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JACQUES BAROZZI





JE(U)

Roman intertextuel








INTRODUCTION




« Je ne lis plus que des morceaux choisis de littérature française.

J’aurais seulement voulu les choisir moi-même. »

JULES RENARD





J’ai longtemps caressé l’idée de signer un livre dont je n’aurais pas écrit une seule ligne.

De préférence un roman, où le Je serait les autres. Et où le Je serait en jeu.

Reconstitué à partir de cent fragments puisés dans les tréfonds de ma bibliothèque idéale et ajustés de manière à donner naissance, telles les pièces d’un puzzle, à une oeuvre originale, ce JE(U) que je soumets à la sagacité du lecteur, résultat d’une contrainte oulipienne poussée à l’extrême, n’en demeure pas moins un roman, mon roman.

Un certain degré de lecture ne vaut-il pas écriture ?

Et tout n’a-t-il pas déjà été dit et mieux que nous ne saurions le faire ?

J’ai veillé à replacer sous le Je du narrateur des paroles, des sensations, des pensées, des souvenirs parfaitement semblables aux miens et que j’avais reconnus pour tels à leur lecture. 

Ici, la fiction n’est plus le moteur du roman.

Ici, la transposition s’opère essentiellement à travers les masques d’emprunts d’auteurs de divers lieux et époques ainsi que les extraits sélectionnés de manière plus ou moins consciente, intuitive, puisés principalement dans la littérature du Je : journaux, correspondances, essais, textes autobiographiques… donnant ainsi au texte définitif les allures d’une autofiction, plus réelle qu’imaginaire, plus authentique.

Qu’on ne s’y trompe pas, cependant…

Il s’agit toujours de fiction.

Une oeuvre de fiction anthologique et interactive de surcroit, auquel le lecteur est invité à participer activement.

Outre le fait de jouer à identifier les morceaux choisis, dont il trouvera les références en fin d’ouvrage, rien ne l’empêcherait par ailleurs de se livrer à un exercice similaire et de confectionner, sur le même principe, son propre JE(U).







AVERTISSEMENT



Il est très vraisemblable que beaucoup ne s’apercevront point que ce qui va suivre soit très beau ; et à supposer qu’une ou deux choses les intéressent, il se peut aussi qu’ils ne croient point qu’elles leur aient été suggérées exprès. 

Suggérer au lieu de dire, faire dans la route des phrases un carrefour de tous les mots. 

Comme des productions de la nature, auxquelles faussement on a comparé l’oeuvre seule du génie, la dissection indéfinie exhume toujours des oeuvres quelque chose de nouveau. 

Et celle-ci aux superficiels d’abord est plus belle, car la diversité des sens attribuables est surpassante, la verbalité libre de tout chapelet se choisit plus tintante. Mais voici le critère pour distinguer cette obscurité, chaos facile de l’Autre, simplicité condensée, diamant du charbon, oeuvre unique faite de toutes les oeuvres possibles offertes à tous les yeux encerclant le phare argus de la périphérie de nôtre crâne sphérique : en celle-ci, le rapport de la phrase verbale à tout sens qu’on y puisse trouver est constant ; en celle-là, indéfiniment varié. 


1 - Pour employer mes loisirs dans cette terre étrangère, j’ai envie d’écrire un petit mémoire de ce qui m’est arrivé. Je me gronde moi-même pour entreprendre un travail quelconque. Sans travail, le vaisseau de la vie humaine n’a point de lest. J’avoue que le courage d’écrire me manquerait si je n’avais pas l’idée qu’un jour ces feuilles paraîtront imprimées et seront lues par quelque âme que j’aime.

Ai-je tiré tout le parti possible pour mon bonheur des positions où le hasard m’a placé ? Quel homme suis-je ? Ai-je du bon sens, ai-je du bon sens avec profondeur ?

Ai-je un esprit remarquable ? En vérité je n’en sais rien. Ému par ce qui m’arrive au jour le jour, je pense rarement à ces questions fondamentales, et alors mes jugements varient comme mon humeur. Mes jugements ne sont que des aperçus.

Voyons si, en faisant mon examen de conscience la plume à la main, j’arriverai à quelque chose de positif et qui reste longtemps vrai pour moi. Que penserai-je de ce que je me sens disposé à écrire en le relisant ? Sera-ce comme pour mes ouvrages imprimés ? J’ai un profond sentiment de tristesse quand, faute d’autre livre, je les relis.

Je sens, depuis un mois que j’y pense, une répugnance réelle à écrire uniquement pour parler de moi, du nombre de mes chemises, de mes accidents d’amour-propre. D’un autre côté, je me trouve loin de la France ; j’ai lu tous les livres amusants qui ont pénétré en ce pays.

Ma principale objection n’était pas la vanité qu’il y a à écrire sa vie. Un livre sur un tel sujet est comme tous les autres ; on l’oublie bien vite, s’il est ennuyeux.

Je suis profondément convaincu que le seul antidote qui puisse faire oublier au lecteur les éternels Je que l’auteur va écrire, c’est une parfaite sincérité.

Aurai-je le courage de raconter les choses humiliantes sans les sauver par des préfaces infinies ? Je l’espère.


2 - Jamais, dans mes voyages, je n’avais poussé jusqu’à Adelma. C’était la tombée de la nuit lorsque j’y débarquai. Sur le quai, le marin qui saisit la corde au vol et l’enroula à la bitte ressemblait à un homme qui avait été soldat avec moi, et qui était mort. C’était l’heure du marché de gros.

Une marchande de quatre-saisons pesait un chou frisé sur une balance romaine et le plaçait dans un panier suspendu à une corde qu’une jeune fille faisait descendre d’un balcon. La demoiselle était semblable à une fille de mon pays qui était folle d’amour et s’était suicidée. La marchande leva son visage : c’était ma grand-mère.

Je pensai : « Peut-être qu’Adelma est la ville où l’on arrive quand on meurt et où chacun retrouve ceux qu’il a connu. C’est signe que moi aussi je suis mort. »


3 - Je suis né le 25 décembre 0000. Mon père était, dit-on, ouvrier charpentier. Peu de temps après ma naissance, les gentils ne le furent pas et l’on dut se réfugier en Égypte. C’est ainsi que j’appris que j’étais juif et c’est dans ces conditions dramatiques qu’il faut voir l’origine de ma ferme décision de ne pas le rester. Vous connaissez la suite…


4 - J’avais des conciliabules avec le Saint-Esprit : « Tu écriras » me disait-il. Et moi je me tordais les mains : « Qu’ai-je donc, Seigneur, pour que vous m’ayez choisi ? - Rien de particulier. - Alors, pourquoi moi ? - Sans raison. - Ai-je au moins quelques facilités de plume ? - Aucune. Crois-tu que les grandes oeuvres naissent des plumes faciles ? - Seigneur, puisque je suis si nul, comment pourrais-je faire un livre ? - En t’appliquant. - N’importe qui peut donc écrire ? - N’importe qui, mais c’est toi que j’ai choisi. »


5 - Dès la sortie de mon premier ouvrage d’affabulation, on a commencé à remarquer que je n’existais pas vraiment et que j’étais sans doute fictif. On a même supposé que j’étais un ouvrage collectif.

C’est exact. Je suis une oeuvre collective, avec ou sans préméditation, je ne puis encore vous le dire. Á première vue, je ne me crois pas assez de talent pour imaginer qu’il pût y avoir préméditation.


6 - Sait-on si l’on est, ou non, aimé ? S’il advient qu’on le soit, l’est-on sans ce que l’on estime être l’excellence de soi ? Est-on mieux connu de ceux qui nous aiment que de ceux qui nous détestent ? Peut-être nous révélons-nous davantage à ceux qui nous sont indifférents, étant avec eux plus libres, plus conformes à une permanente vérité de nous-mêmes ; exempts que nous sommes du soin de nous les gagner ou de nous en faire redouter.


7 - Nous ne nous tenons jamais au temps présent.

Que chacun examine ses pensées. Il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir. Nous ne pensons presque jamais au présent, et si nous y pensons ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin. Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux il est inévitable que nous ne le soyons jamais.


8 - Un soir, il me posa cette question : « Quand on est mort, crois-tu que ce soit la fin de tout ? »

Le mystère de la mort, j’y pense chaque jour, mais je n’étais pas encore à même de fournir à mon père le renseignement demandé. Pour lui faire plaisir, j’étalai la foi la plus rassurante :

- Je crois que le plaisir survit, tandis que la douleur n’est plus nécessaire. La décomposition pourrait rappeler le plaisir sexuel. Á coup sûr, elle s’accompagne d’un sentiment de félicité et de détente, puisque c’est l’effort pour se recomposer sans cesse qui fatigue l’organisme. La dissolution serait ainsi la récompense de la vie !

Je n’eus aucun succès. Nous étions encore à table, après dîner. Mon père se leva sans un mot, vida son verre et dit : « Ce n’est pas le moment de philosopher, surtout avec toi. »


9 - Être connu n’est pas ma principale affaire. Cela ne satisfait entièrement que les très médiocres vanités. D’ailleurs, sur ce chapitre même, sait-on jamais à quoi s’en tenir ? La célébrité la plus complète ne vous assouvit point et l’on meurt presque toujours dans l’incertitude de son propre nom, à moins d’être un sot. Donc l’illustration ne vous classe pas plus à vos propres yeux que l’obscurité.

Je vise à mieux, à me plaire.

Le succès me parait être un résultat et non pas le but. Or j’y marche, vers ce but, et depuis longtemps il me semble, sans broncher d’une semelle, ni m’arrêter au bord de la route pour faire la cour aux dames ou dormir sur l’herbette. 


10 - Mon père n’était pas seulement un homme d’honneur, c’était un homme d’une probité sûre, et il avait une de ces âmes fortes qui font les grandes vertus ; de plus, il était bon père, surtout pour moi. Il m’aimait très tendrement ; mais il aimait aussi les plaisirs, et d’autres goûts avaient un peu attiédi l’affection paternelle depuis que je vivais loin de lui.

Cette conduite d’un père dont j’ai si bien connu la tendresse et la vertu m’a fait faire des réflexions sur moi-même qui n’ont pas peu contribué à me maintenir le coeur sain. J’en ai tiré cette grande maxime de morale, la seule peut-être d’usage dans la pratique, d’éviter les situations qui mettent nos devoirs en opposition avec nos intérêts, et qui nous montrent notre bien dans le mal d’autrui, sûr que, dans de telles situations, quelque sincère amour de la vertu qu’on y porte, on faiblit tôt ou tard sans s’en apercevoir, et l’on devient injuste et méchant dans le fait, sans avoir cessé d’être juste et bon dans l’âme.

Cette maxime fortement imprimée au fond de mon coeur, et mise en pratique, quoiqu’un peu tard, dans toute ma conduite, est une de celles qui m’ont donné l’air le plus bizarre et le plus fou dans le public, et surtout parmi mes connaissances. On m’a imputé de vouloir être original et faire autrement que les autres. En vérité, je ne songeais guère à faire ni comme les autres ni autrement qu’eux. Je désirais sincèrement de faire ce qui était bien. 


11 - Ma mère, douée de beaucoup d’esprit et d’une imagination prodigieuse, avait de grands traits, était noire, petite et laide ; l’élégance de ses manières, l’allure vive de son humeur contrastaient avec la rigidité et le calme de mon père. Aimant la société autant qu’il aimait la solitude, aussi pétulante et animée qu’il était immobile et froid, elle n’avait pas un goût qui ne fût opposé à ceux de son mari. La contrariété qu’elle éprouva la rendit mélancolique, de légère et gaie qu’elle était. Obligée de se taire quand elle eût voulu parler, elle s’en dédommageait par une espèce de tristesse bruyante entrecoupée de soupirs, qui interrompaient seuls la tristesse muette de mon père. Pour la piété, ma mère était un ange.


12 - Ma mère ne parut pas très satisfaite que mon père ne songeât plus pour moi à la « carrière ». Je crois que, soucieuse avant tout qu’une règle d’existence disciplinât les caprices de mes nerfs, ce qu’elle regrettait, c’était moins de me voir renoncer à la diplomatie que m’adonner à la littérature. 

« Mais laisse donc, s’écria mon père, il faut avant tout prendre du plaisir à ce qu’on fait. Or, il n’est plus un enfant. Il sait bien maintenant ce qu’il aime, il est peu probable qu’il change, et il est capable de se rendre compte de ce qui le rendra heureux dans l’existence. » 

En attendant que, grâce à la liberté qu’elles m’octroyaient, je fusse, ou non, heureux dans l’existence, les paroles de mon père me firent ce soir-là bien de la peine. De tout temps ses gentillesses imprévues m’avaient, quand elles se produisaient, donné une telle envie d’embrasser au-dessus de sa barbe ses joues colorées que si je n’y cédais pas, c’était seulement par peur de lui déplaire. 

