Mise en page du blog



LE VOYAGE INITIATIQUE



   Un matin de la fin juin, en parcourant le Nice-Matin, je vis une annonce qui attira mon attention. Le propriétaire d’un voilier, ancré dans le port d’Antibes, recherchait 3 garçons sportifs et une fille (18-25 ans), pour une croisière de deux mois en Méditerranée. Outre le voyage, le logement et la nourriture gratis, notre participation - aux manœuvres pour les garçons et à la cuisine pour la fille -, donnait droit à une petite rétribution.

   Aussitôt après, j’appelai au numéro mentionné dans l’annonce, depuis la cabine téléphonique de la place de Rocheville. Je tombai sur la compagne du propriétaire du bateau. Après m’avoir demandé si j’avais déjà fait de la voile, et que j’eusse répondu par l’affirmative alors que je n’en avais jamais fait, j’obtins un rendez-vous pour l’après-midi même. Nous fûmes nombreux à nous présenter et, malgré mon ignorance totale en la matière, facilement détectable, je fus sélectionné. Principalement sur ma bonne mine, ainsi que je l’appris par la suite. 

   Le départ étant prévu pour le surlendemain, je demandais au propriétaire du bateau s’il avait la moindre idée de l’endroit où nous aborderions dans un mois d’ici, près de quelle grande ville où je pourrais demander à ma famille de faire suivre un pli urgent que j’attendais, la lettre qui devait me transmettre les sujets du concours d’entrée à l’Idhec (Institut des hautes études cinématographiques). 

   Celui-ci me suggéra alors : « Dans un mois, parvenus au point le plus extrême de notre itinéraire, nous aborderons au sud de la Turquie. Là, nous ferons une escale de 48 heures dans le port de Bodrum, le temps de refaire le plein du bateau en eau, en essence et en victuailles et toi d’aller chercher ton courrier à la poste principale d’Izmir, la grande ville voisine, à 230 km de distance ».

   C’est le plan que j’adoptai et que je suivis à la lettre, si je puis dire. 




Le Port Vauban d'Antibes.



   Fin juin, j’embarquais au port Vauban d’Antibes à bord du Senouire. Un élégant deux mâts de 18 mètres de long, à la coque laquée bleue outre mer, aux voiles blanches et au pont en bois de tek blond, qui devait son nom à une rivière d'Auvergne au bord de laquelle le propriétaire du bateau passait ses vacances dans son enfance et qui lui avait donné, très tôt, le goût de la navigation. 

   D’origine auvergnate, la famille en droite ligne de Roger Q., le propriétaire du bateau, était devenue parisienne depuis au moins trois générations. Gérant d’un grand garage des beaux quartiers de la capitale, c’était un fringant sexagénaire à longue chevelure poivre et sel en bataille, petit de taille, la peau hâlé, le corps sec et nerveux. Sa compagne, répondant au doux prénom d’Hélène, d’origine grecque, était une svelte brune d’au moins trente ans sa cadette. Xavier, qui portait le nom d’un vignoble de la région renommé pour son rosé, le plus âgé des garçons engagés en même temps que moi, sorte de grand échalas baba cool avant l’heure, avait environ 25 ans. L’autre garçon, prénommé Thierry, un blondinet de taille moyenne, comme moi, parfaite tête à claques, lui, venait tout juste d’être recalé au bac, qu’il avait passé au lycée du Parc Impérial à Nice où sont père exerçait l’honorable profession de médecin-généraliste. Et pour clore ces présentations, mentionnons enfin, Mathilde, dans le rôle de la jeune-fille au pair de tout l’équipage, une châtaine de mon âge (22 ans), ni belle ni moche. 




Sidi Bou Saïd, baie de Tunis.



   Ce fut le début d’un long périple qui nous mena d’une traite à Sidi Bou Saïd, dans la baie de Tunis, ensuite jusqu’en Crête et de là, à travers les principales îles des Cyclades, jusqu’à Bodrum, au sud de la Turquie. Au retour, nous passâmes par d’autres îles des Cyclades, regagnâmes les détroits de Corinthe et de Messine, longeâmes Ithaque et les îles Lipari, la Sardaigne et la Corse. 

   Pour moi, qui jusqu’alors ne m’étais guère hasardé au-delà de mon département d’origine, ce long périple méditerranéen fut le « voyage initiatique » qui manquait à ma formation. 

   À cette occasion, je découvris que je n’avais pas le pied marin. Tenir la barre et maintenir le cap fixé par Roger n’était pas très difficile, tandis que pour les manœuvres : lever ou jeter l’ancre, monter ou démonter les voiles, amarrer le bateau au port… nous n’avions qu’à suivre ses instructions. 

   Mais dès que nous prîmes le large, je fus le seul à être saisi d’une persistante nausée. 

   Au bout de quelques heures de navigation à moteur diesel, sur une mer d’huile, sans vent, de plus en plus incommodé par l’odeur insistante du fuel, je commençai à me vider de toutes parts. 

   Je rendis mes derniers boyaux, dès l’instant où je dus assurer mon premier quart, à la nuit tombée : le principal travail des quatre mâles de l’équipage se résumait à tenir la barre, sans dévier de l’itinéraire établi par Roger, durant quatre heures d’affilées chacun. 

