lui envier. 

   Chaque mardi et jeudi, à 20 heures, y était projeté un film différent, au tarif réduit habituel auquel avaient droit les militaires dans le circuit privé. 

   Un matin, le capitaine nous convoqua dans son bureau, nous chargeant d’établir avec lui la programmation des deux prochains trimestres. 

   Je fus impressionné par la lecture du catalogue du Cinéma des Armées, que le gradé, l’air embarrassé, avait fait circuler autour de la table où nous avions pris place. Des centaines et des centaines de titres de films, regroupés par ordre alphabétique et suivi de l’année de leur première diffusion, dont certains remontaient au début de l‘année en cours, composaient une filmothèque idéale. 

   Je compris très vite que la demi-douzaine de bidasses appelés, tout comme moi, à effectuer un choix parmi ces œuvres demeurait tout aussi perplexe que le capitaine. 

   Visiblement, ils étaient dépassés par la tâche. 

   Je saisis l’occasion pour rompre le lourd silence qui avait suivi la question de l’officier : « Lesquels de ces films, selon vous, pourraient intéresser vos camarades ? » 

   Je pris alors une voix respectueuse pour suggérer humblement la bonne méthodologie à suivre : « Si vous le permettez, mon Capitaine, le mieux serait de procéder par genres, ainsi parviendrions nous à opérer la plus large sélection possible et répondre ainsi à tous les goûts ? » 

   Sans lui laisser le temps d’acquiescer, j’attribuai à l’un les westerns, à l’autre les comédies, aux autres les drames, les films historiques, de guerre, policiers, de science-fiction ou à caractère social et politique. Sur ma lancée, je chargeai, d’autorité, mon voisin de gauche d’énumérer les titres du catalogue. 

   C’est ainsi, qu’obéissant à mon seul plaisir, à l’énoncé de La mort à Venise de Luchino Visconti (1971), je m’écriai que c’était un magnifique polar, ou bien que Le Messager de Joseph Losey (1970) était un superbe western. Les autres étaient-ils dupes de mon grossier stratagème, qui, auprès du capitaine, passa comme une lettre à la poste ? 

   Cette année-là, la plupart des soldats de Carpiagne, accoutumés aux pitreries des Charlots, de Bébel ou d’Aldo Maccione, virent des films qu’ils n’allaient jamais voir habituellement au cinéma et dont ils se souviendraient longtemps.

   À la projection du premier film de la nouvelle sélection, tout se passa plutôt bien, il s’agissait du Dictateur de Charlie Chaplin (1940). Mais les choses se corsèrent peu après. Notamment, lorsqu’on diffusa Un dimanche comme les autres (Sunday Bloody Sunday), le film britannique réalisé par John Schlesinger, avec Glenda Jackson (1971). Quand, vers le milieu du film, Peter Finch embrassa à pleine bouche Murray Head, l’assistance, composée exclusivement de jeunes mâles en rut, alors passablement endormis par cette ennuyeuse histoire intimiste et triangulaire se déroulant sous la pluvieuse campagne automnale anglaise, se réveilla d’un seul bond et fit entendre aussitôt un effroyable cri de haine, proche du spasme collectif, mélange de sifflements et de mots fleuris : « pédés ! », « enculés ! », « pédales ! », « tantouzes ! », « suceurs de bites ! »... 

   Il est vrai que ma programmation prenait dangereusement des allures de festival gay et lesbien avant la lettre ! Mais ce qui mit le feu aux poudres, c’est quand arriva le tour du film Le Jardin qui bascule de Guy Gilles, sorti à Paris au début de l’année et que je n’avais pas pu voir. C’était un film à l’esthétique homo, et Guy Gilles était considéré à l’époque comme appartenant à la crème de l’avant-garde cinématographique. Sur les photos du film, publiées dans la presse spécialisée, ont voyait de beaux jeunes mecs évoluer gracieusement autour de Jeanne Moreau, l’icône gay du moment, qui vivait alors avec le couturier en vogue Pierre Cardin. Je n’avais pu résister au plaisir rare de nous faire parvenir les bobines du film, sans me soucier de la réaction du public qui serait amené à payer pour le voir. Avant la fin du générique, il n’y avait pratiquement plus personne dans la salle : la séance publique s’était transformée en projection privée. A la caisse, de nombreux spectateurs demandèrent à être remboursés… 

   Le lendemain, le capitaine me passa un savon, menaçant à plusieurs reprises de me « mettre au trou ».