Aujourd’hui, comme un auteur s’effraye de voir ses propres rêveries qui lui paraissent sans grande valeur parce qu’il ne les sépare pas de lui-même, obliger un éditeur à choisir un papier, à employer des caractères peut-être trop beaux pour elles, je me demandais si mon désir d’écrire était quelque chose d’assez important pour que mon père dépensât à cause de cela tant de bonté. 


13 - Un par un, le roman a découvert, à sa propre façon, par sa propre logique, les différents aspects de l’existence : avec les contemporains de Cervantes, il se demande ce qu’est l’aventure ; avec Samuel Richardson, il commence à examiner « ce qui se passe à l’intérieur », à dévoiler la vie secrète des sentiments ; avec Balzac, il découvre l’enracinement de l’homme dans l’Histoire ; avec Flaubert, il explore la terra jusqu’alors incognita du quotidien ; avec Tolstoï, il se penche sur l’intervention de l’irrationnel dans les décisions et le comportement humains. Il sonde le temps : l’insaisissable moment passé avec Marcel Proust ; l’insaisissable moment présent avec James Joyce. Il interroge, avec Thomas Mann, le rôle des mythes qui, venus du fond des temps, téléguident nos pas. 

J’y ajoute encore ceci : le roman est l’oeuvre de l’Europe ; ses découvertes, quoique effectuées dans des langues différentes, appartiennent à l’Europe toute entière. La succession des découvertes (et non pas l’addition de ce qui a été écrit) fait l’histoire du roman européen. 


14 - J’écris ces pages comme on rédige un constat ou un curriculum vitae, à titre documentaire et sans doute pour en finir avec une vie qui n’était pas la mienne. Il ne s’agit que d’une simple pellicule de faits et de gestes. Je n’ai rien à confesser ni à élucider et je n’éprouve aucun goût pour l’introspection et les examens de conscience. Au contraire, plus les choses demeuraient obscures et mystérieuses, plus je leur portais de l’intérêt. Et même, j’essayais de trouver du mystère à ce qui n’en avait aucun. Les évènements que j’évoquerai jusqu’à ma vingt et unième année, je les ai vécus en transparence - ce procédé qui consiste à faire défiler en arrière-plan des paysages, alors que les acteurs restent immobiles sur un plateau de studio. Je voudrais traduire cette impression que beaucoup d’autres ont ressentie avant moi : tout défilait en transparence et je ne pouvais pas encore vivre ma vie.


15 - Je vais vous mettre les points sur les i ! Écoutez bien ce que je vous annonce : les écrivains d’aujourd’hui ne savent pas encore que le cinéma existe !… et que le cinéma a rendu leur façon d’écrire inutile…

- Comment ? comment ?

- Parce que leurs romans gagneraient beaucoup, gagneraient tout, à être repris par un cinéaste… leurs romans ne sont plus que des scénarios, plus ou moins commerciaux, en mal de cinéastes !… le cinéma a pour lui tout ce qui manque à leurs romans : le mouvement, les paysages, le pittoresque, les belles poupées, à poil, sans poil, les Tarzan, les éphèbes, les lions, les jeux du Cirque à s’y méprendre ! Les jeux de boudoir à s’en damner ! La psychologie !… les crimes à la veux-tu voilà !… des orgies de

voyages ! comme si on y était ! 


16 Il y a là un jeu sérieux, qu’on aura peut-être un jour l’idée d’examiner de près, pour mesurer la marge qui existe entre le réel et l’inventé. Le travail du romancier gomme pour ainsi cette marge, afin de ne laisser qu’une image détachée de lui ou de ses modèles, de ses pilotis. Une image nette, un trait précis. Or, il m’est arrivé, réfléchissant sur cette technique, de prendre goût aux mauvaises épreuves de la photographie, celles où l’on voit à la fois les pilotis et les personnages, où parce que le cliché est bougé, il y a deux ou plusieurs silhouettes qui se chevauchent, et la réalité, précisément la réalité, donne à l’écrit des allures de fantôme. Et cela ne se borne pas au dessin : la lumière peut aussi varier, changeant les rapports, le roman est mal viré, comme l’épreuve. Et par là, plus réel, moins posé, plus loin de l’art du photographe, sans ses horribles retouches. Avec ces simplifications de plan qui le rapprochent de la peinture, d’une main, et cette poésie de matière, d’une matière fausse, qui le rend plus vrai. Et à ce point de réflexion, j’aurais l’envie d’ajouter que c’est de là que vient l’allure rêvée dans le roman, ce qui lui donne pouvoir sur l’imagination du lecteur à venir, lequel sait de moins en moins de quoi nous lui parlons, pour qui tout prend dans le meilleur des cas le caractère de l’image scolaire, de l’Épinal historique. 


17 - J’allumerai la lampe des songes : je descendrai dans l’abîme. Le feu sourd éclairera ma recherche. Je retrouverai le grand être endormi. Mirage des secrètes profondeurs ! Peut-être l’éclat s’en voudra-t-il une fois sur mes prunelles conserver. J’entends un cœur qui bat vers le centre de mon rêve ; peut-être le mien en saura-t-il une fois recueillir le rythme.

Et cette parole, acclamation étouffée, que profèrent tant d’invisibles bouches, peut-être une fois sur mes lèvres laissera-t-elle son goût survivre. Ce sera ma métaphysique. 


18 - Jamais personne ne peut tout dire, ni être totalement honnête : il y a aussi une mystification de la structure, acceptée universellement par consentement tacite. Le dit est réglé par le non-dit, le témoignage par la réticence ; le sentiment civique par la solidarité. Ce n’est qu’en se fondant sur ce qui n’est pas forme, que la forme est telle. Et l’exclusion de la forme est toujours un projet, un calcul. Malheureusement, au consentement tacite j’oppose la verbalité de ma faute : je ne sais pas faire semblant de créer un objet, un mystère. Mais celui-ci se créera, j’espère, dans la tête du lecteur, que je prie précisément à présent d’accepter mes confidences. 


19 - Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? 

C’est surtout de la fréquentation des villes énormes, c’est du croisement de leur innombrables rapports que naît cet idéal obsédant.


20 - Des rêves ! toujours des rêves ! et plus l’âme est ambitieuse et délicate, plus les rêves l’éloignent du possible. Chaque homme porte en lui sa dose d’opium naturel, incessamment sécrétée et renouvelée, et, de la naissance à la mort, combien comptons-nous d’heures remplies par la jouissance positive, par l’action réussie et décidée ? Vivrons-nous jamais, passerons-nous jamais dans ce tableau qu’à peint mon esprit, ce tableau qui te ressemble ? 


21 - Afin de compenser la perte irrémédiable que vous avez faite de votre âme, je vous donne l’enjeu que vous auriez gagné si le sort avait été pour vous, c’est-à-dire la possibilité de soulager et de vaincre, pendant toute votre vie, cette bizarre affection de l’Ennui, qui est la source de toutes vos maladies de tous vos misérables progrès.


22 - Je suis habité ; je parle à qui-je-fus et qui-je-fus me parlent. Parfois, j’éprouve une gêne comme si j’étais étranger. Ils font à présent toute une société et il vient de m’arriver que je ne m’entends plus moi-même.

« Allons leur dis-je, j’ai réglé ma vie, je ne puis plus prêter l’oreille à vos discours. Á chacun son morceau du temps : vous fûtes, je suis. Je travaille, je fais un roman. Comprenez-le. Allez-vous-en. »


23 - Á l’âge où, par inexpérience, on prend goût à la philosophie, je décidai de faire une thèse comme tout le monde. Quel sujet choisir ? J’en voulais un à la fois rebattu et insolite. Lorsque je crus l’avoir trouvé, je me hâtai de le communiquer à mon maître.

- Que penseriez-vous d’une Théorie générale des larmes ? Je me sens de taille à y travailler.

- C’est possible me dit-il, mais vous aurez fort à faire pour trouver une bibliographie.

- Qu’à cela ne tienne. L’Histoire tout entière m’appuiera de son autorité, lui répondis-je d’un ton d’impertinence et de triomphe.

Mais comme, impatient, il me jetait un regard de dédain, je résolus sur le coup de tuer en moi le disciple.


24 - Nous ne sommes entourés que d’idiots, de profiteurs et de lâches qui n’ont jamais voulu entendre leur coeur, et ceux qui comme vous ont un coeur, comme vous et moi ont un coeur, se le voient à tout instant glisser dans le gouffre de l’immortelle bêtise qui ne cesse de nous asphyxier et le vomissement impur de la bêtise m’oblige à me boucher le nez devant l’azur.


Car l’âme de l’homme actuel est prisonnière d’un mauvais corps qui lui interdit toute poésie, et le force à vivre sous le carcan irrémissible des lois, qu’elles soient d’armée, de police, d’église, de justice ou d’administration. 


25 - Si j’ai écrit des livres, c’est que j’ai espéré par des livres mettre fin à tout cela. Si j’ai écrit des romans, les romans sont nés au moment où les mots ont commencé de reculer devant la vérité. Je ne crains pas de livrer un secret. Mais les mots, jusqu’à maintenant, ont été plus faibles et plus rusés que je n’aurais voulu. Cette ruse, je le sais, est un avertissement. Il serait plus noble de laisser la vérité en paix. Il serait extrêmement utile à la vérité de ne pas se découvrir. Mais, à présent, j’espère en finir bientôt. En finir, cela aussi est noble et important.


26 - En rêve, il semble que je n’ai toujours pas appris que je prends de l’âge. Je ne sais pas quel âge j’ai. Aucune référence à ce sujet, et ainsi suis-je ordinairement à mon réveil sans âge. Toutefois, pas enfant, et plus qu’adolescent. Ce n’est pas plus précis. Il faut que je m’enfonce dans la journée, pour faire les nécessaires rectifications. 


En rêve, simplement je suis. Je vis « actuel », un sempiternel actuel. Il n’y a guère de « plus tard », et juste ce qu’il faut d’ « auparavant » pour qu’il y ait cet « à présent » que je vis, ou auquel j’assiste.


27 - Un lecteur attentif comprendra sans doute qu’il ressort de ce qui précède que dans le témoignage que je m’apprête à faire, je fus témoin, et non acteur. Je ne suis pas le héros de mon histoire. Je n’en suis pas non plus exactement le chantre. Même si les évènements que j’ai vus ont bouleversé le cours, jusqu’alors insignifiant, de mon existence, même s’ils pèsent encore de tout leur poids sur mon comportement, sur ma manière de voir, je voudrais pour les relater, adopter le ton froid et serein de l’ethnologue : j’ai visité ce monde englouti et voici ce que j’y ai vu.


28 - Mourir en beauté, c’est beau !

Je le savais là, et j’étais plein d’espoir et de crainte, quand j’eus le privilège d’une de ses apparitions. Je reçu un tel choc que je ne sais s’il me fut porté par un changement de beauté ou par le fait que j’étais soudain mis en face de l’être exceptionnel dont l’histoire n’était familière qu’à la chambre bien gardée de mes prunelles, et je me trouvais dans la situation de la sorcière qui appelle depuis longtemps le prodige, vit dans son attente, reconnaît les signes qui l’annoncent et, tout à coup, le voit dressé en face d’elle et - ceci plus troublant encore - le voit tel qu’elle l’avait annoncé. Il est la preuve de sa puissance, de sa grâce, car la chair est encore le moyen le plus évident de certitude.


29 - Venise résume dans son espace contraint ma durée sur terre, située elle aussi au milieu du vide, entre les eaux foetales et celles du Styx.

« C’est après la pluie qu’il faut voir Venise », répétait Whistler : c’est après la vie que je reviens m’y contempler. Venise jalonne mes jours comme les espars à tête goudronnée balisent sa lagune ; ce n’est, parmi d’autres, qu’un point de perspective ; Venise, ce n’est pas toute ma vie, mais quelques morceaux de ma vie, sans lien entre eux ; les rides de l’eau s’effacent ; les miennes, pas.


30 - Et j’ai joué de bons tours à la folie.

Et le printemps m’a apporté l’affreux rire de l’idiot.

J’ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans, ignobles.

Je me rappelle l’histoire de la France fille aînée de l’Église.

La science, la nouvelle noblesse ! Le progrès. Le monde marche ! Pourquoi ne tournerait-il pas ?

C’est la vision des nombres. Nous allons à l’Esprit.

Maintenant je suis maudit, j’ai horreur de la patrie. Le meilleur, c’est un sommeil bien ivre, sur la grève.

« Je suis l’esclave de l’époux infernal, celui qui a perdu les vierges folles. »

Alors, - oh ! - chère pauvre âme, l’éternité serait-elle pas perdue pour nous !