   Je me retrouvai alors seul aux commandes, sous les étoiles, avec la mer pour unique horizon et une bassine en plastique à mes côtés pour recueillir, l’estomac et les intestins totalement vidés, d’amères excrétions bilieuses. 

   Dès cette première nuit, Mathilde vint me rejoindre sur le pont. D’évidence, malgré l’état pitoyable dans lequel je me trouvais, des trois garçons embarqués avec elle, c’est sur moi qu’elle avait jeté son dévolu. 

   Elle en fut pour ses frais et très vite se rabattit sur le grand Xavier, avec lequel elle partageait déjà l’une des deux cabines à couchettes superposées, en proue du bateau. Thierry et moi occupions l’autre, et Roger et Hélène la cabine double avec un lit à deux places, du côté de l’entrée, face au poste de pilotage et à la table des cartes. Au centre se trouvait le grand carré, un salon confortable, doté de larges banquettes et lambrissé d’acajou, que prolongeait une cuisine ouverte. C’est là que nous partagions principalement le petit déjeuner, déjeunant et dinant généralement à l’air libre, en plein soleil, à l’ombre du toit en toile écrue du roof.

   Après trois jours de navigation, et mon mal de mer s’estompant, nous arrivâmes en vue de la Tunisie, salués à l’avant du navire par les plongeons facétieux des dauphins, qui semblaient nous ouvrir la voie. 

   La première leçon que je tirai de cette nouvelle expérience, est que, plus que la mer, mon domaine était avant tout la terre ferme, que j’aime à appréhender avec mes deux jambes, le compas qui donne la juste mesure à mon équilibre et ma sérénité d’esprit : les profondeurs maritimes m’angoissent tandis que les rivages m’enchantent toujours. 

   Ce fut le cas en débarquant dans le petit port de Sidi Bou Saïd, face à la majestueuse résidence d’été du président Bourguiba, alors au faîte de sa gloire, et de découvrir les ruelles pavées de l’harmonieuse petite cité blanche et bleue, d’où, après un café turc dégusté au célèbre café des Nattes, nous prîmes le tortillard qui nous conduisit en moins d’une demi heure au centre de Tunis, via Carthage et La Goulette. Le temps de se perdre dans les sombres dédales de son souk et de faire quelques provisions de fruits et légumes frais au marché alimentaire installé à l’entrée de la médina. 



Ios, au coeur des Cyclades.



   Le lendemain matin, nous levâmes l’ancre. Nous avions encore une distance à peu près identique à accomplir pour rejoindre Ágios Nikólaos, en Crète. Après quoi, il ne nous resterait plus qu’à cabotiner de port en port et d’île en île, selon la volonté de Roger, pour qui la Méditerranée n’avait plus aucuns secrets… 

   Sans vraiment avoir conscience que j’accomplissais-là mon « voyage initiatique », le but principal de cette croisière était avant tout pour moi l’occasion de découvrir la Grèce et ses mœurs singulières, que l’on avait examinées sous toutes les coutures dès les premières années de collège. 

   À l’époque, je trouvais étrange, moi qui avais choisi d’autorité l’option « Français moderne », que nous ayons à passer tant de temps sur un texte ancien, à l’origine oral, raconté par un vieillard aveugle : L'Iliade et L'Odyssée d’Homère !? 

   D’autant plus que lorsque un Grand dans la cour disait à quelqu’un : « d’aller se faire voir chez les Grecs», on savait très bien de quoi il retournait, si je puis dire. 

   Après La Bible du catéchisme, je compris que l’on nous introduisait-là, dès le début des études secondaire, dans des temps plus reculés de notre civilisation occidentale. Au fondement même. 

   Maintenant, j’étais juste curieux de savoir ce qu’il restait de toute cette culture dans la réalité quotidienne contemporaine. 

   On mangeait fort bien sur le Senouire, grâce aux talents conjugués d’Hélène et de Mathilde. 

   Dès que l’on mettait pied à terre, abordant tantôt à Santorin, à Ios, à Paros, à Patmos, à Leros, à Kos… on laissait Roger à bord et filions au marché acheter des fruits et légumes, des spécialités et des vins locaux. 

   J’y retrouvais à chaque fois le parfum du marché Forville de Cannes. A part qu’ici, je n’étais pas fan du blanc ou du rosé résiné, à goût amer, dont Hélène, qui tenait le portefeuille, faisait grand cas. Quoique servi bien frais, il accompagnât plutôt bien les savoureux plats, salades variées et desserts, d’inspiration méditerranéenne, que les deux jeunes femmes du bateau confectionnaient pour le plus grand plaisir de l’équipage tout entier. 

   Mais à la différence de Forville, dans chaque marché des cités maritimes Grecques, où nous passions le plus clair de notre temps en dehors du bateau, une chose me surpris : le regard porté par les adultes du même sexe que moi, mais sensiblement plus âgés, sur mes jambes bronzées et musculeuses, dénudées par mon short ou mon bermuda et pourtant recouvertes d’un dense duvet blond. Troublant !




 Dans Bodrum la turque.



   À part cuisiner et faire la vaisselle pour les filles, assurer son quart en mer et participer aux manœuvres et au lavage du pont ou à l’astiquage des cuivres pour les garçons, en retranchant quelques heures pour les achats et le tourisme local, l’essentiel de notre temps était consacré au farniente : baignades collectives dans les criques désertes, longues séances de bronzage sur le pont du bateau, lectures, siestes, jeux de cartes et jeux de société… 

   À l’exception de Roger, qui s’activait tout le temps. En plus de son quart, il était constamment requis par l’entretien du bateau ou du moteur et ses recherches d’itinéraire à la table des cartes avec règle et crayon en main, ou sur le pont en observant l’horizon avec son sextant. 