   D’instinct, je compris que ce respectable père de famille était un homo refoulé. Je le regardai droit dans les yeux et, prenant mon air le plus innocent, lui répondis : « Au trou ! Mais pour qu’elle raison, mon capitaine ? Je n’ai fait que vous aider à choisir des titres figurants au catalogue officiel du Cinéma des Armées. »




 Les appelés du bureau de la communication et des loisirs au complet.

par Jacky Barozzi 02 mai, 2024
Adopté par Mimi, le Chartreux de Corine, l'amie de ma petite soeur Marinette, du côté de Flayosc. Séjour dans le Sud, entre Flayosc (Var) et Cannes (Alpes-Maritimes) du 17 au 30 avril 2024.
par Jacky Barozzi 08 avr., 2024
Sandrine, assisse au soleil sur un banc du square Trousseau , au faubourg Saint-Antoine, observait, tout en achevant d’avaler un sandwich, des enfants jouant dans l’aire de jeux, au milieu du grand bac à sable. Une jeune femme blonde d‘une vingtaine d’années et son compagnon, un beur du même âge, accompagnés de leur gamin, se dirigèrent vers le kiosque à musique, au centre du jardin. Là, ils s’installèrent sur les marches. Le père sortit une balle de son sac à dos et la donna au garçon, qui courut rejoindre les autres enfants dans l’aire de jeux voisine du kiosque. Sandrine alluma une cigarette et fuma voluptueusement, les yeux mi-clos, le visage offert aux rayons du soleil. Plongées dans ses rêves, elle fut soudain ramenée à la réalité par la voix d’une jeune femme : – Pourrais-je vous emprunter votre briquet, s’il-vous-plait ? Rouvrant les yeux, Sandrine découvrit la blonde du kiosque. Elle tira un briquet de son sac, posé à côté d’elle sur le banc, et le tendit en souriant à la mère du petit garçon. Sans plus de façon, celle-ci repartit jusqu’au kiosque où elle donna à son tour le briquet à son conjoint. Malgré la distance, Sandrine perçu toute l’action : le jeune homme chauffa une barrette de cannabis et se confectionna un joint, qu’il alluma, avant de rendre le briquet à sa compagne. Celle-ci revint en direction de Sandrine et lui redonna son briquet – Merci beaucoup, dit-elle. – Il n’y a pas de quoi, répondit Sandrine, toujours souriante. 
par Jacky Barozzi 23 mars, 2024
Connaissez-vous, au voisinage du bois de Vincennes, l’hôpital Esquirol de Saint-Maurice ? Un haut-lieu de vie et de mémoire, qui vaut le détour ! Durant douze siècles, Saint-Maurice se dénomma Charenton-Saint-Maurice, jusqu’à ce qu’une ordonnance royale de Louis Philippe, du 25 décembre 1842, lui permit de n’en conserver que sa seule appellation dernière. Officiellement, pour la distinguer de la commune voisine, qui prit le nom de Charenton-le-Pont en 1810. En réalité, c’est parce que les habitants, du fait de la trop grande renommée de l’asile de Charenton, et trouvant qu’ils avaient de plus en plus de mal à marier leurs filles, voulurent, à défaut de se débarrasser de l’asile, en effacer le nom. Voilà pourquoi l’ancien asile de Charenton, devenu l’hôpital Esquirol, ne se trouve pas sur la commune de Charenton, mais sur celle de Saint-Maurice.
par Jacky Barozzi 12 mars, 2024
JARDIN DES PLANTES - 1633 5° arr., place Valhubert, rue Buffon, rue Geoffroy-Saint- Hilaire, rue Cuvier, M° Gare-d’Austerlitz, Jussieu ou Place-Monge C’est en 1614 que Guy de La Brosse, médecin ordinaire de Louis XIII, soumet à Jean Héroard, Premier médecin du roi, son projet de création d’un jardin où l’on cultiverait « toutes sortes d’herbes médicinales ». Il faut dire que les travaux des botanistes du XVI° siècle avaient attiré l’attention sur cette science nouvelle. Après la création du Jardin des plantes de Montpellier, en 1593, qui est le premier fondé en France, Henri IV et Sully songèrent à en établir un semblable à Paris qui possédait seulement un petit jardin de simples planté par l’apothicaire Nicolas Houel pour l’école des Apothicaires de la rue de l’Arbalète. L’édit de fondation du «Jardin royal des plantes médicinales » est promulgué en 1626 mais il reste encore à lui trouver un emplacement ! C’est Guy de La Brosse qui, en 1633, s’occupe