31 - Ô les énormes avenues du pays saint, les terrasses du temple !

Qu’a-t-on fait du brahmane qui m’expliqua les proverbes ?

D’alors, de là-bas, je vois encore même les vieilles ! Je me souviens des heures d’argent et de soleil vers les fleuves, la main de la campagne sur mon épaule, et de nos caresses debout dans les plaines poivrées. - Un envol de pigeons écarlates tonne autour de ma pensée. - Exilé ici, j’ai eu une scène où jouer les chefs-d’oeuvre dramatiques de toutes les littératures. Je vous indiquerais les richesses inouïes. J’observe l’histoire des trésors que vous trouvâtes. Je vois la suite ! Ma sagesse est aussi dédaignée que le chaos. Qu’est mon néant, auprès de la stupeur qui vous attend ?


32 - J’ai vu se ranger, sous les drapeaux de la mort, celui qui fut beau ; celui qui, après sa vie, n’a pas enlaidi ; l’homme, la femme, le mendiant, les fils de roi ; les illusions de la jeunesse, les squelettes des vieillards ; le génie, la folie ; la paresse, son contraire ; celui qui fut faux, celui qui fut vrai ; le masque de l’orgueilleux, la modestie de l’humble ; le vice couronné de fleurs et l’innocence trahie.


33 - « Je voudrais n’être jamais né. » Je lui demandai pourquoi. Il me répondit : « J’étudie depuis quarante ans, ce sont quarante années de perdues ; j’enseigne les autres, et j’ignore tout ; cet état porte dans mon âme tant d’humiliation et de dégoût que la vie m’est insupportable ; je suis né, je vis dans le temps, et je ne sais pas ce que c’est que le temps ; je me trouve dans un point entre deux éternités, comme disent nos sages, et je n’ai nulle idée de l’éternité ; je suis composé de matière ; je pense, je n’ai jamais pu m’instruire de ce qui produit la pensée ; j’ignore si mon entendement est en moi une simple faculté, comme celle de marcher, de digérer, et si je pense avec ma tête comme je prends avec mes mains. Non-seulement le principe de ma pensée m’est inconnu, mais le principe de mes mouvements m’est également caché : je ne sais pourquoi j’existe. Cependant on me fait chaque jour des questions sur tous ces points : il faut répondre ; je n’ai rien de bon à dire ; je parle beaucoup, et je demeure confus et honteux de moi-même après avoir parlé.


34 - Tout ce que j’ai fait, pensé ou été, n’est qu’une somme de soumissions, ou bien à un être factice que j’ai cru être moi, parce que j’agissais en partant de lui vers le dehors, ou bien au poids de circonstances que je crus être l’air même que je respirais. Je suis, en cet instant de claire vision, un être soudain solitaire, qui se découvre exilé là où il s’était toujours cru citoyen. Jusqu’au plus intime de ce que j’ai pensé, je n’ai pas été moi.

Il me vient alors une terreur sarcastique de la vie, un désarroi qui dépasse les limites de mon individualité consciente. Je sais que je n’ai été qu’erreur et égarement, que je n’ai pas vécu, que je n’ai existé que dans la mesure où j’ai empli le temps avec de la conscience, de la pensée. Et l’impression que j’ai de moi-même, c’est celle d’un homme se réveillant d’un sommeil peuplé de rêves réels, ou d’un homme libéré par un tremblement de terre, de la pénombre du cachot à laquelle il s’était accoutumé.


35 - Il y a eu cette nuit une magnifique aurore boréale. Je l’ai observée jusqu’à deux heures du matin. Tout un côté du ciel au nord était rouge sombre. On eût dit la fumée d’un immense incendie, mais une fumée immobile dans laquelle on apercevait mille étincelles immobiles également. C’étaient les étoiles. 


36 - Une femme avait pour toute fortune une belle pièce de cinq francs toute neuve. Elle se dit : il faut que j’achète une tirelire pour la mettre. Elle acheta une tirelire qui lui coûta cinq francs. Quand elle eut la tirelire, elle s’aperçut qu’elle n’avait plus sa pièce.

Ceci est l’histoire de beaucoup de gens.


37 - Je vivrai avec la conscience que je suis né pour les autres et j’en rendrai grâce à la nature : comment, en effet, aurait-elle pu mieux protéger mon intérêt ? Elle m’a donné, moi seul, à tous, et à moi seul elle a donné tous les autres. De tout ce que j’aurai, je ne ferai ni objet d’avarice sordide, ni gaspillage. Je n’aurai jamais tant l’impression de posséder que lorsque j’aurai donné à bon escient. Je ne mesurerai les bienfaits ni à leur nombre, ni à leur poids, mais seulement à l’estime que j’aurai pour le bénéficiaire ; jamais ce ne sera trop à mes yeux, pour celui qui en est digne. Je ne ferai rien pour l’opinion, tout selon ma conscience. 


38 - Les Égyptiens, après leurs festins, faisaient présenter aux convives une grande image de la mort, par quelqu’un qui criait : « Bois, réjouis-toi, car voilà comment tu seras quand tu seras mort ». Aussi ai-je pris moi-même l’habitude d’avoir continuellement la mort présente, non seulement dans mon imagination, mais aussi à la bouche. Et il n’est rien dont je m’informe aussi volontiers que de la mort des gens : quelle parole ils ont proférée, quel visage et quelle contenance il y ont eu. Et ce sont les passages que je scrute le plus dans les histoires. On voit bien, par les exemples dont je farcis mon texte, que j’ai une affection particulière pour ce sujet. Si j’étais un faiseur de livres, je ferais un registre commenté des morts de toutes sortes. Qui apprendrait aux hommes à mourir leur apprendrait à vivre.


39 - Elle n’est sujette, la nature, à s’illuminer et à s’éteindre, à me servir et à me desservir que dans la mesure où montent et s’abaissent pour moi les flammes d’un foyer qui est l’amour, le seul amour, celui d’un être. J’ai connu, en l’absence de cet amour, les vrais ciels vides, les flottaisons de tout ce que je me préparais à saisir sur la mer Morte, le désert des fleurs. La nature me trahissait-elle ? non, je sentais que le principe de sa dévastation était en moi. Il ne manquait qu’un grand iris de feu partant de moi pour donner du prix à ce qui existe. Comme tout s’embellit à la lueur des flammes !


40 - Et qu’on ne me parle pas, après cela, du travail, je veux dire de la valeur morale du travail. Je suis contraint d’accepter l’idée du travail comme nécessité matérielle, à cet égard je suis on ne peut plus favorable à sa meilleure, à sa plus juste répartition. Que les sinistres obligations de la vie me l’imposent, soit qu’on me demande d’y croire, de révérer le mien ou celui des autres, jamais. Je préfère, encore une fois, marcher dans la nuit à me croire celui qui marche dans le jour. Rien ne sert d’être vivant, le temps qu’on travaille. L’évènement dont chacun est en droit d’attendre la révélation du sens de sa propre vie, cet évènement que peut-être je n’ai pas encore trouvé mais sur la voie duquel je me cherche, n’est pas au prix du travail.



41 - Depuis mon enfance, mes idées sur l’existence humaine ne se sont jamais écartées de la théorie augustinienne de la prédétermination. A maintes reprises je fus tourmenté par de vains doutes - comme je continue à l’être aujourd’hui - mais je considérai ces doutes comme une forme de tentation et je demeurai fermement attaché à mes idées déterministes. On m’avait remis ce qu’on pourrait appeler un menu complet de toutes les difficultés de ma vie, alors que j’étais trop jeune pour le lire. Mais je n’avais rien d’autre à faire que de déplier ma serviette et de me mettre à table. Même l’assurance que j’écrirais, comme je le fais en ce moment, un curieux livre tel que celui-ci, était indiquée avec précision sur le menu, où j’ai dû l’avoir sous les yeux dès le début. 


42 - Voilà près de sept semaines que ma mère est morte, je voudrais me mettre au travail avant que le besoin d’écrire sur elle, qui était si fort au moment de l’enterrement, ne se transforme à nouveau en ce silence hébété qui fut ma réaction à la nouvelle du suicide. Me mettre au travail : car le besoin d’écrire quelque chose sur ma mère, s’il peut survenir parfois avec une grande violence, est en même temps si confus qu’un effort de volonté sera nécessaire pour que, suivant mon premier mouvement, je ne me contente pas de taper sans arrêt la même syllabe sur le papier.


43 - Pauvre maman ! J’avais déjeuné avec elle à mon retour de Moscou, cinq semaines plus tôt ; comme d’habitude elle avait mauvaise mine. Il y avait eu un temps, pas bien lointain, où elle se flattait de ne pas paraître son âge ; maintenant on ne pouvait plus s’y tromper : c’était une femme de soixante-dix-sept ans très usée. Elle souffrait, elle dormait mal, en dépit des six cachets d’aspirine qu’elle avalait chaque jour. Depuis deux ou trois ans, depuis l’hiver dernier surtout, je lui voyais toujours ces cernes violets, ce nez pincé, ces joues creuses.

Elle avait tourné une page avec un étonnant courage après la mort de mon père. Elle en avait eu un violent chagrin. Mais elle ne s’était pas enlisée dans son passé. Elle avait profité de sa liberté retrouvée pour se reconstruire une existence conforme à ses goûts.


44 - Qu’attends-tu maintenant, lecteur à l’haleine tourmentée par les récits que tu viens de lire ? Que veux-tu que je fasse de ces personnages ramassés dans le sable un jour d’ennui et qui n’arrivent que péniblement à me distraire ? T’amusent-ils vraiment ? Allons, il y a des gens qui se contentent de peu - bien que je sois obligé d’avouer que ce roman est de cent kilomètres au-dessus de toute autre production de ce genre. Alors, lecteur intelligent comme le verre filé, te plaît-il que je prenne les mêmes et que je recommence ? Tu désires peut-être que j’élucide tout le mystère que j’ai enroulé autour de mes chères pieuvres, comme le tonneau qui s’enroule autour du vin nouveau ? Mais c’est assez, et maintenant que je t’ai entraîné au milieu de cette page tu n’as plus qu’à suivre le dédale que je compose, tantôt avec peine et tantôt avec passion, avec les vingt-sept lettres de l’alphabet occidental.


45 - Faiseur de notes invétéré, sur quelle marge puis-je les prendre, sinon sur celle de l’immense livre ouvert qu’est la vie. Et qu’est cette vie, sinon le texte de l’Autre, follement sollicité.

Je n’ai pas envie « d’écrire un livre », j’aurai le temps lorsque je serai mort, à ce qu’il paraît, tout occupé par ma dévorante lecture. Tout curieux et désireux de ne pas sauter une ligne.



46 - Il faut que je sache ma langue pour la posséder, mais ne faut-il pas que je l’oublie pour qu’elle me possède ?


La suite des livres constitue l’alphabet de l’écriture : alphabet aux lettres innombrables et dont chacune met en jeu toute la langue à contre-oubli.


47 - Penser n’est rien, c’est se souvenir qui importe. Et qu’est-ce que la création qui ne serait qu’un monologue de solitude ? Le grand mérite des oeuvres classiques, c’est dans leurs résonances qu’il est apparu. Et si l’on peut étudier aujourd’hui avec profit le De Signo, la Bible, L’Ecole des femmes, Balzac, Stendhal, Michelet, Mallarmé, Rimbaud, Marcel Schwob ou Margaret Kennedy, c’est parce que la civilisation s’est écrite, parce qu’elle s’est déposée, et qu’en fin de compte elle ne peut plus être oubliée ou perdue.


Je trouve tout simplement qu’en matière d’opinions et de conversation nous sommes en train, et peut-être simplement par snobisme, de faire fausse route. Le cas s’est présenté plusieurs fois en littérature. 

Bien entendu, je ne fais aucune querelle aux mots et je n’accuse pas mes contemporains d’avoir piqué une tête dans la confusion. Je leur dis qu’ils touchent aux mots comme on tape sur un clavier. Ils posent au hasard leurs mains innocentes et brusques sur des dièses et des bémols, et vas-y comme je te pousse.


48 - L’homme est cet animal séparé, ce bizarre être vivant qui s’est opposé à tous les autres, qui s’élève sur tous les autres, par ses… songes, - par l’intensité, l’enchaînement, par la diversité de ses songes ! par leurs effets extraordinaires et qui vont jusqu’à modifier sa nature, et non seulement sa nature, mais encore la nature même qui l’entoure, qu’il essaie infatigablement de soumettre à ses songes.

Je veux dire que l’homme est incessamment et nécessairement opposé à ce qui est par le souci de ce qui n’est pas !

Relisez la Genèse. Dès le seuil de ce livre sacré, et les premiers pas dans le premier jardin, voici paraître le rêve de la Connaissance, et celui de l’Immortalité : ces beaux fruits de l’arbre de vie et de l’arbre de science, nous attirent toujours.