   Ce dernier, contrairement à Hélène, participait rarement à nos moments de détente collective. Père de deux grands enfants, divorcé de sa première femme, et ayant mis son garage en gérance, il consacrait désormais l’essentiel de son temps aux voyages : la mer en été, la montagne et la neige en hiver. 

   Taciturne et peu souriant de nature, mais toujours courtois avec chacun de nous, son humeur s’assombrissait au fur et à mesure que nous nous rapprochions de Bodrum ? 

   Trouvait-il que nous prenions plus de bon temps que lui sur son propre bateau ? 

   Il évoqua devant moi la possibilité de sauter l’étape en Turquie, au prétexte que cet été-là (1974), les troupes turques venaient tout juste d’envahir le Nord de Chypre, créant ainsi de grandes tentions tout au long de la frontière maritime séparant les deux nations méditerranéennes. 

   J’insistai pour dire et redire à Roger combien cette escale était capitale pour moi. 

   Finalement, il accéda à ma demande. 

   Tandis que nous étions encore au large, nous vîmes venir vers nous, à toute vitesse depuis le port, une embarcation de la police militaire turque. Elle nous accosta et trois moustachus en uniforme montèrent d’autorité à bord de notre voilier. Nous dûmes présenter chacun nos papiers d’identité, subir un mini interrogatoire et le bateau, vaguement examiné plus que fouillé, fut officiellement autorisé à entrer dans le port.

   Après avoir diné sur le roof du Senouire, amarré dans le joli port fortifié de Bodrum, nous allâmes tous prendre le café sous la fraîche tonnelle de vignes vierges d’une sympathique buvette populaire proche du quai, à l’exception de Roger, resté surveiller le bateau. 

   À cette occasion, Hélène me prit à part. Elle me donna sa carte d’identité et me demanda de retirer pour elle, le lendemain, le courrier adressé à son nom en poste restante à Izmir. Et de le lui donner au retour, en toute discrétion, tournant ostensiblement son regard en direction du bateau. 

   Grillant une dernière cigarette sur le pont, je laissai gambader mon imagination, pensant qu’Hélène devait avoir un amant plus jeune à Paris, que Roger devait probablement s’en douter et qu’il cherchait, coûte que coûte, à couper toutes relations entre les deux amants ? D’où, peut-être, sa mauvaise humeur à l’idée d’accoster à Bodrum, notre seul lien possible avec la civilisation que nous avions quittée voilà un mois déjà et pour un autre mois encore ? 

   Sur le pont d’un Yacht voisin de notre voilier, apparut alors un marin moustachu d’une quarantaine d’années. 

   Il me tendit son paquet de cigarettes turques, à forme ovale et au parfum sucré, j’en pris une et l’allumai. 

   À la suite de quoi, nous tentâmes d’échanger quelques mots. Il était turc et ne parlait pas un mot d’anglais, encore moins de français. 

   À force de gestes de sa part, je finis par comprendre qu’il m’invitait cordialement à venir boire un verre dans sa cambuse. 

   À ses mains calleuses et ses vêtements bon marché, j’en déduisis qu’il n’était probablement pas le propriétaire de ce superbe yacht blanc, mais plutôt son gardien-mécanicien. 

   Je le suivis et nous nous retrouvâmes, comme je le pensais, dans une modeste cabine, faiblement éclairée et passablement en désordre. 

   Dès que je fus assis à ses côtés, sur l’unique couchette qu’il m’avait désignée de la main, il prit une bouteille de liqueur à peine entamée, qui se trouvait au sol. Nous en bûmes, tour à tour, près de la moitié, à même le goulot, dans un silence religieux. 

   De temps à autre, il m’offrait des carrés d’une tablette de chocolat noir qu’il avait extraite de dessous son barda. 

   Faute de discussion possible, il m’adressait de brefs regards sournois auxquels je répondais par un sourire gêné. 

   Estimant que je devais être suffisamment grisé, il commença par caresser délicatement le haut de ma cuisse colé à la sienne, glissant sa main sous mon bermuda. 

   Sa calleuse caresse m’emplit d’émotion. 

   Aussitôt, nous nous retrouvâmes nues et en pleine érection.

   C’est alors, que de tendre il devint brutal, me tournant autoritairement dans l’autre sens, sans m’avoir demandé mon avis. 

   Il crachat dans ses doigts et commença à me fouiller l’anus.

   Quand, après m’avoir plaqué contre la porte de la cabine, il voulut m’introduire son gland, je me refermai tout de go. Lui faisant comprendre, par de vifs mouvements de tête horizontaux, que c’était non : « désolé ! » 

   Peine perdue. 

   Pesant alors de tout son poids dans mon dos, il raffermit encore son étreinte en m’enserrant le cou de sa main gauche et, m’étouffant à moitié, il repartit de nouveau à l’assaut. 

   Tandis qu’il m’enfonça à fond dans l’anus un doigt enduit de salive pour mieux lubrifier la voie, je parvins à lui saisir les couilles et les broyai à pleine main. 