de l’acquisition d’un vaste terrain, le clos Coypeau, situé au sud de l’abbaye Saint-Victor. D’une surface représentant environ le quart de sa superficie actuelle (qui est de 24 hectares), le jardin est séparé de la Seine par un entrepôt de bois et bordé de l’autre côté (vers l’actuelle rue Geoffroy-Saint-Hilaire) par des buttes artificielles faites de détritus et de gravats de construction. Guy de La Brosse s’attache immédiatement à aménager cette propriété royale, dont il est nommé intendant en 1635, pour en faire une école de botanique et d’histoire naturelle. L’espace est compartimenté en quatre zones distinctes, séparées par deux allées se coupant à angle droit. L’on y cultive des plantes usuelles, des arbres fruitiers, des arbustes et des plantes aquatiques. Sur les pentes des buttes artificielles qui bornent le jardin, Guy de La Brosse aménage un labyrinthe. En 1636, Vespasien Robin, démonstrateur en botanique, plante le robinier ou faux-acacia à partir d’un rejet dont son père Jean Robin, chargé du Jardin du roi dans l’île de la Cité (emplacement de la place Dauphine), se serait procuré les graines par l’intermédiaire d’un pépiniériste anglais. Le robinier du Jardin des plantes fut longtemps le deuxième plus vieil arbre de Paris, après le robinier du square René-Viviani planté vers 1601 par Jean Robin. Il est aujourd’hui mort et il ne reste qu’un tronc avec des rejets (extrémité ouest de la galerie de botanique) mais celui du square René-Viviani, avec ses 20 mètres de hauteur et ses 4 mètres de circonférence, existe toujours, soutenu par des étais. Dès 1640, le jardin est ouvert au public et, à la mort de son fondateur, l’année suivante, il compte 1 800 plants différents. C’est désormais le « Jardin du roi », développé à partir de 1693 par Fagon, Premier médecin de Louis XIV, puis par le botaniste Tournefort, qui plante l’érable de Crète en 1702 (labyrinthe, côté bibliothèque), et les trois frères de Jussieu qui parcourent le monde à la recherche de nouvelles espèces rares. C’est ainsi que Bernard de Jussieu rapporta d’Angleterre, en 1734, deux cèdres du Liban dont l’un subsiste sur les pentes du grand labyrinthe ; c’est lui aussi qui plantera en 1747 le premier pied de Sophora, qui provenait de Chine (devant la galerie de minéralogie). Entre 1732 et 1739 sont créées les premières serres chaudes françaises, pour abriter des plantes exotiques. Nommé intendant du Jardin du roi en 1739, Georges- Louis de Buffon le restera jusqu’à sa mort, en 1788. Il sut s’entourer des meilleurs savants, parmi lesquels les naturalistes Louis Daubenton (une colonne signale sa tombe près du sommet du labyrinthe) et Jean-Baptiste de Lamarck et le botaniste Antoine-Laurent de Jussieu, neveu des trois frères. Pour le jardin, il s’adjoignit les services d’André Thouin, nommé jardinier en chef en 1764, et pour la construction des bâtiments, ceux de l’architecte Edme Verniquet. C’est sous la direction de Buffon que le Jardin du roi va connaître son plus bel essor. L’intendant y habite, dans la maison dite « de Buffon » située dans l’angle sud-ouest du jardin (actuelle librairie).
par Jacky Barozzi 01 mars, 2024
Fontaine Hydrorrhage Jardin Tino-Rossi, quai Saint-Bernard (5e arr.) Métro : Gare d’Austerlitz ou Jussieu Transformé en jardin entre 1975 et 1980, le quai Saint-Bernard constitue désormais une belle promenade, entre les ponts d’Austerlitz et de Sully. C’est là qu’a été installé le musée de Sculptures en plein air de la Ville de Paris, consacré essentiellement aux œuvres de la seconde moitié du XXe siècle. Au centre, un rond-point constitué d’une succession de bassins semi-circulaires, abrite une bien singulière fontaine. Baptisée Hydrorrhage , celle-ci a été réalisée en 1975-1977 par l’architecte Daniel Badani et le sculpteur Jean-Robert Ipoustéguy. Derrière une imposante armure en forme de bouclier, on découvre un homme nu, harnaché d’un attirail relevant proprement de l’iconographie sado-masochiste, et suçotant une sorte de gland tout en se livrant