49 - Aujourd’hui, un flot toujours grossissant nous inonde d’oeuvres littéraires qui prétendent encore être des romans et où un être sans contours, indéfinissable, insaisissable et invisible, un « je » anonyme qui est tout et qui n’est rien et qui n’est le plus souvent qu’un reflet de l’auteur lui-même, a usurpé le rôle du héros principal et occupe la place d’honneur. Les personnages qui l’entourent, privés d’existence propre, ne sont plus que les visions, rêves, cauchemars, illusions, reflets, modalités ou dépendances de ce « je » tout-puissant. 

Ce que révèle, en effet, cette évolution actuelle du personnage de roman est tout à l’opposé d’une régression à un stade infantile.

Elle témoigne, à la fois chez l’auteur et chez le lecteur, d’un état d’esprit singulièrement sophistiqué. Non seulement ils se méfient du personnage de roman, mais à travers lui, ils se méfient l’un de l’autre.


50 - Passé le stade de l’abécédaire, le premier livre où je m’exerçai à lire fut une petite Histoire sainte, ainsi qu’il convenait au caractère délibérément « bien pensant » de la petite pension que je fréquentais. Cela s’ouvrait sur la Genèse : « Dieu créa le monde en six jours et, le septième, il se reposa. » L’on y contait comment furent séparées la lumière et les ténèbres (« Que la lumière soit et la lumière fut »), suspendus à la voûte céleste le soleil, la lune et les étoiles, puis créés les divers animaux : « les oiseaux qui volent dans l’air », « les poissons qui nagent dans l’eau » et, enfin, l’homme, que Dieu fit à son image, qu’il appela Adam et à qui il donna Ève pour compagne. Peut-être fut-ce un matin de printemps ou d’été, dans une chaleur de couveuse ou de forge que pour la première fois je déchiffrai, en ânonnant, ce texte ?


51 - J’ai posé devant moi cette phrase : « Il était une fois… » Je l’ai disséquée sans émotion, tel un amateur de spectacles détaillant tout du bout de sa lorgnette ; je l’ai scrutée sous ses diverses faces, à la manière d’un expert examinant un diamant dont il s’agit de savoir s’il est ou non d’une belle eau. Ce qui m’apparaît alors (ce que ces mots : « Il était une fois… » me découvrent en fait) ce n’est ni une perspective de théâtre, bonne pour l’amateur de jeux mentaux et d’illusions, ni l’éclat plus ou moins rare d’un solitaire ou d’une goutte d’eau, mais la féerie de mon enfance elle-même. Ce qui était une fois, c’est l’enfant que je fus, à qui l’on contait des histoires commençant par Il était une fois…


52 - J’estime que mieux vaut encore être haï pour tout ce que l’on est, qu’aimé pour ce que l’on n’est pas. Ce dont j’ai le plus souffert durant ma vie, je crois bien que c’est le mensonge.

C’est parce qu’il se croyait unique que Rousseau dit avoir écrit ses Confessions.

J’écris les miennes pour des raisons exactement contraires, et parce que je sais que grand est le nombre de ceux qui s’y reconnaîtront.

« Mais quelle utilité… ? 

- Je crois que tout ce qui est vrai peut instruire. »


53 - J’entendais, je voyais, je respirais, comme je n’avais jamais fait jusqu’alors ; et tandis que sons, parfums, couleurs, profusément en moi s’épousaient, je sentais mon coeur désoeuvré, sanglotant de reconnaissance, fondre en adoration pour un Apollon inconnu.

« Prends-moi ! Prends-moi tout entier, m’écriais-je. Je t’appartiens. Je t’obéis. Je m’abandonne. Fais que tout en moi soit lumière ; oui ! lumière et légèreté. En vain je luttai contre toi jusqu’à ce jour. Mais je te reconnais à présent. Que tes volontés s’accomplissent : je ne résiste plus ; je me résigne à toi. Prends-moi. »

Ainsi j’entrai, le visage inondé de larmes, dans un univers ravissant plein de rire et d’étrangeté.


54 - Me voilà donc de nouveau dans ce Paris l’unique au monde, et que je dois regarder comme ma patrie, puisque je ne puis plus penser à rentrer dans celle que m’a donnée le hasard de la naissance ; patrie ingrate, mais que j’aime toujours en dépit de tout, soit que le préjugé qui nous attache aux lieux où se sont écoulées nos premières années, où nous avons reçu les premières impressions, ait sur nos idées et sur nos affections une puissance magique, soit qu’en effet Venise ait des charmes à nul autre pareils. Mais cet immense Paris est un lieu de misère ou de fortune, selon qu’on sait s’y prendre bien ou mal ; ce sera à moi à bien saisir les aires du vent.


55 - Dans les rues de la ville, il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé.

Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste l’aima ?

Il cherche son pareil dans le vœu des regards. L’espace qu’il parcourt est ma fidélité. Il dessine l’espoir et léger, l’éconduit. Il est prépondérant sans qu’il y prenne part. Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s’inscrit son essor, ma liberté la creuse. Dans les rues de la ville, il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste l’aima et l’éclaire de loin pour qu’il ne tombe pas ?


56 - Mon amour adoré, 

Que deviens-tu ? Je pense à toi d’une manière si triste et si poignante ! Un Japonais vient de m’apporter un poème de deux amants Hinadori et Hamatono qui périrent ensemble par la jalousie des dieux à l’époque héroïque du pays, et sur leur tombe poussèrent deux magnifiques pieds d’azalées, l’un rouge et l’autre blanc, dont les racines s’entremêlèrent et dont les fleurs étaient mélangées par le vent. Cela m’a fait penser à notre histoire.


57 - Hier, en flânant dans un quartier éloigné, je suis passé devant une maison que j’ai beaucoup fréquentée, quand j’étais fort jeune. Là, avec sa force exquise, Éros s’est emparé de mon corps.

Et comme je repassais, hier, par mon chemin d’autrefois, tout, boutiques et trottoirs, les pierres et les murs, les balcons et les fenêtres s’embellirent soudain du charme de l’amour. Rien de vil ne demeurait là.

Et comme je m’attardais devant la maison pour en contempler le seuil, je sentis s’exhaler de mon être toute l’émotion voluptueuse qui s’y était conservée.


58 - Mon trésor, pardonne-moi ma tristesse dans les dernières lettres. Je ne recevais rien de toi ! D’abord, j’ai reçu aujourd’hui tes lettres VIII et X. Il me manque le IX. Moi je ne numérote plus parce que je m’y perds. Je date et j’écris tous les jours. J’ai eu une impression de désir voluptueux d’une force fantastique. Je te désire. Je m’introduis en toi de toute ma virilité. Je me bande comme l’arc de Nemrod. Je te serre et te broie dans mes bras. Je darde toute ma force vitale en toi. Je prends tes lèvres. Je palpe ton beau derrière adoré. Je le baise. Je te bois là où ta toison exquise est une dentelle délicate et soyeuse, la blonde, dentelle je crois passée de mode, mais que j’aime. Maintenant, réponse à la

lettre X : je ne suis plus triste mon amour du moment que tu m’aimes. 


59 - Puisque je suis coupable de ceci de cela (j’ai, je me donne mille raisons de l’être), je vais me punir, je vais abîmer mon corps : me faire tailler les cheveux très court, cacher mon regard derrière des lunettes noires (façon d’entrer au couvent), m’adonner à l’étude d’une science sérieuse et abstraite. Je vais me lever tôt pour travailler pendant qu’il fait encore nuit, tel un moine. Je vais être très patient, un peu triste, en un mot, digne, comme il sied à l’homme du ressentiment.


60 - Parfois une idée me prend : je me mets à scruter longuement le corps aimé (tel le narrateur devant le sommeil d’Albertine). Scruter veut dire fouiller : je fouille le corps de l’autre, comme si je voulais voir ce qu’il y a dedans, comme si la cause mécanique de mon désir était dans le corps adverse (je suis semblable à ces gosses qui démontent un réveil pour savoir ce qu’est le temps). Cette opération se conduit d’une façon froide et étonnée ; je suis calme, attentif, comme si j’étais devant un insecte étrange, dont brusquement je n’ai plus peur. Certaines parties du corps sont particulièrement propres à cette observation : les cils, les ongles, la naissance des cheveux, les objets très partiels. Il est évident que je suis en train de fétichiser un mort. 


61 - Muse moderne de l’Impuissance, qui m’interdis depuis longtemps le trésor familier des Rythmes, et me condamnes (aimable supplice) à ne faire plus que relire, - jusqu’au jour où tu m’auras enveloppé dans ton irrémédiable filet, l’ennui, et tout sera fini alors, - les maîtres inaccessibles dont la beauté me désespère ; mon ennemie, et cependant mon enchanteresse aux breuvages perfides et aux mélancoliques ivresses, je te dédie, comme une raillerie ou, - le sais-je ? - comme un gage d’amour, ces quelques lignes de ma vie écrites dans les heures clémentes où tu ne m’inspiras pas la haine de la création et le stérile amour du néant. Tu y découvriras les jouissances d’une âme purement passive qui n’est que femme encore, et qui demain peut-être sera bête.


62 - Nos « anciens » voyaient le caractère, le type continu… Nous, nous voyons le type discontinu, avec ses accalmies et ses crises, ses instants de bonté et ses instants de méchanceté. Cette prétention de faire vrai, qu’ont eue tous les grands écrivains, nous l’avons plus forte, de jour en jour. Mais approchons-nous de la vérité ? Demain ou après-demain nous serons faux, jusqu’à ce que cet univers soit las d’être inutile.


63 - Humour : pudeur, jeu d’esprit. C’est la propreté morale et quotidienne de l’esprit. Je me fais une haute idée morale et littéraire de l’humour.

L’imagination égare. La sensibilité affadit.

L’humour, c’est, en somme, la raison. L’homme régularisé.

Aucune définition ne m’a suffit.

D’ailleurs, il y a de tout dans l’humour.


64 - Bien pauvres sont ceux qui ont besoin de mythes. Ici les dieux servent de lits ou de repères dans la course des journées. Je décris et je dis : « Voici qui est rouge, qui est bleu, qui est vert. Ceci est la mer, la montagne, les fleurs. » Et qu’ai-je besoin de parler de Dionysos pour dire que j’aime écraser les boules de lentisques sous mon nez ? Est-il même à Déméter ce vieil hymne à quoi plus tard je songerai sans contrainte : « Heureux celui des vivants sur la terre qui a vu ces choses. » Voir, et voir sur cette terre, comment oublier la leçon ? Aux mystères d’Eleusis, il suffisait de contempler. Ici même, je sais que jamais je ne m’approcherai assez du monde. Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celle-là, et nouer sur ma peau l’étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer.


65 - Il faut beaucoup de temps pour aller à Djémila. Ce n’est pas une ville où l’on s’arrête et que l’on dépasse. Elle ne mène nulle part et n’ouvre sur aucun pays. C’est un lieu d’où l’on revient. La ville morte est au terme d’une longue route en lacets qui semble la promettre à chacun de ses tournants et paraît d’autant plus longue. Lorsque surgit enfin sur un plateau aux couleurs éteintes, enfoncé entre de hautes montagnes, son squelette jaunâtre comme une forêt d’ossements, Djémila figure alors le symbole de cette leçon d’amour et de patience qui peut nous conduire au coeur battant du monde.


66 - À la lisière de la ville rasée, il subsistait un terrain d’aviation militaire aux hangars incendiés et aux pistes malmenées par les intempéries plus que par les obus. Un pylône rouillé continuait de s’y dresser. Un jour, j’eus l’idée d’y grimper. L’échelle de fer qui conduisait au sommet était presque intacte. À mi-hauteur, j’éprouvais pour la première fois le vertige, l’affreuse montée du vide qui se rapproche de vous sans qu’on y puisse rien et qui vous commande d’aller à sa rencontre. Ne reste convaincante que l’épouvantable impression de ne pouvoir ni continuer à monter ni commencer à redescendre. Je m’obligeais à poursuivre l’ascension, autant par peur que par entêtement. Après m’être calmé, je redescendis les yeux fixés au ciel, quêtant chaque fois du pied l’appui du prochain échelon.


67 - Parmi les catégories principales des jeux, j’ai introduit le vertige, désignant par ce terme non seulement le trouble volontairement recherché de l’équilibre physique, mais aussi tout risque ou défi impliquant, en connaissance de cause, comme sanction probable la perte de l’assiette intellectuelle ou morale ou émotionnelle, sinon celle de l’existence pure et simple. Pareil désarroi, à la fois accepté et subi, s’accompagne de l’attente aléatoire, bientôt de la gloire d’avoir recouvré au dernier moment, magnifiés, les biens non évaluables en un moment abandonnés au sort, par pur défi.