   Son étreinte se relâcha instantanément, juste le temps pour moi de ramasser mes fripes éparpillées au sol et de regagner en toute hâte mon bateau.



Izmir des années 1970.



   Après une brève nuit de repos, je partis de bon matin pour Izmir, situé plus au nord sur la côte, à trois bonnes heures d’autocar, six avec le retour. 

   Roger m’avait fermement averti que le voilier quitterait le port dans la soirée même, après le diner, et que nous naviguerions de nuit. Ses « quarante-huit heures » d’escale s’étaient subitement réduites à moins de vingt-quatre. 

   Je n’avais pas à chômer, si je ne voulais pas me retrouver sdf en Turquie ! 

   Le double voyage en autocar fut épique. 

   Les véhicules étaient antiques, certes, mais, à l’aller comme au retour nos chauffeurs moustachus les menèrent à une allure d’enfer, filant à tout berzingue dans la poussière des routes à travers des paysages de plaines et de cols dignes des vastes horizons du western hollywoodien. 

   De la gare centrale des autocars d’Izmir, je me rendis directement à pied à la poste principale : un imposant palais néo haussmannien, situé à une demi heure de marche. Je n’avais qu’à suivre les panneaux de signalisation et avancer en droite ligne sur les larges trottoirs de quelques rues et avenues qu’un agent de police avait préalablement soulignées du doigt sur mon plan. 

   Sur une placette, à l’angle d’un carrefour, se tenait un marché de fruits et légumes en plein air. Je n’avais pas le temps de m’y attarder, et me contentai de le longer sur l’un de ses côtés. Au débouché d’une allée, une femme-tronc, obèse, entre deux âges, apparut à ma vue. Elle reposait, à ras de cuisses, sur une planche à roulettes peinte en bleu clair, qu’elle faisait mouvoir à l’aide de ses mains enfouies dans des lambeaux de tissu, arborant sur son large poitrail des rangées de tickets de la Loterie nationale : vision inoubliable ! 

   À la poste, je trouvai une grande enveloppe à mon nom, avec la lettre de l’Idhec à l’intérieur. Mon ami Hector s’était chargé de me la faire suivre, alors que j’en avais fait la demande expresse à ma petite soeur Nelly ? 

   En revanche, aucun courrier pour Hélène. 

   Sur le chemin du retour vers la gare des autocars, je m’attardai un peu dans de petites ruelles plus sombres et plus populaires. 

   Je déjeunai à la terrasse d’un bistrot, dans un souk où étaient rassemblés plusieurs ateliers de chaudronnerie. Là, des enfants d’à peine plus de dix ans, à moitié nus, la peau noire de graisse, s’activaient en cadence malgré la brûlure des flammes du foyer où ils remodelaient la ferraille à grands coups de masses. 

   Tous présentaient un corps malingre, un visage flétri et un regard éteint, que soulignaient de larges cernes bleus. 

   Vers le milieu de l’après-midi, je pus prendre place dans l’autocar qui devait me reconduire dans les temps impartis à Bodrum. 

   Du moins, si le chauffeur, qui filait maintenant à toute vitesse, dépassant parfois inconsidérément sur la droite ou sur la gauche les camions et les voitures qui roulaient à une allure plus modérée, parvenait à nous ramener vivants à bon port ! 

   J’étais entouré d’une joyeuse population d’autochtones, de tous âges et de tous sexes, dont je notai que, parmi les mâles en capacité de la porter, j’étais le seul à ne pas arborer fièrement la moustache. 

   Devrais-je me la laisser pousser ? 

   Durant le voyage, j’eus tout loisir de relire la lettre de l’Idhec, que j’avais rapidement parcourue à la terrasse du café au souk des chaudronniers, et dont l’un des trois sujets proposés avait particulièrement retenu mon attention. 

   Elle était signée par le directeur des études, le cinéaste communiste Louis Daquin, dont j’avais pu voir à la cinémathèque Chaillot, l’hiver dernier, Le Point du jour : un film social, tourné quelques années après la Dernière Guerre mondiale, sur la vie quotidienne d'hommes et de femmes travaillant aux charbonnages du Nord et dans lequel l’acteur Michel Piccoli faisait sa première apparition au cinéma. 

   Le sujet qui m’intéressait nous proposait de retracer, sous la forme d’un synopsis détaillé, le portrait d’une célébrité, réelle ou imaginaire. Nous disposions d’une quinzaine de feuillets maximum pour rédiger la continuité séquentielle qui donnerait corps à un projet de film, que nous devions présenter par une « note d’intention » de trois pages. 

   Les idées commençaient à affluer dans ma cervelle et je disposais encore de six bonnes semaines pour leur donner corps. 

   À Bodrum, je retrouvai un Roger tout aussi maussade qu’à mon départ. Et quand j’informai discrètement Hélène que je n’avais rien pour elle, celle-ci me fit la tête à son tour, comme si j’en étais personnellement responsable ! 

   Dès ce moment-là, l’ambiance conviviale de la première moitié de notre croisière tourna sensiblement au vinaigre. 

   Le huis-clos que nous subissions sur le Senouire devenait de plus en plus pesant. 

   Après plus d’un mois d’amours flamboyantes avec Mathilde, ce grand échalas de Xavier manifesta une certaine lassitude à son endroit. Heureusement que Thierry, avec lequel je partageais la cabine, et que j’avais hâtivement classé dans la catégorie des petits bourgeois gâtés, se révéla à l’usage un compagnon plutôt facile à vivre. 