à la masturbation ! Cette audacieuse œuvre, contemporaine de l’époque de la libération sexuelle, semble avoir dépassée les souhaits de son commanditaire. La municipalité a en effet récemment entouré d’un grillage et d’une haie d’arbustes l’ensemble des bassins, empêchant le visiteur de se rapprocher de cette fontaine, autrefois de plain-pied, et en a pudiquement détourné la gerbe principale, qui jaillissait du sexe du personnage et retombait dans le premier bassin depuis le gros tuyau recourbé au centre du bouclier, pour le remplacer par les deux inoffensifs jets d’eau du bassin, situés de part et d’autre du groupe en bronze. 
par Jacky Barozzi 29 févr., 2024
La Lutèce gallo-romaine reconstituée. JARDIN DES ARENES DE LUTECE ET SQUARE CAPITAN - 1892 5° arr., rue de Navarre, rue des Arènes, rue Monge, M° Place-Monge La Lutèce gallo-romaine, qui voit se reconstruire l’île de la Cité, se développe sur la rive gauche, à l’abri des inondations. Là, sur les pentes de la montagne Sainte- Geneviève, s’établit une cité à la romaine, de part et d’autre de la voie principale, le cardo, dont on retrouve le tracé dans la rue Saint-Jacques. Un peu à l’écart, adossé au versant oriental de la colline, est construit vers la fin du Ier siècle après J.-C. un édifice, connu sous le nom d’Arènes de Lutèce, qui servait en réalité tout aussi bien pour les jeux du cirque que pour les représentations théâtrales, comme en témoigne la scène qui vient interrompre les gradins sur un côté.
par Jacky Barozzi 25 févr., 2024
I nlassable piéton de Paris, pour lequel les errances dans la capitale furent longtemps le prétexte à ranimer son imaginaire mémoriel, Patrick Modiano serait-il brusquement rattrapé par le principe de réalité ? Dans son dernier roman, « La Danseuse », un récit de moins de cent pages, aux chapitres particulièrement aérés, il nous conte l’histoire d’une danseuse, jamais autrement nommée dans le livre, et de son jeune fils Pierre, rencontrés un demi siècle plus tôt. Situé en grande partie entre la Place Clichy (9e arr.) et la Porte de Champerret (17e arr.), ce court texte est ponctué de plusieurs paragraphes où le présent s’invite comme jamais auparavant dans les romans de notre auteur récemment nobélisé : « Qu’étaient devenus la danseuse et Pierre, et ceux que j’avais croisés à la même époque ? Voilà une question que je me posais souvent depuis près de cinquante ans et qui était restée jusque-là sans réponse. Et, soudain, ce 8 janvier 2023, il me sembla que cela n’avait plus aucune importance. Ni la danseuse ni Pierre n’appartenaient au passé mais dans un présent éternel. » Ici, le narrateur ne reconnait plus le Paris de sa jeunesse et s’y sent désormais étranger. Une ville où les Parisiens ont été remplacés par les touristes et où la nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Une ville : « qui avait à ce point changé qu’elle ne m’évoquait plus aucun souvenir. Une ville étrangère. Elle ressemblait à un grand parc d’attraction ou à l’espace « duty-free » d’un aéroport. Beaucoup de monde dans les rues, comme je n’en avais jamais vu auparavant. Les passants marchaient par groupes d’une dizaine de personnes, traînant des valises à roulettes et la plupart portant des sacs à dos. D’où venaient ces centaines de milliers de touristes dont on se demandait s’ils n’étaient pas les seuls, désormais, à peupler les rues de Paris ? » Tandis que le narrateur traverse le boulevard Raspail (Patrick Modiano réside aujourd’hui dans le 6e arr.), il croise un fantôme du passé : « Je reconnus aussitôt Verzini. Et j’éprouvai un brusque malaise, celui d’être en présence de quelqu’un que je croyais mort depuis longtemps. » Après l’avoir accosté, les deux hommes décident de se réfugier dans un café, à l’angle du boulevard et de la rue du Cherche-Midi : « Nous étions assis à une table, l’un en face de l’autre, seuls dans la salle, ce qui m’étonnait. Depuis quelques temps, les cafés et les restaurants étaient bondés. Devant la plupart d’entre eux, il y avait même des files