Je ne me repens pas d’avoir fait un sort à ces voluptés ambiguës. J’ai vu trop souvent des hommes et des bêtes s’y adonner de caprice, d’instinct ou d’institution, en proie à une égale hypnose. Les rite, les passions, le leurre de l’intérêt ou de la spéculation, les extases de l’érotisme ou des drogues convergent ici en un des points les plus obscurs du comportement des vivants.


68 - Pris dans l’Histoire, laquelle, à son degré véritable, serait à chaque instant la collection de toutes les histoires de toutes les aventures, de toutes les fugitives pensées, l’homme diffère, par nature, de l’Histoire. L’Histoire est égologique et, quand on la remonte, irrévocable. Les hommes sont , dans l’Histoire, comme dans une rivière qu’ils composent de leurs personnes et de leurs agitations et qui leur est aussi extérieure qu’une rivière aux poissons qu’elle véhicule.


69 - De son nom même l’homme, désormais, se méfie, pour autant que ce nom est investi d’une pensée métaphysique, appuyée sur des kilomètres linéaires ou carrés de sermons et de bouquins, et qu’il évoque un terrifiant fatras de dents gâtées et d’appendicites, les mêmes sous Périclès, les mêmes sous Mac-Mahon…

L’homme, d’abord, c’est quoi ? L’homme, jusqu’à présent, c’était, plutôt, un seul homme, réfracté dans ses congénères comme dans des miroirs plus ou moins déformants.


70 - Toute la conscience critique du romancier ne peut lui être utile qu’au niveau des choix, non à celui de leur justification. Il sent la nécessité d’employer telle forme, de refuser tel adjectif, de construire ce paragraphe de telle façon. Il met tout son soin à la lente recherche du mot exact et de son juste emplacement. Mais de cette nécessité il ne peut produire aucune preuve (sinon, parfois, après coup). Il supplie qu’on le croie, qu’on lui fasse confiance. Et lorsqu’on lui demande pourquoi il a écrit son livre, il n’a qu’une réponse : « C’est pour essayer de savoir pourquoi j’avais envie de l’écrire. »


71 - Il n’y a pas de livres s’il n’y a pas de publication. Je crois que sans la prostitution de la publication, sans l’acte public, il n’y a pas d’écrit. Je le répète encore, oui, parce que c’est le problème numéro un de la minorité intelligente du monde entier. Être intelligent c’est vouloir écrire.


La peur quand on écrit, elle est normale. Il ne faut pas avoir peur de cette peur-là. Si cette peur n’existe pas, on n’écrit pas.


Lire c’est écrire aussi.


72 - Dans cette espèce de livre qui n’est pas un livre j’aurais voulu parler de tout et de rien comme chaque jour, au cours d’une journée comme les autres, banale. Prendre la grande autoroute, la voie générale de la parole, ne m’attarder sur rien de particulier. C’est impossible à faire, sortir du sens, aller nulle part, ne faire que parler sans partir d’un point donné de connaissance ou d’ignorance et arriver au hasard, dans la cohue des paroles. On ne peut pas. On ne peut pas à la fois savoir et ne pas savoir. Donc ce livre dont j’aurais voulu qu’il soit comme une autoroute en question, qui aurait dû aller partout en même temps, il restera un livre qui veut aller partout et qui ne va que dans un seul endroit à la fois et qui reviendra et qui repartira encore, comme tout le monde, comme tous les livres à moins de se taire mais ça, cela ne s’écrit pas.


73 - Au plus loin que je remonte et même à l’âge où l’esprit n’influence pas encore les sens, je trouve des traces de mon amour des garçons.

J’ai toujours pensé que mon père me ressemblait trop pour différer sur ce point capital. Sans doute ignorait-il sa pente et au lieu de la descendre en montait-il péniblement une autre sans savoir ce qui lui rendait la vie si lourde. Aurait-il découvert les goûts qu’il n’avait jamais trouvé l’occasion d’épanouir et qui m’étaient révélés par des phrases, sa démarche, mille détails de sa personne, il serait tombé à la renverse. A son époque on se tuait pour moins. Mais non ; il vivait dans l’ignorance de lui-même et acceptait son fardeau.

Peut-être à tant d’aveuglement dois-je d’être de ce monde.


74 - J’avais découvert pour mes baignades une petite plage déserte. J’y tirais ma barque sur les cailloux et me séchais dans le varech. Un matin, j’y trouvai un jeune homme qui s’y baignait sans costume et me demanda s’il me choquait. Ma réponse était d’une franchise qui l’éclaira sur mes goûts. Bientôt nous nous étendîmes côte à côte. J’appris qu’il habitait le village voisin et qu’il se soignait à la suite d’une légère menace de pneumonie.

Le soleil hâte la croissance des sentiments. Nous brûlâmes les étapes et, grâce à de nombreuses rencontres en pleine nature, loin des objets qui distraient le coeur, nous en vînmes à nous aimer sans avoir jamais parlé d’amour.


75 - Entre toutes les passions de l’esprit humain, l’une des plus violentes, c’est le désir de savoir ; et cette curiosité fait qu’il épuise ses forces pour trouver ou quelque secret inouï dans l’ordre de la nature, ou quelque adresse inconnue dans les ouvrages de l’art, ou quelque raffinement inusité dans la conduite des affaires. Mais, parmi ces vastes désirs d’enrichir notre entendement par des connaissances nouvelles, la même chose nous arrive qu’à ceux qui, jetant bien loin leurs regards, ne remarque pas les objets qui les environnent : je veux dire que notre esprit, s’étendant par de grands efforts sur des choses fort éloignées, et parcourant, pour ainsi dire, le ciel et la terre, passe cependant si légèrement sur ce qui se présente à lui de plus près, que nous consumons toute notre vie toujours ignorants de ce qui nous touche, mais encore de ce que nous sommes.


76 - « Veni et vide : Venez et voyez. » Ô mortels, venez contempler le spectacle des choses mortelles ; ô hommes, venez apprendre ce que c’est que l’homme. 

Vous serez peut-être étonnés que je vous adresse à la mort pour être instruits de ce que vous êtes ; et vous croirez que ce n’est pas bien représenter l’homme, que de le montrer où il n’est plus. Mais, si vous prenez soin de vouloir entendre ce qui se présente à nous dans le tombeau, vous accorderez aisément qu’il n’est point de plus véritable interprète ni plus fidèle miroir des choses humaines. 


77 - Je conseille à un auteur né copiste, et qui a l’extrême modestie de travailler d’après quelqu’un, de ne se choisir pour exemplaires que ces sortes d’ouvrages où il entre de l’esprit, de l’imagination, ou même de l’érudition : s’il n’atteint pas ses originaux, du moins il en approche, et il se fait lire. Il doit au contraire éviter comme un écueil de vouloir imiter ceux qui écrivent par humeur, que le coeur fait parler, à qui il inspire les termes et les figures et qui tirent, pour ainsi dire, de leurs entrailles tout ce qu’ils expriment sur le papier : dangereux modèles et tout propres à faire tomber dans le froid, dans le bas et dans le ridicule ceux qui s’ingèrent à les suivre.


78 - J’ai lu hier pour la première fois le roman d’Huysmans À rebours et je l’ai lu à Ravenne.

Hyperbole de ma mémoire…

Nulle ville où s’accuse d’avantage l’hiatus entre le dedans et le dehors, entre la vie publique et la secrète vie solitaire. Sur la place, le soleil chauffe les chaises de fer à la porte d’un café ; des enfants sales, des femmes débordantes de maternité braillent dans les rues tristes. Mais ici, dans ces pures ténèbres que l’habitude rend bientôt transparentes, des feux luisent çà et là, limpides comme ceux d’une âme où se forment lentement les cristallisations du malheur. Les piliers tournent avec la terre. Les voûtes tournent avec le ciel. Les apôtres valsent comme des derviches aux sons aigus d’une valse lente. Des mains divines pendent au hasard, vagues comme celles qui frôlent les visages dans les séances spirites, dérisoires comme les mains dessinées sur les murailles pour nous montrer le chemin que nous avons toujours tort de suivre.


79 - Les subcultures ont du bon à une époque où la culture officielle s’ossifie ou périclite, et où le mot « marginal » s’emploie péjorativement comme si nous étions tous d’accord sur la valeur du texte en pleine page. Il est naturel que, dans un monde menacé de factice uniformité, les membres de subcultures ethniques, religieuses, sociales ou sexuelles s’unissent ou se réunissent, chose d’autant plus importante pour les gais, que l’exercice de leur sexualité est à ce prix. Il l’est aussi que des individus brimés par l’employeur, le milieu ou la famille, dès qu’on les soupçonne de former entre eux des couples cherchent la facilité du plaisir anonyme ou commercialisé. Le risque est de laisser croire qu’un certain comportement sexuel se confond toujours avec ce qu’on appelle la débauche, mot d’ailleurs ambigu, puisqu’il sert surtout à désigner des actes un peu en deçà de ce que nous nous permettons à nous-mêmes. 


80 - Autrefois, les livres étaient écrits par les hommes de lettres et lus par le public. Aujourd’hui, ils sont écrits par le public et personne ne les lit.


Rien de ce qui arrive réellement n’a la moindre importance. 


L’ambition est le dernier refuge du raté.


S’aimer soi-même, c’est se lancer dans une belle histoire d’amour qui durera toute la vie.  


81 - Pourtant chaque homme tue l’être qu’il aime,

- Que tous entendent ces paroles !

Certains le fond avec un regard dur,

D’autres avec un mot flatteur ;

Le lâche, lui, tue avec un baiser,

Et le brave avec une épée !


82 - Quand les constellations d’hiver ne laisseront plus qu’un peu de jour entre les noirs matins et les noirs crépuscules, alors, assieds-toi devant ton feu et amuse-toi à construire. Ce travail t’apprendra que dieu habite le temps. Tu sentiras qu’une musique silencieuse s’empare de tes doigts et les guide, qu’elle est maîtresse de la forme que tu fais naître. Laisse-toi faire, réjouis-toi ; tu manipules les lois essentielles. 


83 - Ces étudiants qui viennent souvent me voir et dont la jeunesse est si amère, je les interroge sur leurs projets d’avenir. Je suis bouleversé de leur amertume, je souffre de leur souffrance. Ils sont comme si une partie de moi-même était en train de mourir. Ils me disent qu’ils consacrent ou qu’ils ont consacré de longues années - et les meilleures - à préparer et à passer des examens sévères, des concours difficile. Ils ont des diplômes. Ils se plaignent de n’avoir pas les places auxquelles ces diplômes donnent droit. La vie devant eux est toute noire et quand je leur parle de joie je m’aperçois que ces lèvres épaissies de jeunesse connaissent déjà le sourire du vieillard.


84 - Vous voudriez peut-être aussi savoir le lieu de ma naissance, car aujourd’hui l’on croit que le lieu où un enfant a jeté les premiers cris est fort essentiel à sa noblesse. Je vous dirai donc que j’ai vu le jour dans les îles Fortunées, pays charmant où la terre, sans être cultivée, produit d’elle-même les plus riches présents. Le travail, la vieillesse, les maladies n’approchèrent jamais de ces campagnes heureuses. On n’y voit croître ni mauve, ni lupin, ni fève, ni toutes ces autres plantes qui ne sont bonnes que pour le vulgaire. Le moly, la panacée, le népenthès, la marjolaine, les roses, les violettes et les hyacinthes y charment de toutes parts l’odorat et la vue, et font de ces lieux charmants des jardins mille fois plus délicieux que ceux d’Adonis.


85 - Ceux qui publient sous leur nom les ouvrages des autres sont encore plus prudents ; ils usurpent sans peine une gloire qui a coûté beaucoup de peines et de travaux à ceux à qui elle appartient. Ils savent bien que, tôt ou tard, on découvrira leur larcin ; mais, en attendant, ils jouissent toujours du plaisir d’être admirés. Il faut voir comme ils se rengorgent quand on leur donne des louanges, quand on les montre du doigt au milieu de la place publique, et qu’on dit : Le voilà, cet homme admirable ! quand ils voient leurs livres dans la boutique d’un libraire, et qu’ils lisent, à la tête de chaque page, leurs noms avec deux ou trois surnoms ordinairement étrangers et qui ressemblent à des termes de grimoire !


86 - J’ai été nourri aux lettres dès mon enfance, et pour ce qu’on me persuadait que, par leur moyen, on pouvait acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, j’avais un extrême désir de les apprendre. Mais sitôt que j’eus achevé tout ce cours d’études, au bout duquel on a coutume d’être reçu au rang des doctes, je changeai entièrement d’opinion. Car je me trouvais embarrassé de tant de doutes et d’erreurs, qu’il me semblait n’avoir fait autre profit, en tâchant de m’instruire, sinon que j’avais découvert de plus en plus mon ignorance. 