   Délaissant Mathilde, Xavier vint se joindre à nous plus souvent pour discuter, fumer une cigarette, jouer aux cartes, ou aller boire un pot dans les cafés lors des escales. 

   Les sites que nous découvrîmes étaient toujours aussi enchanteurs.

   Une nuit, dans les Cyclades, nous fûmes surpris par le Meltem, terrible vent d’août local, dont la force monta jusqu'à 8 sur l'échelle de Beaufort, déchiquetant impitoyablement la Grand voile, que nous n’avions pu remonter à temps, avant de poursuivre notre itinéraire à moteur. 

   Mais Roger, toujours aussi prévoyant, en conservait une de rechange dans ses soutes. C’était impressionnant de voir notre frêle esquif, submergé par les eaux rendues soudainement furieuses sous l‘effet de la tempête, ployer de façon inquiétante vers la mer. 

   Le Senouire avait la souplesse et l’agilité d’un roseau : il pliait mais se relevait toujours, droit sur sa quille. Dans ces moments agités – nous en connûmes plusieurs –, la nausée me revenait aussitôt. 

   Non, décidément, la mer n’était pas mon élément ! 

   Sur le bateau comme à terre, je m’octroyais de nombreux moments de solitude, au prétexte, bien réel, que j’avais un concours à préparer. 

   J’avais choisi de faire le portrait d’un personnage imaginaire : Jean Sénouire (avec un accent), écrivain célèbre, ex prix Goncourt, marié et père d’un petit garçon, qui s’était suicidé en pleine gloire, sans raisons apparentes. 

   Vingt ans plus tard, le petit garçon devenu grand, lui aussi écrivain, prénommé Jacques, veut savoir qui était réellement son père et connaître les motivations de son suicide. 

   Les divers témoignages qu’il recueille de la bouche des personnes qui l’ont côtoyé à l’époque, notamment sa mère, et qu’il retranscrit dans son livre enquête constitueraient la trame de notre scénario. 

   Grâce à ces pièces disparates du puzzle, le héros du film se révèlerait sous diverses facettes : tantôt blanc pour les uns, plutôt noir pour les autres. 

   Au cours de cette reconstitution biographique (à l’époque on ne parlait pas encore de biopic), on apprend que Jean Sénouire, qui n’apparaitra à l’écran qu’à travers quelques photos, gardait en secret son homosexualité : à l’époque de son suicide, il entretenait une liaison passionnée avec un jeune homme. 

   On comprend aussi que le vrai héros du film, celui que l’on voit à l’écran et qui lui sert de fil conducteur, c’est Jacques Sénouire, le fils du célèbre écrivain, qui pourrait bien être aussi le réalisateur et scénariste du film ? 

   Voilà l’histoire en abymes, qu’il me fallait mettre en mots tout en veillant à faire naître les images correspondantes dans l’esprit des distingués membres du jury de l’Idhec. 

   Au final, Jacques Sénouire, notre auteur-narrateur, exécuteur testamentaire de l’œuvre littéraire de son père et son unique héritier avec sa mère, avouait que, lui aussi, partageait une même attirance pour les hommes. 

   Le but suprême à atteindre, c’était que les membres du jury, à la lecture de mon « synopsis développé », devaient constamment se demander si c’était de la fiction ou un documentaire à caractère autobiographique. 




Les vertigineuses parois du canal de Corinthe.



   Nous passâmes à travers les impressionnantes parois du détroit de Corinthe et fîmes escale à Ithaque. 

   Tel Ulysse, il me tardait alors de regagner mon port d’attache ! 

   Coupant entre la Sicile et la Calabre à Messine, nous longeâmes les îles Lipari, que j’avais découvertes au cinéma l’hiver passé à Paris dans L'Avventura d’Antonioni. 

   Après la Sardaigne, la tension fut à son comble sur le Senouire. 

   Deux blocs monolithiques se tenaient maintenant face à face : celui que formait Roger, Hélène et Mathilde, d’un côté, et celui que Xavier, Thierry et moi avions constitué du nôtre.

   L’étincelle jaillit tandis que nous jouions aux cartes un soir au large de la Corse. En perdant un pli, Hélène eut un mot désobligeant à mon égard. Le ton monta rapidement. Tant et si bien que, dès la première heure le lendemain matin, nous fûmes débarqués tous les trois à Bastia. 