d’attente. » Le narrateur précisant : « Derrière la vitre, je voyais passer les groupes de touristes habituels depuis quelques mois, sac au dos et traînant leurs valises à roulettes. La plupart portaient des shorts, des tee-shirts et des casquettes de toile à visière. Aucun d’entre eux ne pénétrait dans le café où nous étions, comme si celui-ci appartenait encore à un autre temps qui le préservait de cette foule. » Et ajoutant, au moment où le narrateur et Verzini se séparent sur le trottoir : « Dehors, nous étions bousculés par le flot des touristes. Ils avançaient par groupes compacts et vous barraient le chemin. ''Nous reprendrons peut-être un jour notre conversation, me dit-il. C’est si loin, tout ça… Mais j’essaierai quand même de me souvenir…'' Il eut le temps de me faire un signe du bras avant d’être entraîné et de se perdre dans cette armée en déroute qui encombrait le boulevard. » Le narrateur ou Modiano lui-même, avouant, plus loin : « Nous vivions des temps difficiles depuis trois ans, comme je n’en avais jamais connu de ma vie. Et le monde avait changé si vite autour de moi que je m’y sentais un étranger. » Alors, texte testamentaire de notre auteur national, dans un Paris post covidien et de plus en plus airbnbisé ? Seul, l’avenir nous le dira…
par Jacky Barozzi 20 févr., 2024
12e arrondissement Musée des Arts forains 53, avenue des Terroirs de France Tél. : 01 43 40 16 22 Métro : Cour Saint-Émilion http://www.arts-forains.com
par Jacky Barozzi 20 févr., 2024
PARC DES BUTTES-CHAUMONT - 1867 19° arr., rue Manin, rue de Crimée, rue Botzaris, M° Buttes- Chaumont ou Botzaris Entre Belleville et La Villette, la butte de Chaumont, du latin calvus mons ou mont chauve, est de tout temps une colline aride et dénudée dont le sol calcaire interdit toute agriculture. Des moulins apparaissent dès le XVI° siècle sur les hauteurs de Belleville et de La Villette et on en dénombre six à la fin du XVII°sur la butte de Chaumont. A partir du XVIII° siècle, le gypse du sous-sol est exploité pour fournir de la pierre à plâtre destinée à la construction. Cette extraction, qui se fait en souterrain, entraîne des affaissements du terrain et, à la suite d’effondrements meurtriers, l’exploitation souterraine est interdite en 1779. Les carrières à plâtre sont détruites et comblées par éboulement mais l’exploitation va se poursuivre à ciel ouvert, de plus en plus intensive dans le premier tiers du XIX° siècle. En 1851, la carrière dite de l’Amérique, l’une des plus importantes, quasiment épuisée, est fermée. Le site offre à cette époque un aspect véritablement désolé. Aux pieds de la butte, du côté de La Villette, se trouve depuis la fin du XVIII° siècle le plus grand dépotoir d’ordures de la capitale, qui sert aussi pour l’équarrissage des chevaux. La nuit, les anciennes carrières sont le refuge des clochards et des rôdeurs. 
par Jacky Barozzi 18 févr., 2024
PARC FLORAL DE PARIS 1969 12° arr., bois de Vincennes, esplanade Saint-Louis, route de la Pyramide, M° Château-de-Vincennes. Entrée payante Le Parc floral a été inauguré en 1969 à l’occasion des Troisièmes Floralies internationales de Paris. Les deux premières éditions s’étaient tenues en 1959 et 1964 au Centre national des Industries et des Techniques (CNIT) de La Défense et le succès qu’elles avaient remporté avaient conduit les organisateurs à rechercher un emplacement mieux adapté. C’est ainsi que le Conseil de Paris décida en 1966 d’implanter ce nouveau “Parc d’activités culturelles de plein air” dans le bois de Vincennes, sur des terrains qui avaient été occupés par les anciens établissements militaires de la Pyramide et de la Cartoucherie. L’objectif était double : accueillir les Troisièmes Floralies internationales de Paris, qui seraient suivies d’autres expositions temporaires, mais aussi profiter de l’engouement pour l’art floral manifesté par le grand public pour le sensibiliser à l’art contemporain en exposant des œuvres en plein air. 
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