87 - Je ne laissais pas toutefois d’estimer les exercices auxquels on s’occupe dans les écoles. Je savais que les langues qu’on y apprend sont nécessaires pour l’intelligence des livres anciens ; que la gentillesse des fables réveille l’esprit ; que les actions mémorables des histoires le relèvent, et qu’étant lues avec discrétion elles aident à former le jugement ; que la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée, en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées ; que l’éloquence a des forces et des beautés incomparables ; que la poésie a des délicatesses et des douceurs très ravissantes ; que les mathématiques ont des inventions très subtiles, et qui peuvent beaucoup servir, tant à contenter les curieux qu’à faciliter tous les arts et diminuer le travail des hommes ; que les écrits qui traitent des mœurs contiennent plusieurs enseignements et plusieurs exhortations à la vertu qui sont fort utiles ; que la théologie enseigne à gagner le ciel ; que la philosophie donne moyen de parler vraisemblablement de toutes choses, et se faire admirer des moins savants ; que la jurisprudence, la médecine et des autres sciences apportent des honneurs et des richesses à ceux qui les cultivent ; et enfin qu’il est bon de les avoir toutes examinées, même les plus superstitieuses et les plus fausses, afin de connaître leur juste valeur et se garder d’en être trompé.


88 - « Mon Père, lui dis-je, quels sont ces gros volumes qui tiennent tout ce côté de bibliothèque ? 

- Ce sont, me dit-il, les interprètes de l’Écriture. 

- Il y en a un grand nombre ! lui repartis-je. Il faut que l’Écriture fût bien obscure autrefois, et bien claire à présent. Reste-t-il encore quelques doutes ? Peut-il y avoir des points contestés ? - S’il y en a, bon Dieu ! s’il y en a ! me répondit-il. Il y en a presque autant que de lignes. - Oui ? lui dis-je. Et qu’ont donc fait tous ces auteurs ? - Ces auteurs, me repartit-il, n’ont point cherché dans l’Écriture ce qu’il faut croire, mais ce qu’ils croient eux-mêmes ; ils ne l’ont point regardée comme un livre où étaient contenus les dogmes qu’ils devaient recevoir, mais comme un ouvrage qui pourrait donner de l’autorité à leurs propres idées. C’est pour cela qu’ils en ont corrompu tous les sens, et ont donné la torture à tous les passages. »


89 - « Tout près de là voyez les livres ascétiques ou de dévotion ; ensuite, les livres de morale, bien plus utiles ; ceux de théologie, doublement inintelligibles, et par la matière qui y est traitée, et par la manière de la traiter ; les ouvrages des mystiques, c’est-à-dire des dévots qui ont le cœur tendre. - Ah ! mon Père, lui dis-je, un moment ; n’allez pas si vite ; parlez-moi de ces mystiques. 

- Monsieur, me dit-il, la dévotion échauffe un cœur disposé à la tendresse et lui fait envoyer des esprits au cerveau, qui l’échauffent de même : d’où naissent les extases et les ravissements. Cet état est le délire de la dévotion. » 


90 - « Combien de temps encore, étourdis, allez-vous aimer l’étourderie ? - Les insolents n’aspirent qu’à l’insolence, et les insensés refusent la connaissance !

Tournerez-vous longtemps le dos quand je critique ? Contre vous, je laisserai libre cours à mon humeur, je vous ferai savoir ce que j’ai à vous dire.

Quand j’ai appelé, vous avez rechigné, quand j’ai tendu la main, nul ne s’en est soucié !

Vous avez récusé tous mes conseils, vous n’avez pris à cœur aucune de mes critiques.

Eh bien, moi aussi, lors de votre malheur, je rirai, je serai sarcastique quand viendra l’épouvante, quand elle viendra comme une tourmente, et que le malheur sera là, comme une tornade, quand viendront sur vous la détresse et l’angoisse.

Alors on m’appellera et je ne répondrai pas, on me cherchera et ne me trouvera pas, car ils ont refusé la connaissance et n’ont pas choisi la crainte du Seigneur.

Ils n’ont pas pris à cœur mes conseils, ils ont dénigré chacune de mes critiques : alors, ils dégusteront les fruits de leur conduite, ils pourront se gaver de leurs intrigues.

Oui, l’indocilité des étourdis leur sera fatale, et l’insouciance des insensés les perdra.

Celui qui m’écoute demeure en sécurité, à l’abri, sans malheur à redouter. »


91 - Je ne savais pas non plus à l’époque qu’en ramenant l’hystérie à la sexualité, j’étais remonté jusqu’aux temps les plus anciens de la médecine et que j’avais renoué avec Platon.


Il est en vérité si facile de se convaincre des activités sexuelles régulières des enfants qu’on peut se demander avec étonnement comment les hommes ont pu faire pour ne pas s’apercevoir de ces faits et pour maintenir si longtemps la légende, forgée par leur désir, d’une enfance asexuée. Cela doit être lié à l’amnésie de la plupart des adultes à l’égard de leur propre enfance.


92 - Les doctrines de la résistance et du refoulement, de l’inconscient, de la signification étiologique de la vie sexuelle et de l’importance des expériences vécues dans l’enfance sont les principaux éléments de l’édifice théorique de la psychanalyse. Je regrette de n’avoir pu les décrire ici comme entités isolées sans montrer comment elles se décomposent et s’articulent entre elles.


93 - Or, il arrive inévitablement dans la vie de chacun un moment où, dans l’image de ce qu’il est, il rencontre de nouveau son propre père. Cette inclination à une vie toute privée et anonyme commence maintenant à se développer en moi, plus forte d’année en année, si contraire qu’elle soit à ma profession même qui, en quelque sorte, me contraint à rendre publics et mon nom et ma personne. Mais par la même secrète fierté, j’ai toujours décliné toute forme de distinction honorifique, je n’ai jamais accepté ni une décoration, ni un titre, ni la présidence d’aucune société, je n’ai jamais appartenu à une académie, ni à un comité, ni à un jury ; le simple fait de m’assoir à une table officielle m’est un supplice, et la seule pensée d’avoir à présenter une requête, même en faveur d’un tiers, suffit à me dessécher la gorge avant que j’aie prononcé le premier mot. 


94 - Et maintenant je comprenais ce qu’était la vieillesse - la vieillesse qui de toutes les réalités est peut-être celle dont nous gardons le plus longtemps dans la vie une notion purement abstraite, regardant les calendriers, datant nos lettres, voyant se marier nos amis, les enfants de nos amis, sans comprendre, soit par peur, soit par paresse, ce que cela signifie, jusqu’au jour où le petit-fils d’une de nos amies, jeune homme qu’instinctivement nous traiterions en camarade sourit comme si nous nous moquions de lui, nous qui lui sommes apparu comme un grand-père ; je comprenais ce que signifiait la mort, l’amour, les joies de l’esprit, l’utilité de la douleur, la vocation, etc. Et si les noms avaient perdu pour moi de leur individualité, les mots me découvraient tout leur sens. La beauté des images est logée à l’arrière des choses, celle des idées à l’avant. De sorte qu’on cesse de s’émerveiller quand on les a atteintes, mais qu’on ne comprend les secondes que quand on les a dépassées.


95 - Voici ma mémoire, et ses larges espaces, ses antres et ses cavernes, innombrables, le tout peuplé à l’infini d’innombrables espèces d’objets, soit en images - comme pour les corps -, soit réellement présents - comme pour les arts libéraux -, soit par je ne sais quelles notions ou notations - comme pour les passions, que retient la mémoire, alors que l’âme ne les ressent plus. À travers tout cet univers, je cours et voltige de-ci de-là, je m’enfonce, aussi loin que je peux ; de limites, nulle part. Si grande est la puissance de la mémoire ! Si grande est la puissance de la vie, chez l’homme, ce vivant voué à la mort !


96 - La mémoire ? Le bétail et les oiseaux l’ont, eux aussi, sans quoi ils ne retrouveraient pas leurs gîtes, leurs nids, et autres multiples habitudes - et, de fait, habitude implique bien mémoire. 

J’irai donc au-delà de la mémoire pour atteindre celui qui m’a séparé des quadrupèdes et m’a créé plus sage que les oiseaux du ciel. J’irai au-delà de la mémoire, pour te trouver - mais pour te trouver où ? - ô toi, Bonté véritable et Douceur pleine de sécurité - mais pour te trouver où ? Si je te trouve en dehors de ma mémoire, c’est donc que je t’ai oublié ; dès lors, comment te trouver si je ne me souviens pas de toi ?


97 - Je constate que je vieillis ; un signe qui ne trompe pas est le fait que les nouveautés ne m’intéressent pas ni ne me surprennent, peut-être parce que je me rends compte qu’il n’y a rien d’essentiellement nouveau en elles et qu’elles ne sont tout au plus que de timides variantes. Quand j’étais jeune, j’avais de l’attirance pour les crépuscules, pour les faubourgs et pour le malheur ; aujourd’hui, j’aime les matinées en plein coeur de la ville et la sérénité.


98 - Au cours du temps j’ai été plusieurs personnes, mais ce tourbillon ne fut qu’un long rêve. L’essentiel était la Parole. Il m’arriva de douter d’elle. Je me dis et redis qu’il était absurde de renoncer à ce jeu magnifique qui consiste à combiner entre eux des mots magnifiques et que se mettre en quête d’un mot unique, peut-être illusoire, était insensé. Ce raisonnement fut vain. Un missionnaire me proposa le mot Dieu, que je rejetai. Un certain matin, au bord d’un fleuve s’élargissant en mer, je crus voir enfin la révélation de ce que je cherchais.


99 - Un livre doit être la hache qui brise en nous la mer gelée.






SOLUTIONS DU JE(U)




La citation de Jules Renard est extraite de son Journal daté du 15 janvier 1899, Babel 152, Actes-Sud, 1995, p. 204.


AVERTISSEMENT - Alfred Jarry : Les Minutes de sable mémorial, Oeuvres complètes I, Bibliothèque de la Pléiade, p. 171-172. 


 1 - Stendhal : Souvenirs d’égotisme, Oeuvres intimes II, Bibliothèque de la Pléiade, p. 428 à 431 ; 

 2 - Italo Calvino : Les villes invisibles, traduit de l’italien par Jean Thibaudeau, folio 5460, p. 118 à 120 ;

 3 - Georges Perec : Je suis né, La Librairie du XXe siècle-Seuil, p. 10 ;

 4 - Jean-Paul Sartre : Les mots, folio, p. 157 ;

 5 - Romain Gary : Pseudo, folio 3984, p. 16 ;

 6 - Louis Calaferte : Rosa mystica, folio 2822, p. 16 ;

 7 - Pascal : Pensées, folio 2777, p. 81-82 ;

 8 - Italo Svevo : La conscience de Zeno, traduit de l’italien par Paul-Henri Michel, folio 439, p. 54-55;

 9 - Gustave Flaubert : Correspondance, folio 3126, p. 179 ;

10 - Jean-Jacques Rousseau : Les Confessions, folio 2776, p. 91-92 ;

11 - Chateaubriand : Mémoires d’outre-tombe, Le Livre de poche I 1327, p. 51 ;

12 - Marcel Proust : À l'ombre des jeunes filles en fleurs, NRF tome II (édition 1992), p.55-56 ;

13 - Milan Kundera : L’art du roman, folio 2702, p.15-16 ; 

14 - Patrick Modiano : Un pedigree, Quatro Gallimard, p. 848 ;

15 - Céline : Entretiens avec le Professeur Y, folio 2786, p. 23-24 ;

16 - Louis Aragon : Les voyageurs de l'impériale, folio 120, p. 16 ;

17 - Jacques Rivière : Introduction à une métaphysique du rêve, NRF n° 10 (octobre 1909), p. 16 ;

18 - Pier Paolo Pasolini : Pétrole, traduit de l’italien par René de Ceccatty, Gallimard, 1995, p. ? ;

19 - Charles Baudelaire : Le Spleen de Paris, Librio 179, p. 5 ;

20 - Charles Baudelaire : Le Spleen de Paris, Librio 179, p. 32 ;

21 - Charles Baudelaire : Le Spleen de Paris, Librio 179, p. 56 ;

22 - Henri Michaux : Qui je fus, NRF Poésie, p. 173 ;

23 - Cioran : Syllogisme de l’amertume, folio essai 79, p. 46 ;

24 - Antonin Artaud : Nouveaux écrits de Rodez, L’Imaginaire Gallimard 307, p. 80-81 et p. 158-159 ;  

25 - Maurice Blanchot : L’arrêt de mort, L’Imaginaire Gallimard 15, p. 7 ; 

26 - Henri Michaux : Façons d’endormi Façons d’éveillé, L’Imaginaire Gallimard 493, p. 19 ;

27 - Georges Perec : W ou le souvenir d’enfance, L’Imaginaire Gallimard 293, p. 14 ;

28 - Jean Genet : Miracle de la rose, L’Arbalète, 1946-1993, p. 20-21 ; 

29 - Paul Morand : Venises, L’Imaginaire Gallimard 122, p. 9-10 ;

30 - Arthur Rimbaud : Une saison en enfer (en abrégé) ;

31 - Arthur Rimbaud : Illuminations (Vies I) ;

32 - Lautréamont : Les chants de Maldoror I, Bouquins, p. 614-615 ; 

33 - Voltaire : Romans et contes, GF-Flammarion 111, p.263 ;

34 - Pessoa : Le livre de l’intranquillité, traduit du portugais par Françoise Laye, Christian Bourgois, P. 71-72 ;                                                     

35 - Victor Hugo : Choses vues 1830-1848, folio 2944, p. 532 ; 

36 - Victor Hugo : Choses vues 1830-1848, folio 2944, p. 533 ; 

37 - Sénèque : La vie heureuse, arléa, 1997, p. 60-61 ;

38 - Montaigne : Les Essais - Livre I Chapitre XIX, Que philosopher, c'est apprendre à mourir ;

39 - André Breton : L’amour fou, folio 723, p. 140 ;

40 - André Breton : Nadja, folio plus classiques 107, p. 49-50 ;

41 - Yukio Mishima : Confession d’un masque, folio 1455, p. 21-22 ;

42 - Peter Handke : Le malheur indifférent, traduit de l’allemand par Anne Gaudu, folio 976, P. 7-8 ;

43 - Simone de Beauvoir : Une mort très douce, folio 137, p. 14 et p. 23 ;

44 - Raymond Queneau : Hazard et Fissile, Le Dilettante, p. 56-57 ;

45 - Georges Perros : Papiers collés, L’Imaginaire Gallimard, p. 7 ; 

46 - Bernard Noël : Le Livre de l’oubli, P.O.L, p. 11 et p. 56 ; 

47 - Léon-Paul Fargue : Lanterne magique, Seghers, 2015, p. 90 et p. 109 ;

48 - Paul Valéry : Variété I et II, folio essai, p. 32 et 34 ;

49 - Nathalie Sarraute : L’ère du soupçon, folio essai, p. 61-62 ; 

50 - Michel Leiris : La Règle du jeu, Bibliothèque de la Pléiade, p. 48 ;

51 - Michel Leiris : La Règle du jeu, Bibliothèque de la Pléiade, p. 131-132 ;

52 - André Gide : Souvenirs et voyages, Bibliothèque de la Pléiade, p. 330 ;

53 - André Gide : Si le grain ne meurt, Souvenirs et voyages, Bibliothèque de la Pléiade, p. 288 ;

54 - Casanova : Mémoires, Bibliothèque de la Pléiade II, p. 17 ; 

55 - René Char : Allégeance, Oeuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, p. 278 ;

56 - Paul Claudel : Lettres à Ysé, NRF, p. 166 ;

57 - Constantin Cavafy, Poèmes, traduction de Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras, Poésie/Gallimard, p. 156 ; 

58 - Apollinaire : Lettres à Lou, Imaginaire/Gallimard, p. 54-55 ; 

59 - Roland Barthes : Fragments d’un discours amoureux, Seuil, 1977, p. 41 ;

60 - Roland Barthes : Fragments d’un discours amoureux, Seuil, 1977, p. 85-86 ;

61 - Mallarmé : Articles, Bibliothèque de la Pléiade, Oeuvres complètes II, p. 281 ;

62 - Jules Renard : Journal (29 février 1892), Babel 152, Actes-Sud, 1995, p. 294-295 ;

63 - Jules Renard : Journal (23 février 1910), Babel 152, Actes-Sud, 1995, p. 154 ;

64 - Albert Camus : Noces, NRF essais, Gallimard, 1950 et 1993, p. 18-19 ;

65 - Albert Camus : Noces, NRF essais, Gallimard, 1950 et 1993, p. 32-33 ;

66 - Roger Caillois : Le fleuve Alphée, Oeuvres, Quarto Gallimard, p. 101 ;

67 - Roger Caillois : Le fleuve Alphée, Oeuvres, Quarto Gallimard, p. 101-102 ;

68 - Jacques Audiberti : Dimanche m’attend, L’Imaginaire Gallimard 295, p. 112 ;

69 - Jacques Audiberti : Dimanche m’attend, L’Imaginaire Gallimard 295, p. 112-113 ;

70 - Alain Robbe-Grillet : Pour un nouveau roman, éditions de Minuit, 1961 et 1996, p. 13 ;

71 - Marguerite Duras : Outside 2, Oeuvres complètes IV, Bibliothèque de la Pléiade, p.932 à 934 ; 

72 - Marguerite Duras : La Vie matérielle, Oeuvres complètes IV, Pléiade, p. 311-312 ;

73 - Jean Cocteau : Le Livre blanc et autres textes, Livre de Poche Biblio 3305, p. 58 et p.62 ;

74 - Jean Cocteau : Le Livre blanc et autres textes, Livre de Poche Biblio 3305, p.83-84 ;

75 - Bossuet : Sur la brièveté de la vie, folio sagesses 6272, p.58-59 ;

76 - Bossuet : Sur la brièveté de la vie, folio sagesses 6272, p. 59 ;

77 - La Bruyère : Les Caractères, Oeuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, p. 89 ;

78 - Marguerite Yourcenar : Essais et mémoires, Bibliothèque de la Pléiade, p. 483-484 ;

79 - Marguerite Yourcenar : Essais et mémoires, Bibliothèque de la Pléiade, p. 620-621 ;

80 - Oscar Wilde : Quelques maximes, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, p. 967 et p. 969-970 ;

81 - Oscar Wilde : La Ballade de la geôle de Reading, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, p. 64 ;

82 - Jean Giono : Les Vraies Richesses, Récits et essais, Bibliothèque de la Pléiade, p.252 ;

83 - Jean Giono : Les Vraies Richesses, Récits et essais, Bibliothèque de la Pléiade, p. 252 ;

84 - Érasme : Éloge de la folie, traduit par Thibault de Laveaux, Mille et une nuits 136, p. 20-21 ;

85 - Érasme : Éloge de la folie, traduit par Thibault de Laveaux, Mille et une nuits 136, p. 111 ;

86 - Descartes : Discours de la méthode, folio essais, p. 77-78 ;

87 - Descartes : Discours de la méthode, folio essais, p. 78-79 ;

88 - Montesquieu : Lettres Persanes, Lettre CXXXIV, 1993, Booking International, Paris, p. 233 ; 

89 - Montesquieu : Lettres Persanes, Lettre CXXXIV, 1993, Booking International, Paris, p. 233 ; 

90 - Anonyme : Ancien Testament, Livre des Proverbes chapitre 1, 22 à 33 ;

91 - Sigmund Freud : Sigmund Freud présenté par lui-même, traduit de l’allemand par Fernand Cambon, folio essais 54, p. 42 et 65 ;

92 - Sigmund Freud : Sigmund Freud présenté par lui-même, traduit de l’allemand par 

Fernand Cambon, folio essais 54, p. 67 ;

93 - Stefan Zweig : Le Monde d’hier, Souvenirs d’un Européen, Le Livre de poche 14040, p. 23-24 ; 

94 - Marcel Proust : Le Temps retrouvé, Bouquins, volume 3, p. 740-741 ;

95 - Saint-Augustin : Les Confessions (Livre X), traduction de Patrice Cambronne, Bibliothèque de la Pléiade, p. 998-999 ; 

96 - Saint-Augustin : Les Confessions (Livre X), traduction de Patrice Cambronne, Bibliothèque de la Pléiade, p. 999 ; 

97 - Jorge Luis Borges : Le livre de sable, traduit de l’espagnol par Françoise Rosset, folio 1461, p. 28 ;

98 - Jorge Luis Borges : Le livre de sable, traduit de l’espagnol par Françoise Rosset, folio 1461, p. 98-99 ;

99 - Franz Kafka : dans une lettre adressée à son ami Oskar Pollak, 1904.


par Jacky Barozzi 23 mars, 2024
Connaissez-vous, au voisinage du bois de Vincennes, l’hôpital Esquirol de Saint-Maurice ? Un haut-lieu de vie et de mémoire, qui vaut le détour ! Durant douze siècles, Saint-Maurice se dénomma Charenton-Saint-Maurice, jusqu’à ce qu’une ordonnance royale de Louis Philippe, du 25 décembre 1842, lui permit de n’en conserver que sa seule appellation dernière. Officiellement, pour la distinguer de la commune voisine, qui prit le nom de Charenton-le-Pont en 1810. En réalité, c’est parce que les habitants, du fait de la trop grande renommée de l’asile de Charenton, et trouvant qu’ils avaient de plus en plus de mal à marier leurs filles, voulurent, à défaut de se débarrasser de l’asile, en effacer le nom. Voilà pourquoi l’ancien asile de Charenton, devenu l’hôpital Esquirol, ne se trouve pas sur la commune de Charenton, mais sur celle de Saint-Maurice.
par Jacky Barozzi 12 mars, 2024
JARDIN DES PLANTES - 1633 5° arr., place Valhubert, rue Buffon, rue Geoffroy-Saint- Hilaire, rue Cuvier, M° Gare-d’Austerlitz, Jussieu ou Place-Monge C’est en 1614 que Guy de La Brosse, médecin ordinaire de Louis XIII, soumet à Jean Héroard, Premier médecin du roi, son projet de création d’un jardin où l’on cultiverait « toutes sortes d’herbes médicinales ». Il faut dire que les travaux des botanistes du XVI° siècle avaient attiré l’attention sur cette science nouvelle. Après la création du Jardin des plantes de Montpellier, en 1593, qui est le premier fondé en France, Henri IV et Sully songèrent à en établir un semblable à Paris qui possédait seulement un petit jardin de simples planté par l’apothicaire Nicolas Houel pour l’école des Apothicaires de la rue de l’Arbalète. L’édit de fondation du «Jardin royal des plantes médicinales » est promulgué en 1626 mais il reste encore à lui trouver un emplacement ! C’est Guy de La Brosse qui, en 1633, s’occupe de l’acquisition d’un vaste terrain, le clos Coypeau, situé au sud de l’abbaye Saint-Victor. D’une surface représentant environ le quart de sa superficie actuelle (qui est de 24 hectares), le jardin est séparé de la Seine par un entrepôt de bois et bordé de l’autre côté (vers l’actuelle rue Geoffroy-Saint-Hilaire) par des buttes artificielles faites de détritus et de gravats de construction. Guy de La Brosse s’attache immédiatement à aménager cette propriété royale, dont il est nommé intendant en 1635, pour en faire une école de botanique et d’histoire naturelle. L’espace est compartimenté en quatre zones distinctes, séparées par deux allées se coupant à angle droit. L’on y cultive des plantes usuelles, des arbres fruitiers, des arbustes et des plantes aquatiques. Sur les pentes des buttes artificielles qui bornent le jardin, Guy de La Brosse aménage un labyrinthe. En 1636, Vespasien Robin, démonstrateur en botanique, plante le robinier ou faux-acacia à partir d’un rejet dont son père Jean Robin, chargé du Jardin du roi dans l’île de la Cité (emplacement de la place Dauphine), se serait procuré les graines par l’intermédiaire d’un pépiniériste anglais. Le robinier du Jardin des plantes fut longtemps le deuxième plus vieil arbre de Paris, après le robinier du square René-Viviani planté vers 1601 par Jean Robin. Il est aujourd’hui mort et il ne reste qu’un tronc avec des rejets (extrémité ouest de la galerie de botanique) mais celui du square René-Viviani, avec ses 20 mètres de hauteur et ses 4 mètres de circonférence, existe toujours, soutenu par des étais. Dès 1640, le jardin est ouvert au public et, à la mort de son fondateur, l’année suivante, il compte 1 800 plants différents. C’est désormais le « Jardin du roi », développé à partir de 1693 par Fagon, Premier médecin de Louis XIV, puis par le botaniste Tournefort, qui plante l’érable de Crète en 1702 (labyrinthe, côté bibliothèque), et les trois frères de Jussieu qui parcourent le monde à la recherche de nouvelles espèces rares. C’est ainsi que Bernard de Jussieu rapporta d’Angleterre, en 1734, deux cèdres du Liban dont l’un subsiste sur les pentes du grand labyrinthe ; c’est lui aussi qui plantera en 1747 le premier pied de Sophora, qui provenait de Chine (devant la galerie de minéralogie). Entre 1732 et 1739 sont créées les premières serres chaudes françaises, pour abriter des plantes exotiques. Nommé intendant du Jardin du roi en 1739, Georges- Louis de Buffon le restera jusqu’à sa mort, en 1788. Il sut s’entourer des meilleurs savants, parmi lesquels les naturalistes Louis Daubenton (une colonne signale sa tombe près du sommet du labyrinthe) et Jean-Baptiste de Lamarck et le botaniste Antoine-Laurent de Jussieu, neveu des trois frères. Pour le jardin, il s’adjoignit les services d’André Thouin, nommé jardinier en chef en 1764, et pour la construction des bâtiments, ceux de l’architecte Edme Verniquet. C’est sous la direction de Buffon que le Jardin du roi va connaître son plus bel essor. L’intendant y habite, dans la maison dite « de Buffon » située dans l’angle sud-ouest du jardin (actuelle librairie).
par Jacky Barozzi 01 mars, 2024
Fontaine Hydrorrhage Jardin Tino-Rossi, quai Saint-Bernard (5e arr.) Métro : Gare d’Austerlitz ou Jussieu Transformé en jardin entre 1975 et 1980, le quai Saint-Bernard constitue désormais une belle promenade, entre les ponts d’Austerlitz et de Sully. C’est là qu’a été installé le musée de Sculptures en plein air de la Ville de Paris, consacré essentiellement aux œuvres de la seconde moitié du XXe siècle. Au centre, un rond-point constitué d’une succession de bassins semi-circulaires, abrite une bien singulière fontaine. Baptisée Hydrorrhage , celle-ci a été réalisée en 1975-1977 par l’architecte Daniel Badani et le sculpteur Jean-Robert Ipoustéguy. Derrière une imposante armure en forme de bouclier, on découvre un homme nu, harnaché d’un attirail relevant proprement de l’iconographie sado-masochiste, et suçotant une sorte de gland tout en se livrant à la masturbation ! Cette audacieuse œuvre, contemporaine de l’époque de la libération sexuelle, semble avoir dépassée les souhaits de son commanditaire. La municipalité a en effet récemment entouré d’un grillage et d’une haie d’arbustes l’ensemble des bassins, empêchant le visiteur de se rapprocher de cette fontaine, autrefois de plain-pied, et en a pudiquement détourné la gerbe principale, qui jaillissait du sexe du personnage et retombait dans le premier bassin depuis le gros tuyau recourbé au centre du bouclier, pour le remplacer par les deux inoffensifs jets d’eau du bassin, situés de part et d’autre du groupe en bronze. 
par Jacky Barozzi 29 févr., 2024
La Lutèce gallo-romaine reconstituée. JARDIN DES ARENES DE LUTECE ET SQUARE CAPITAN - 1892 5° arr., rue de Navarre, rue des Arènes, rue Monge, M° Place-Monge La Lutèce gallo-romaine, qui voit se reconstruire l’île de la Cité, se développe sur la rive gauche, à l’abri des inondations. Là, sur les pentes de la montagne Sainte- Geneviève, s’établit une cité à la romaine, de part et d’autre de la voie principale, le cardo, dont on retrouve le tracé dans la rue Saint-Jacques. Un peu à l’écart, adossé au versant oriental de la colline, est construit vers la fin du Ier siècle après J.-C. un édifice, connu sous le nom d’Arènes de Lutèce, qui servait en réalité tout aussi bien pour les jeux du cirque que pour les représentations théâtrales, comme en témoigne la scène qui vient interrompre les gradins sur un côté.
par Jacky Barozzi 25 févr., 2024
I nlassable piéton de Paris, pour lequel les errances dans la capitale furent longtemps le prétexte à ranimer son imaginaire mémoriel, Patrick Modiano serait-il brusquement rattrapé par le principe de réalité ? Dans son dernier roman, « La Danseuse », un récit de moins de cent pages, aux chapitres particulièrement aérés, il nous conte l’histoire d’une danseuse, jamais autrement nommée dans le livre, et de son jeune fils Pierre, rencontrés un demi siècle plus tôt. Situé en grande partie entre la Place Clichy (9e arr.) et la Porte de Champerret (17e arr.), ce court texte est ponctué de plusieurs paragraphes où le présent s’invite comme jamais auparavant dans les romans de notre auteur récemment nobélisé : « Qu’étaient devenus la danseuse et Pierre, et ceux que j’avais croisés à la même époque ? Voilà une question que je me posais souvent depuis près de cinquante ans et qui était restée jusque-là sans réponse. Et, soudain, ce 8 janvier 2023, il me sembla que cela n’avait plus aucune importance. Ni la danseuse ni Pierre n’appartenaient au passé mais dans un présent éternel. » Ici, le narrateur ne reconnait plus le Paris de sa jeunesse et s’y sent désormais étranger. Une ville où les Parisiens ont été remplacés par les touristes et où la nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Une ville : « qui avait à ce point changé qu’elle ne m’évoquait plus aucun souvenir. Une ville étrangère. Elle ressemblait à un grand parc d’attraction ou à l’espace « duty-free » d’un aéroport. Beaucoup de monde dans les rues, comme je n’en avais jamais vu auparavant. Les passants marchaient par groupes d’une dizaine de personnes, traînant des valises à roulettes et la plupart portant des sacs à dos. D’où venaient ces centaines de milliers de touristes dont on se demandait s’ils n’étaient pas les seuls, désormais, à peupler les rues de Paris ? » Tandis que le narrateur traverse le boulevard Raspail (Patrick Modiano réside aujourd’hui dans le 6e arr.), il croise un fantôme du passé : « Je reconnus aussitôt Verzini. Et j’éprouvai un brusque malaise, celui d’être en présence de quelqu’un que je croyais mort depuis longtemps. » Après l’avoir accosté, les deux hommes décident de se réfugier dans un café, à l’angle du boulevard et de la rue du Cherche-Midi : « Nous étions assis à une table, l’un en face de l’autre, seuls dans la salle, ce qui m’étonnait. Depuis quelques temps, les cafés et les restaurants étaient bondés. Devant la plupart d’entre eux, il y avait même des files d’attente. » Le narrateur précisant : « Derrière la vitre, je voyais passer les groupes de touristes habituels depuis quelques mois, sac au dos et traînant leurs valises à roulettes. La plupart portaient des shorts, des tee-shirts et des casquettes de toile à visière. Aucun d’entre eux ne pénétrait dans le café où nous étions, comme si celui-ci appartenait encore à un autre temps qui le préservait de cette foule. » Et ajoutant, au moment où le narrateur et Verzini se séparent sur le trottoir : « Dehors, nous étions bousculés par le flot des touristes. Ils avançaient par groupes compacts et vous barraient le chemin. ''Nous reprendrons peut-être un jour notre conversation, me dit-il. C’est si loin, tout ça… Mais j’essaierai quand même de me souvenir…'' Il eut le temps de me faire un signe du bras avant d’être entraîné et de se perdre dans cette armée en déroute qui encombrait le boulevard. » Le narrateur ou Modiano lui-même, avouant, plus loin : « Nous vivions des temps difficiles depuis trois ans, comme je n’en avais jamais connu de ma vie. Et le monde avait changé si vite autour de moi que je m’y sentais un étranger. » Alors, texte testamentaire de notre auteur national, dans un Paris post covidien et de plus en plus airbnbisé ? Seul, l’avenir nous le dira…
par Jacky Barozzi 20 févr., 2024
12e arrondissement Musée des Arts forains 53, avenue des Terroirs de France Tél. : 01 43 40 16 22 Métro : Cour Saint-Émilion http://www.arts-forains.com
par Jacky Barozzi 20 févr., 2024
PARC DES BUTTES-CHAUMONT - 1867 19° arr., rue Manin, rue de Crimée, rue Botzaris, M° Buttes- Chaumont ou Botzaris Entre Belleville et La Villette, la butte de Chaumont, du latin calvus mons ou mont chauve, est de tout temps une colline aride et dénudée dont le sol calcaire interdit toute agriculture. Des moulins apparaissent dès le XVI° siècle sur les hauteurs de Belleville et de La Villette et on en dénombre six à la fin du XVII°sur la butte de Chaumont. A partir du XVIII° siècle, le gypse du sous-sol est exploité pour fournir de la pierre à plâtre destinée à la construction. Cette extraction, qui se fait en souterrain, entraîne des affaissements du terrain et, à la suite d’effondrements meurtriers, l’exploitation souterraine est interdite en 1779. Les carrières à plâtre sont détruites et comblées par éboulement mais l’exploitation va se poursuivre à ciel ouvert, de plus en plus intensive dans le premier tiers du XIX° siècle. En 1851, la carrière dite de l’Amérique, l’une des plus importantes, quasiment épuisée, est fermée. Le site offre à cette époque un aspect véritablement désolé. Aux pieds de la butte, du côté de La Villette, se trouve depuis la fin du XVIII° siècle le plus grand dépotoir d’ordures de la capitale, qui sert aussi pour l’équarrissage des chevaux. La nuit, les anciennes carrières sont le refuge des clochards et des rôdeurs. 
par Jacky Barozzi 18 févr., 2024
PARC FLORAL DE PARIS 1969 12° arr., bois de Vincennes, esplanade Saint-Louis, route de la Pyramide, M° Château-de-Vincennes. Entrée payante Le Parc floral a été inauguré en 1969 à l’occasion des Troisièmes Floralies internationales de Paris. Les deux premières éditions s’étaient tenues en 1959 et 1964 au Centre national des Industries et des Techniques (CNIT) de La Défense et le succès qu’elles avaient remporté avaient conduit les organisateurs à rechercher un emplacement mieux adapté. C’est ainsi que le Conseil de Paris décida en 1966 d’implanter ce nouveau “Parc d’activités culturelles de plein air” dans le bois de Vincennes, sur des terrains qui avaient été occupés par les anciens établissements militaires de la Pyramide et de la Cartoucherie. L’objectif était double : accueillir les Troisièmes Floralies internationales de Paris, qui seraient suivies d’autres expositions temporaires, mais aussi profiter de l’engouement pour l’art floral manifesté par le grand public pour le sensibiliser à l’art contemporain en exposant des œuvres en plein air. 
par Jacky Barozzi 06 févr., 2024
BOIS DE VINCENNES - 1857 12° arr., M° Château-de-Vincennes ou Porte-Dorée Le bois de Vincennes est le vestige d’une vaste forêt antique qui s’étendait à l’est de Paris. Ces terres incultes appartenaient à tous et les paysans gaulois puis gallo- romains les utilisaient pour mener paître leurs bêtes, se nourrir et trouver du bois pour se chauffer. L’arrivée des Francs, si elle ne modifie pas leurs habitudes, change cependant le statut de la forêt qui, de publique, devient alors privée selon les règles du droit franc. Après la mort de Dagobert, en 639, sa veuve fonde une abbaye à Saint-Maur. La première mention connue de la forêt de Vilcena figure dans une charte royale de 848 dans laquelle Charles le Chauve entérine un échange de terres entre l’évêque de Paris et l’abbé de Saint-Maur-des-Fossés. La forêt devient propriété de la couronne à la fin du X° siècle mais c’est dans une charte de 1037, par laquelle Henri Ier accorde des droits d’usage dans la forêt aux moines de l’abbaye de Saint-Maur, que la présence royale est mentionnée pour la première fois à Vincennes. D’autres droits seront accordés à différentes abbayes parisiennes jusqu’en 1164, date de la fondation du couvent des Bonshommes de Grandmont par Louis VII, qui donne aux moines un enclos et un prieuré. Louis VII possède un pavillon de chasse dans la forêt de Vincennes, la plus proche du palais de la Cité où il réside fréquemment. Dès le début de son règne, Philippe Auguste rachète les droits d’usage qui avaient été accordés dans la forêt afin de constituer un domaine de chasse. Il fait construire un manoir, qui constitue la première résidence royale à Vincennes (disparue au XIX° siècle), et élever en 1183 un mur de pierre pour protéger cet espace destiné à la chasse (ce mur restera en place jusqu’aux aménagements du Second Empire). Saint Louis fait construire en 1248 une chapelle dédiée à saint Martin pour abriter une épine de la Couronne du Christ qu’il a acquise de l’empereur d’Orient Baudoin II. Il agrandit le manoir d’un donjon car Vincennes constitue désormais la deuxième résidence du roi après le palais de la Cité et chacun connaît la fameuse scène, rapportée par Joinville dans la Vie de saint Louis, du roi rendant la justice sous un chêne du bois de Vincennes. 
par Jacky Barozzi 08 janv., 2024
Bercy-village (12e arr.) Meilleurs voeux pour 2024 ! Une année paire, Toute en rondeur, Placée sous le multiple de deux, Telle une promesse d’amour et de partage pour tous ...
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