par Jacky Barozzi 02 mai, 2024
Adopté par Mimi, le Chartreux de Corine, l'amie de ma petite soeur Marinette, du côté de Flayosc. Séjour dans le Sud, entre Flayosc (Var) et Cannes (Alpes-Maritimes) du 17 au 30 avril 2024.
par Jacky Barozzi 08 avr., 2024
Sandrine, assisse au soleil sur un banc du square Trousseau , au faubourg Saint-Antoine, observait, tout en achevant d’avaler un sandwich, des enfants jouant dans l’aire de jeux, au milieu du grand bac à sable. Une jeune femme blonde d‘une vingtaine d’années et son compagnon, un beur du même âge, accompagnés de leur gamin, se dirigèrent vers le kiosque à musique, au centre du jardin. Là, ils s’installèrent sur les marches. Le père sortit une balle de son sac à dos et la donna au garçon, qui courut rejoindre les autres enfants dans l’aire de jeux voisine du kiosque. Sandrine alluma une cigarette et fuma voluptueusement, les yeux mi-clos, le visage offert aux rayons du soleil. Plongées dans ses rêves, elle fut soudain ramenée à la réalité par la voix d’une jeune femme : – Pourrais-je vous emprunter votre briquet, s’il-vous-plait ? Rouvrant les yeux, Sandrine découvrit la blonde du kiosque. Elle tira un briquet de son sac, posé à côté d’elle sur le banc, et le tendit en souriant à la mère du petit garçon. Sans plus de façon, celle-ci repartit jusqu’au kiosque où elle donna à son tour le briquet à son conjoint. Malgré la distance, Sandrine perçu toute l’action : le jeune homme chauffa une barrette de cannabis et se confectionna un joint, qu’il alluma, avant de rendre le briquet à sa compagne. Celle-ci revint en direction de Sandrine et lui redonna son briquet – Merci beaucoup, dit-elle. – Il n’y a pas de quoi, répondit Sandrine, toujours souriante. 
par Jacky Barozzi 23 mars, 2024
Connaissez-vous, au voisinage du bois de Vincennes, l’hôpital Esquirol de Saint-Maurice ? Un haut-lieu de vie et de mémoire, qui vaut le détour ! Durant douze siècles, Saint-Maurice se dénomma Charenton-Saint-Maurice, jusqu’à ce qu’une ordonnance royale de Louis Philippe, du 25 décembre 1842, lui permit de n’en conserver que sa seule appellation dernière. Officiellement, pour la distinguer de la commune voisine, qui prit le nom de Charenton-le-Pont en 1810. En réalité, c’est parce que les habitants, du fait de la trop grande renommée de l’asile de Charenton, et trouvant qu’ils avaient de plus en plus de mal à marier leurs filles, voulurent, à défaut de se débarrasser de l’asile, en effacer le nom. Voilà pourquoi l’ancien asile de Charenton, devenu l’hôpital Esquirol, ne se trouve pas sur la commune de Charenton, mais sur celle de Saint-Maurice.
par Jacky Barozzi 12 mars, 2024
JARDIN DES PLANTES - 1633 5° arr., place Valhubert, rue Buffon, rue Geoffroy-Saint- Hilaire, rue Cuvier, M° Gare-d’Austerlitz, Jussieu ou Place-Monge C’est en 1614 que Guy de La Brosse, médecin ordinaire de Louis XIII, soumet à Jean Héroard, Premier médecin du roi, son projet de création d’un jardin où l’on cultiverait « toutes sortes d’herbes médicinales ». Il faut dire que les travaux des botanistes du XVI° siècle avaient attiré l’attention sur cette science nouvelle. Après la création du Jardin des plantes de Montpellier, en 1593, qui est le premier fondé en France, Henri IV et Sully songèrent à en établir un semblable à Paris qui possédait seulement un petit jardin de simples planté par l’apothicaire Nicolas Houel pour l’école des Apothicaires de la rue de l’Arbalète. L’édit de fondation du «Jardin royal des plantes médicinales » est promulgué en 1626 mais il reste encore à lui trouver un emplacement ! C’est Guy de La Brosse qui, en 1633, s’occupe de l’acquisition d’un vaste terrain, le clos Coypeau, situé au sud de l’abbaye Saint-Victor. D’une surface représentant environ le quart de sa superficie actuelle (qui est de 24 hectares), le jardin est séparé de la Seine par un entrepôt de bois et bordé de l’autre côté (vers l’actuelle rue Geoffroy-Saint-Hilaire) par des buttes artificielles faites de détritus et de gravats de construction. Guy de La Brosse s’attache immédiatement à aménager cette propriété royale, dont il est nommé intendant en 1635, pour en faire une école de botanique et d’histoire naturelle. L’espace est compartimenté en quatre zones distinctes, séparées par deux allées se coupant à angle droit. L’on y cultive des plantes usuelles, des arbres fruitiers, des arbustes et des plantes aquatiques. Sur les pentes des buttes artificielles qui bornent le jardin, Guy de La Brosse aménage un labyrinthe. En 1636, Vespasien Robin, démonstrateur en botanique, plante le robinier ou faux-acacia à partir d’un rejet dont son père Jean Robin, chargé du Jardin du roi dans l’île de la Cité (emplacement de la place Dauphine), se serait procuré les graines par l’intermédiaire d’un pépiniériste anglais. Le robinier du Jardin des plantes fut longtemps le deuxième plus vieil arbre de Paris, après le robinier du square René-Viviani planté vers 1601 par Jean Robin. Il est aujourd’hui mort et il ne reste qu’un tronc avec des rejets (extrémité ouest de la galerie de botanique) mais celui du square René-Viviani, avec ses 20 mètres de hauteur et ses 4 mètres de circonférence, existe toujours, soutenu par des étais. Dès 1640, le jardin est ouvert au public et, à la mort de son fondateur, l’année suivante, il compte 1 800 plants différents. C’est désormais le « Jardin du roi », développé à partir de 1693 par Fagon, Premier médecin de Louis XIV, puis par le botaniste Tournefort, qui plante l’érable de Crète en 1702 (labyrinthe, côté bibliothèque), et les trois frères de Jussieu qui parcourent le monde à la recherche de nouvelles espèces rares. C’est ainsi que Bernard de Jussieu rapporta d’Angleterre, en 1734, deux cèdres du Liban dont l’un subsiste sur les pentes du grand labyrinthe ; c’est lui aussi qui plantera en 1747 le premier pied de Sophora, qui provenait de Chine (devant la galerie de minéralogie). Entre 1732 et 1739 sont créées les premières serres chaudes françaises, pour abriter des plantes exotiques. Nommé intendant du Jardin du roi en 1739, Georges- Louis de Buffon le restera jusqu’à sa mort, en 1788. Il sut s’entourer des meilleurs savants, parmi lesquels les naturalistes Louis Daubenton (une colonne signale sa tombe près du sommet du labyrinthe) et Jean-Baptiste de Lamarck et le botaniste Antoine-Laurent de Jussieu, neveu des trois frères. Pour le jardin, il s’adjoignit les services d’André Thouin, nommé jardinier en chef en 1764, et pour la construction des bâtiments, ceux de l’architecte Edme Verniquet. C’est sous la direction de Buffon que le Jardin du roi va connaître son plus bel essor. L’intendant y habite, dans la maison dite « de Buffon » située dans l’angle sud-ouest du jardin (actuelle librairie).
par Jacky Barozzi 01 mars, 2024
Fontaine Hydrorrhage Jardin Tino-Rossi, quai Saint-Bernard (5e arr.) Métro : Gare d’Austerlitz ou Jussieu Transformé en jardin entre 1975 et 1980, le quai Saint-Bernard constitue désormais une belle promenade, entre les ponts d’Austerlitz et de Sully. C’est là qu’a été installé le musée de Sculptures en plein air de la Ville de Paris, consacré essentiellement aux œuvres de la seconde moitié du XXe siècle. Au centre, un rond-point constitué d’une succession de bassins semi-circulaires, abrite une bien singulière fontaine. Baptisée Hydrorrhage , celle-ci a été réalisée en 1975-1977 par l’architecte Daniel Badani et le sculpteur Jean-Robert Ipoustéguy. Derrière une imposante armure en forme de bouclier, on découvre un homme nu, harnaché d’un attirail relevant proprement de l’iconographie sado-masochiste, et suçotant une sorte de gland tout en se livrant à la masturbation ! Cette audacieuse œuvre, contemporaine de l’époque de la libération sexuelle, semble avoir dépassée les souhaits de son commanditaire. La municipalité a en effet récemment entouré d’un grillage et d’une haie d’arbustes l’ensemble des bassins, empêchant le visiteur de se rapprocher de cette fontaine, autrefois de plain-pied, et en a pudiquement détourné la gerbe principale, qui jaillissait du sexe du personnage et retombait dans le premier bassin depuis le gros tuyau recourbé au centre du bouclier, pour le remplacer par les deux inoffensifs jets d’eau du bassin, situés de part et d’autre du groupe en bronze. 
par Jacky Barozzi 29 févr., 2024
La Lutèce gallo-romaine reconstituée. JARDIN DES ARENES DE LUTECE ET SQUARE CAPITAN - 1892 5° arr., rue de Navarre, rue des Arènes, rue Monge, M° Place-Monge La Lutèce gallo-romaine, qui voit se reconstruire l’île de la Cité, se développe sur la rive gauche, à l’abri des inondations. Là, sur les pentes de la montagne Sainte- Geneviève, s’établit une cité à la romaine, de part et d’autre de la voie principale, le cardo, dont on retrouve le tracé dans la rue Saint-Jacques. Un peu à l’écart, adossé au versant oriental de la colline, est construit vers la fin du Ier siècle après J.-C. un édifice, connu sous le nom d’Arènes de Lutèce, qui servait en réalité tout aussi bien pour les jeux du cirque que pour les représentations théâtrales, comme en témoigne la scène qui vient interrompre les gradins sur un côté.
par Jacky Barozzi 25 févr., 2024
I nlassable piéton de Paris, pour lequel les errances dans la capitale furent longtemps le prétexte à ranimer son imaginaire mémoriel, Patrick Modiano serait-il brusquement rattrapé par le principe de réalité ? Dans son dernier roman, « La Danseuse », un récit de moins de cent pages, aux chapitres particulièrement aérés, il nous conte l’histoire d’une danseuse, jamais autrement nommée dans le livre, et de son jeune fils Pierre, rencontrés un demi siècle plus tôt. Situé en grande partie entre la Place Clichy (9e arr.) et la Porte de Champerret (17e arr.), ce court texte est ponctué de plusieurs paragraphes où le présent s’invite comme jamais auparavant dans les romans de notre auteur récemment nobélisé : « Qu’étaient devenus la danseuse et Pierre, et ceux que j’avais croisés à la même époque ? Voilà une question que je me posais souvent depuis près de cinquante ans et qui était restée jusque-là sans réponse. Et, soudain, ce 8 janvier 2023, il me sembla que cela n’avait plus aucune importance. Ni la danseuse ni Pierre n’appartenaient au passé mais dans un présent éternel. » Ici, le narrateur ne reconnait plus le Paris de sa jeunesse et s’y sent désormais étranger. Une ville où les Parisiens ont été remplacés par les touristes et où la nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Une ville : « qui avait à ce point changé qu’elle ne m’évoquait plus aucun souvenir. Une ville étrangère. Elle ressemblait à un grand parc d’attraction ou à l’espace « duty-free » d’un aéroport. Beaucoup de monde dans les rues, comme je n’en avais jamais vu auparavant. Les passants marchaient par groupes d’une dizaine de personnes, traînant des valises à roulettes et la plupart portant des sacs à dos. D’où venaient ces centaines de milliers de touristes dont on se demandait s’ils n’étaient pas les seuls, désormais, à peupler les rues de Paris ? » Tandis que le narrateur traverse le boulevard Raspail (Patrick Modiano réside aujourd’hui dans le 6e arr.), il croise un fantôme du passé : « Je reconnus aussitôt Verzini. Et j’éprouvai un brusque malaise, celui d’être en présence de quelqu’un que je croyais mort depuis longtemps. » Après l’avoir accosté, les deux hommes décident de se réfugier dans un café, à l’angle du boulevard et de la rue du Cherche-Midi : « Nous étions assis à une table, l’un en face de l’autre, seuls dans la salle, ce qui m’étonnait. Depuis quelques temps, les cafés et les restaurants étaient bondés. Devant la plupart d’entre eux, il y avait même des files d’attente. » Le narrateur précisant : « Derrière la vitre, je voyais passer les groupes de touristes habituels depuis quelques mois, sac au dos et traînant leurs valises à roulettes. La plupart portaient des shorts, des tee-shirts et des casquettes de toile à visière. Aucun d’entre eux ne pénétrait dans le café où nous étions, comme si celui-ci appartenait encore à un autre temps qui le préservait de cette foule. » Et ajoutant, au moment où le narrateur et Verzini se séparent sur le trottoir : « Dehors, nous étions bousculés par le flot des touristes. Ils avançaient par groupes compacts et vous barraient le chemin. ''Nous reprendrons peut-être un jour notre conversation, me dit-il. C’est si loin, tout ça… Mais j’essaierai quand même de me souvenir…'' Il eut le temps de me faire un signe du bras avant d’être entraîné et de se perdre dans cette armée en déroute qui encombrait le boulevard. » Le narrateur ou Modiano lui-même, avouant, plus loin : « Nous vivions des temps difficiles depuis trois ans, comme je n’en avais jamais connu de ma vie. Et le monde avait changé si vite autour de moi que je m’y sentais un étranger. » Alors, texte testamentaire de notre auteur national, dans un Paris post covidien et de plus en plus airbnbisé ? Seul, l’avenir nous le dira…
par Jacky Barozzi 20 févr., 2024
12e arrondissement Musée des Arts forains 53, avenue des Terroirs de France Tél. : 01 43 40 16 22 Métro : Cour Saint-Émilion http://www.arts-forains.com
par Jacky Barozzi 20 févr., 2024
PARC DES BUTTES-CHAUMONT - 1867 19° arr., rue Manin, rue de Crimée, rue Botzaris, M° Buttes- Chaumont ou Botzaris Entre Belleville et La Villette, la butte de Chaumont, du latin calvus mons ou mont chauve, est de tout temps une colline aride et dénudée dont le sol calcaire interdit toute agriculture. Des moulins apparaissent dès le XVI° siècle sur les hauteurs de Belleville et de La Villette et on en dénombre six à la fin du XVII°sur la butte de Chaumont. A partir du XVIII° siècle, le gypse du sous-sol est exploité pour fournir de la pierre à plâtre destinée à la construction. Cette extraction, qui se fait en souterrain, entraîne des affaissements du terrain et, à la suite d’effondrements meurtriers, l’exploitation souterraine est interdite en 1779. Les carrières à plâtre sont détruites et comblées par éboulement mais l’exploitation va se poursuivre à ciel ouvert, de plus en plus intensive dans le premier tiers du XIX° siècle. En 1851, la carrière dite de l’Amérique, l’une des plus importantes, quasiment épuisée, est fermée. Le site offre à cette époque un aspect véritablement désolé. Aux pieds de la butte, du côté de La Villette, se trouve depuis la fin du XVIII° siècle le plus grand dépotoir d’ordures de la capitale, qui sert aussi pour l’équarrissage des chevaux. La nuit, les anciennes carrières sont le refuge des clochards et des rôdeurs. 
par Jacky Barozzi 18 févr., 2024
PARC FLORAL DE PARIS 1969 12° arr., bois de Vincennes, esplanade Saint-Louis, route de la Pyramide, M° Château-de-Vincennes. Entrée payante Le Parc floral a été inauguré en 1969 à l’occasion des Troisièmes Floralies internationales de Paris. Les deux premières éditions s’étaient tenues en 1959 et 1964 au Centre national des Industries et des Techniques (CNIT) de La Défense et le succès qu’elles avaient remporté avaient conduit les organisateurs à rechercher un emplacement mieux adapté. C’est ainsi que le Conseil de Paris décida en 1966 d’implanter ce nouveau “Parc d’activités culturelles de plein air” dans le bois de Vincennes, sur des terrains qui avaient été occupés par les anciens établissements militaires de la Pyramide et de la Cartoucherie. L’objectif était double : accueillir les Troisièmes Floralies internationales de Paris, qui seraient suivies d’autres expositions temporaires, mais aussi profiter de l’engouement pour l’art floral manifesté par le grand public pour le sensibiliser à l’art contemporain en exposant des œuvres en plein air. 
Share by: